• 2013-3

    Séance 3

    (Chapitre I suite)

     

    II L’ENSEIGNEMENT DES RUDIMENTS

     

     

     

    Avant de parler de l’expansion scolaire proprement dite, qui reçoit sa première impulsion au XVIIe siècle - période de scolarisation restreinte, je le répète -, et qui va s’accélérer continument aux XVIIIe et surtout  XIXe siècles,  pour aboutir à une situation de scolarisation généralisée, je voudrais d’abord présenter les cadres institutionnels dans lesquels ce processus s’inscrit à l’origine (je vais suivre à peu près le même schéma que sur les collèges). Je laisse de côté certains « établissements » (je mets des guillemets car le terme est sans doute excessif), qui, bien qu’appartenant au paysage traditionnel, sont en perte de vitesse au XVIIIe siècle, comme, les échoppes des « maîtres écrivains », nombreuses à Paris en particulier  (et où s’acquièrent l’écriture, donc la calligraphie, et les chiffres, le calcul, dont ont besoin les commerçants et artisans notamment), et les manécanteries, écoles pour la formation des enfants de chœur, avec latin et musique étant donné que le chant est très important dans les rituels de l’église, la messe en premier lieu.

    Ce qui domine en l’occurrence, ce sont d’une part les petites écoles, qui se tiennent dans les villes et, à la campagne, dans les bourgs et certains villages importants, où elles intéressent les familles qui veulent faire instruire ses enfants sans recourir aux services d’un précepteur (situation qu’on a déjà aperçue à propos des collèges de niveau inférieur) ; et d’autre part les écoles de charité, qui s’installent essentiellement dans les grandes villes - pour des raisons qui vont s’éclairer dans ce qui suit. La différence entre les deux est ce qui doit d’abord retenir l’attention : c’est un phénomène typique de l’histoire scolaire sur ce versant de la scolarisation du peuple.

     

    Remarque préalable. On connaît assez bien, et depuis assez longtemps, les grandes lignes du développement de l’enseignement populaire, l’accroissement progressif des possibilités d’instruction pour les classes inférieures, les pauvres, etc., depuis l’Ancien Régime jusqu’à la fin du XIXe siècle, parce que ce sujet a été un enjeu historiographique très polémique dans le conflit qui oppose l’Etat et l’Eglise, sous la IIIème République, au moment de la laïcisation de l’école. Car les auteurs catholiques, en effet, s’efforcent, par des monographies locales ou des ouvrages plus généraux, de rappeler l’ancienneté et la consistance de la contribution de l’Eglise en ce domaine, pour contrer l’accusation républicaine d’avoir maintenu le peuple dans la nuit de l’ignorance. Je signale que de très nombreuses études de ce type, de provenance catholique mais pas seulement, sont repérables sur les « catalogues noirs » de la bibliothèque de l’ex-Institut National de recherche pédagogique, INRP (devenu Institut français de l’éducation, Ifé, associé à l’ENS de Lyon). Ces catalogues sont téléchargeables en ligne. On attend qu’un chercheur courageux produise une recension exhaustive de ces sortes d’ouvrages.

     

    1) les institutions

     

    a) Les petites écoles

    L’origine des petites écoles remonte au XVIe siècle ; elles sont issues des écoles de catéchisme, animées par les curés ou des marguilliers (auxiliaires de l’administration de la paroisse - qu’on appelle la fabrique) dans le but de christianiser les enfants. Nous sommes là encore dans le sillage de la Contre Réforme et du Concile de Trente, notamment sa XXIIIe session, en juillet 1563, qui cherche à endiguer les progrès du protestantisme (auquel est repris la méthode catéchétique elle-même !). Les petites écoles, bien qu’elles concernent une faible partie de la population totale, comme je viens de le rappeler, se multiplient dès le XVIIe siècle. Elles sont encouragées par plusieurs interventions de l’Etat central, en particulier un texte de 1698 (Louis XIV), repris dans une déclaration royale du 14 mai 1724 (Louis XV). Ces textes prononcent en effet une sorte d’obligation scolaire en édictant (articles IV de 1698 et art. V de 1724) : « voulons que l’on établisse autant qu’il sera possible des maîtres et maîtresses dans toutes les paroisses où il n’y a en point pour instruire tous les enfants ». Ces incitations se produisent dans un contexte où, on le sait, le conflit auquel je viens de renvoyer, entre catholiques et protestants, s’est intensifié ; voir la révocation de l’édit de Nantes, par Louis XIV, en 1685. Le projet scolaire de l’Etat est donc tout simplement un moyen de lutte, une manière de protéger et propager la foi catholique. En plus de cela, c’est une manière qu’on estime spécialement efficace lorsqu’on a affaire à des familles converties, dont on peut toujours craindre que les parents conservent et transmettent dans la maison certaines de leurs habitudes hérétiques. Ceci confirme pour nous la permanence d’une réflexion sur l’école comme milieu spécial, distinct du milieu familial (cf. ma définition, dans le prologue de ce cours). Dans le même temps, on a fortement stimulé la diffusion des livres de catéchisme et des livres de messe en français (publiés par centaines de milliers). Ce contexte à la fois politique, religieux et scolaire au XVIIe siècle, est analysé en détail dans le premier chapitre du livre de R. Chartier, M-M. Compère et D. Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, op. cit.

    Les petites écoles sont toujours peu ou prou placées sous l’autorité de l’évêque du diocèse, mais elles sont soit paroissiales (souvent dans la moitié Nord de la France), soit municipales (plus souvent dans le Sud ; voir sur cette dualité F. Lebrun, M. Venard et J. Quéniart, dans le t. II de l’Histoire  générale de l’enseignement et de l’éducation en France, op. cit., p. 242), donc, dans ce dernier cas, plutôt l’affaire des assemblées de notables ; et c’est une situation qui peut alors s’apparenter à celle des collèges. Dans le premier cas, les écoles sont dirigées par des personnes attachées aux fonctions ecclésiastiques, clercs de l’Eglise, prêtres, etc., ou même des maîtres laïcs mais qui, en endossant cet état de maître d’école, seront aussi amenés à assumer des fonctions ecclésiastiques subalternes : chanter à la messe, sonner les cloches à des occasions précises de la journée – comme l’Angélus -, quand ce n’est pas balayer l’église ou blanchir le linge d’autel. Dans le second cas, ce sont des maîtres laïcs plus indépendants – les ancêtres des instituteurs si l’on veut (le mot « instituteur » sera décidé sous la Révolution). Au XIXe siècle, jusqu’à la IIIème République, ces maîtres d’école seront soumis à la tutelle de leur curé, parfois légère, parfois ressentie par eux comme insupportable, et ce de plus en plus au fil du temps.

    Pour donner une idée de la situation de type « paroissial », où la présence de l’Eglise, par l’intermédiaire du curé et de l’évêque, est fondamentale, je cite les « Règlements pour les clercs-lays [= laïcs] ou magisters du diocèse d’Amiens », publiés dans les années 1780 afin de cadrer le recrutement de ces maîtres. Un premier article exige un témoignage de moralité ; le deuxième stipule : « Ils sauront leur chant, les principales rubriques et cérémonies de l’Eglise » ; quant à l’article III, il  énonce : « Ils seront capables d’enseigner la jeunesse à lire et à écrire et de lui apprendre les premiers éléments de la doctrine chrétienne. Ils sauront tout leur catéchisme par cœur ». Il y a ensuite les articles IV et V qui prescrivent que les candidats auront les cheveux « plus courts que le commun des laïques », et qu’il leur sera interdit, dans l’exercice de leur magistère, « de boire et manger dans les cabarets de leur résidence », ou « d’aller aux danses publiques », etc. (Cité par Georges Duveau, Les instituteurs, Paris, Seuil, 1957, p. 9). La liste et la hiérarchie des préoccupations sont claires ; et cela suffit à montrer à quel point l’univers de cette forme de scolarisation est entièrement configuré par les finalités religieuses.

    On voit aussi que, pour comprendre ces époques où l’on est encore très loin d’un système cohérent et unifié par une administration qui règnerait sur le territoire, il faut tenir compte de la grande diversité institutionnelle et géographique. Je viens de poser la différence entre gestion paroissiale et action municipale (qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre). F. Lebrun, M. Venard et J. Quéniart, dans le t. II de l’Histoire  générale de l’enseignement et de l’éducation en France, op. cit.,pp. 273 et suiv. distinguent cinq cas pour la nomination des maîtres. Ceux-ci peuvent être nommés, après examen, directement par la paroisse, sous le contrôle du responsable de l’école, attaché au diocèse, qui se nomme l’écolâtre, ou le chantre. Ils peuvent être élus par les habitants, qui lui font signer un bail pour une durée et un prix déterminés, après une sorte de concours, une « dispute » s’il y a plusieurs candidats (mais souvent, on se contente du seul et unique qui répond à la demande). Ce cas semble plus fréquent dans les départements du Sud. C’est là qu’on voit aussi des postulants se présenter dans les foires, où ils signalent leur niveau de compétence, donc la nature du service offert, par le nombre de plumes à leur chapeau : une seule plume s’ils n’enseignent que la lecture, deux pour la lecture et l’écriture, trois quand s’y ajoute le calcul. Un troisième cas est celui où les habitants choisissent, mais doivent soumettre leur choix à l’approbation du curé, de l’évêque ou du seigneur local ; le quatrième cas est celui où le processus dépend d’un bienfaiteur, qui conserve la haute main sur le recrutement ; et un cinquième cas est celui des écoles protestantes, où le consistoire a l’initiative.

    On devine qu’en guise de maîtres, on n’a pas forcément affaire à des individus très reluisants ! Les raisons de s’engager dans une telle activité sont souvent négatives : on est incapable de faire autre chose, par exemple quand on est infirme, ou chétif et trop faible pour s’employer à des travaux physiquement difficiles. Début XIXe siècle, on verra ainsi dans le circuit des éclopés des guerres napoléoniennes.

    Quels sont les ressources de ces maîtres d’Ancien Régime ? Ils disposent bien sûr de ce que paient les familles, la rétribution, ou « écolage ». Le revenu est alors plus ou moins bon selon que le nombre d’élèves est plus ou moins grand ; encore faut-il se représenter qu’il n’y a pas de fréquentation de l’école régulière et aussi étalée dans l’année qu’aujourd’hui. Cette situation va durer jusqu’à ce que la IIIème  République instaure la gratuité comme chacun sait (mais avant cela, tout au long du XIXe siècle, certains enfants, les indigents recensés comme tels, sont admis gratuitement). Les maîtres d’Ancien Régime sont parfois bénéficiaires d’un traitement, produit d’une imposition municipale (c’est le cas en Provence et dans le Languedoc), imposition qui est soit ajoutée à un impôt traditionnel (la taille), soit nouvellement créée dans ce but. Ils peuvent aussi obtenir un paiement par la fabrique, qui relève alors d’un véritable budget scolaire, établi cette fois sur l’impôt ecclésiastique (la dîme). Et si l’école procède d’une fondation charitable, celle-ci a forcément prévu un émolument.

     

    b) Les écoles de charité

    Les écoles de charité sont, pour l’enseignement des rudiments, l’autre institution remarquable de l’Ancien Régime. Ces écoles ont deux particularités fondamentales. D’abord, elles s’adressent aux enfants pauvres des villes, et elles sont, à ce titre, gratuites : voilà leur destination charitable, précisément. Ensuite, elles sont crées exclusivement à l’initiative de prêtres ou de congrégations religieuses, qui, seuls, ont la capacité de susciter la générosité publique (pour des raisons religieuses toujours, ce qu’indique encore le terme de « charité »), et d’assurer ainsi la subsistance des maîtres, lesquels n’ont alors plus besoin de solliciter les familles. Ceci étant dit, on ne peut pas se faire d’illusions sur le recrutement : plusieurs études ont montré que les élèves des congréganistes dont je vais parler ci-dessous, aux différentes époques, du XVIIIe au XIXe siècle, ne sont pas de vrais pauvres si j’ose dire, des indigents ; ce sont plutôt des enfants issus des catégories inférieures des villes, les artisans notamment, parfois même des enfants issus d’une petite bourgeoisie, et il s’agit donc en général  de familles que la gratuité intéresse, et qui, en outre, sont convaincues par l’efficacité pédagogique de ces écoles – j’expliquerai ce point[1].

    La plus puissante de ces congrégation religieuses enseignantes, qui a laissé dans l’histoire scolaire une trace profonde, car son legs pédagogique, on le verra, est marquant, c’est la congrégation créée par Jean-Baptiste de la Salle en 1680 : les Frères des écoles chrétiennes. Ce sera, encore au XIXe siècle, la plus puissante des congrégations religieuses enseignantes pour les garçons (parmi d’autres, créées au fil du temps et à cette époque plus tardive, aussi bien pour les garçons que pour les filles). Leur fondateur est Jean-Baptiste de la Salle – qui sera plus tard canonisé pour son œuvre. A l’origine, Jean-Baptiste de La salle dirige une communauté vouée à enseigner les filles, les Sœurs du Saint Enfant Jésus, fondée à Rouen en 1666. C’est là qu’il projette de scolariser les garçons, et pour ce faire, avec un autre prêtre, qu’il parvient à ouvrir cinq écoles. Ensuite de quoi il met sur pied un séminaire de maîtres (le problème de la « formation », déjà !), qui sera la base de la congrégation, et qui donnera le moyen d’améliorer très sensiblement la qualité des maîtres congréganistes, par rapport, en moyenne, à ceux des petites écoles. En 1724, après la mort de Jean-Baptiste de La salle, la congrégation est officiellement autorisée, reconnue par lettres patentes. Auparavant, elle a dû affronter les procès de ses concurrents, les régents des petites écoles, et les maîtres écrivains, privés de leur clientèle à cause de la gratuité pratiquée par les frères. La congrégation, victorieuse, sera implantée dans 22 villes en 1719 et dans 116 villes en 1789. Presque 60 écoles seront ouvertes entre 1720 et 1750.

    Pour les filles, il faudrait citer de très nombreuses sociétés de ce type (33 congrégations enseignantes créées entre la fin du XVIe siècle et la Révolution, nous dit Jean de Viguerie (dans L’institution des enfants. L’éducation en France, 16e-18e siècle, Paris, Calmann-Lévy, 1978, p. 62). Je rappelle juste l’existence des Sœurs de la Charité, ou « sœurs grises », liées à l’œuvre du très fameux Vincent de Paul, autre saint bien connu (et incarné au cinéma), à destination des enfants trouvés. L’hospice saint Vincent de Paul existe toujours à Paris ; c’est aujourd’hui un hôpital, qui se situe non loin de la place Denfert-Rochereau, dans le XIVe arrondissement.

    Le principal historiographe des Frères des écoles chrétiennes, Georges Rigault, a retrouvé l récit d’un curé qui nous fait découvrir la manière dont pouvait s’opérer la fondation d’une école chrétienne. Cela se passe vers 1730, dans la Meuse, à Mézières. D’après ce récit, c’est à l’origine une demoiselle pieuse qui, désireuse d’accomplir une action charitable en faveur des enfants pauvres, propose de faire don à la congrégation de la somme d’argent nécessaire à la création. Elle souhaiterait que l’école soit créée dans son propre village, le bourg de Braux-sur-Meuse, mais comme les habitants y sont hostiles (craignant que ça leur coûte notamment la construction du bâtiment), elle se tourne vers Mézières, dont les habitants, mis au courant de son projet, la sollicitent, sans rechigner sur les frais à leur charge (logement, etc.). Les choses se déroulent ensuite dans l’enthousiasme. Et, lorsque tout est arrangé entre les diverses instances intéressées, la demoiselle s’annonce, arrive en bateau, et c’est un jour de joie, toute la ville en liesse, rassemblée à l’hôtel de ville, l’accueille pour la fêter et lui adresser toutes sortes de marques de reconnaissance[2].

    Je précise deux autres points. Les congréganistes hommes ne doivent pas être confondus avec des prêtres, même si, en entrant dans la congrégation, ils adoptent une tenue spéciale, et ils prononcent des vœux, de célibat, de pauvreté, etc., dont leur hiérarchie veille au strict respect. En outre, une question : les congrégations n’ouvrent-elles d’écoles que dans les villes, et spécialement les grandes villes ? Tout simplement parce que les maîtres, les frères, travaillent à plusieurs, ils ne sont jamais seuls et, de ce fait, ils ne peuvent s’installer que dans de grosses écoles, où la fréquentation est importante, avec des dizaines voire des centaines d’enfants, alors que les petites écoles de campagne n’accueillent souvent qu’un tout petit nombre d’écoliers, à quoi un seul maître suffit.

     

    2) La culture scolaire

     

    a) le catéchisme.

    Vous avez sans doute compris la raison très simple de la grande prégnance du catéchisme, « matière » scolaire fondamentale sous l’Ancien Régime, aussi bien dans les petites écoles que dans les écoles de charité : pas de grande différence sur ce plan. Nous avons rencontré plusieurs fois cette donnée de base de la christianisation. La France est un pays qui n’a pas accepté le mouvement de « réformation » religieuse, le protestantisme (et qui l’a combattu avec toute l’énergie que l’on sait : souvenez-vous des terribles guerres de religion, et, par exemple, du massacre de la Saint Barthélémy, en 1572, sous Charles IX). D’où le mouvement opposé, dit de la Contre Réforme (on parle même aujourd’hui des réformes »), dès le milieu du XVIe siècle. Après le grand événement du Concile de Trente (qui dure de 1545 à 1563), l'Église romaine engage à son tour les évêques et les prêtres à lier alphabétisation et catéchisation des enfants ; et c’est là que le catéchisme, méthode d’abord protestante, est repris et mis au service du dogme catholique. La parenthèse pacificatrice qui dure de l’édit de Nantes pris par Henri IV jusqu’à sa révocation par Louis XIV, n’y change rien, bien évidemment. Et cela explique le sens dans lequel agissent les ordres religieux missionnaires aussi bien que les simples curés des paroisses, des villes et des villages. Un prêtre parisien, Jacques de Batencourt, dans un livre intitulé L’escole paroissiale, explique en 1654 : « il est bien plus facile d'instruire [dans la religion] un enfant qui sait lire », et « les Livres servent comme de Maîtres perpétuels à ceux qui savent s'en servir »[3]. Les maîtres, dans ce contexte issu de la Réforme protestante et de la Contre réforme catholique, poursuivent donc à travers l’école leurs propres buts de christianisation, d’évangélisation, dans un esprit de prosélytisme. Ils trouvent dans l’école une ressource typique qui leur permet d’exercer une  influence éducative durable sur l’enfance.

    Pour illustrer cette préoccupation si insistante, voici un exemple de découpage de la journée, adopté dans les écoles charitables créées en 1667 à Lyon, pour les garçons (il y en aura en 1675 pour les filles), par l’un des pionniers du genre, Charles Démia, un prêtre lui aussi, qui a préalablement fondé la Congrégation des sœurs de Saint Charles. A l’arrivée en classe, 7 h en été, 7h 30 en hiver, on commence par les prières, génuflexion, aspersion d’eau bénite, inclinations devant la croix et devant le maître. Puis, une demi-heure de récitation des leçons et du catéchisme. La classe commence alors, par une prière en commun, que l’on récite à genoux, en exécutant les gestes montrés par un « préfet de modestie ». Et c’est alors le moment de la nouvelle leçon de catéchisme proprement dite… La lecture et l’écriture viendront ensuite. (Je cite d’après Gabriel Compayré, « Charles Démia et les origines de l’enseignement primaire à Lyon », in Revue d’histoire de Lyon, 1905, p. 363-365. Pour tout ce qui concerne l’éducation chrétienne et son histoire, on peut consulter un dictionnaire très récent, le Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, dirigé par Guy Avanzini, René Cailleau, Anne-Marie Audic et Pierre Penisson, Paris, Editions Don Bosco, 2010).

    Un mot sur le contenu et la forme catéchisme. Sur le contenu, pas besoin de gloser longuement. Même si il y a eu, et il y a toujours toutes sortes de variantes, d’adaptations, d’évolutions (ce n’est pas le même texte à l’école ou dans la paroisse), il s’agit toujours des éléments fondamentaux du dogme catholique, les vérités de la foi : Dieu, sa nature, Jésus Christ, le mystère de la Trinité, le péché, les sacrements, les vertus théologales (qui mettent en rapport avec Dieu), etc. Bref, c’est « la science du salut » mise à la portée des enfants. Dans la forme, le catéchisme, qui doit être su et récité par cœur, est construit par demandes et réponses. Le procédé, inspiré par certains exercices médiévaux typiques (scolastiques), et introduit dans l’univers protestant par Calvin dans un texte de 1537, le Catéchisme, c’est-à-dire le Formulaire d’instruire les enfants en la chrestienté…, est dans ce cas d’une exceptionnelle efficacité, et il va assurer au genre une quasi pérennité, en donnant à la leçon un ton familier qui la rend très accessible. Exemple de demande : « Qu’entendez-vous par le mot de péché ? » ; et réponse : « Le péché est tout ce qui déplaît à Dieu »… Ou bien : « Qu’est-ce que Jésus Christ ? » ; « Jésus Christ est le fils de Dieu »… Chez les jésuites, il a pu arriver que deux groupes d’enfants se voient affectés à la récitation, l’un  des demandes, et l’autre  des réponses… (Voir J. de Viguerie, L’institution des enfants. L’éducation en France, 16e-18e siècle, op. cit., p. 44).

    Le catéchisme est donc une sorte de théologie pédagogique, propre à instruire l’enfance de ses devoirs spirituels. Mais pas seulement l’enfance, car au début, au XVIe siècle et longtemps après, les adultes sont tout aussi bien concernés par ce genre d’exposé et d’explication. C’est à la même époque que les congrégations fondatrices des collèges dont j’ai parlé dans la précédente séance, jésuites, oratoriens, doctrinaires, se déploient aussi en « missions » qui investissent certaines villes pour une semaine ou deux à la recherche de personnes à convertir, auxquelles ils font écouter des prédications, qu’ils associent à des sermons, et auxquelles ils offrent avant tout ces sortes de leçon en quoi consiste l’exposé du catéchisme. D’après J. de Viguerie (Idem, p. 47), si les diocèses ont créé au XVIe siècle des écoles de catéchisme (j’ai dit en commençant que telle était l’une des origines principales des petites écoles), c’est ensuite, au XVIIe siècle, et précisément sous le règne de Louis XIII, que le catéchisme prend place dans les cérémonies ordinaires du dimanche. Par exemple, en 1642, à l’église Saint-Sulpice, à Paris, tous les fidèles viennent assister à une séance dominicale. Même chose pour les enfants des écoles, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (aujourd’hui l’église des intégristes catholiques - qui maintiennent la messe en latin), sous la direction d’Adrien Bourdoise. Si bien que sous Louis XIV, lorsque le catholicisme s’est imposé, le catéchisme se pratique à peu près partout : et c’est alors qu’il va en quelque sorte se spécialiser pour les enfants, et figurer en tête dans les emplois du temps scolaires.

     

    (à suivre)

     



    [1]Sur la sociologie des élèves des frères, voir R. Chartier, M-M. Compère et D. Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, op. cit., p. 82-84.

    [2]Georges Rigault, Histoire générale de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, Paris, 1937, t. 1 p. 266. J’ai restitué plus longuement cet épisode dans un ouvrage de 1995, Naissances de l’école du peuple, 1815-1870, Paris, Editions de l’Atelier, pp. 19-20.

    [3] Le texte, que commentent de nombreux historiens, était connu, mais l’auteur a été tardivement identifié par Yves Poutet : voir « L’auteur de L’escole paroissiale et quelques usages de son temps », in Bulletin de la Société des bibliophiles de Guyenne, 1963, n° 77, pp. 27-50.


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