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    Séance  5

     

    CHAPITRE III

    (suite)

     

     

     

    II L’EVOLUTION PEDAGOGIQUE EN FRANCE : dans le texte.

     

    J’ai donc entrepris de lire – ou de relire - L’évolution pédagogique en France du point de vue d’une histoire culturelle, et ce point de vue, dans le cas présent, est pour moi celui qui, dans chaque phase de constitution de la culture scolaire et, par conséquent, dans chaque moment d’évolution des institutions d’enseignement, discerne un idéal de culture et d’éducation spécifique. La saisie des idéaux de culture et d’éducation successifs est très claire dans le texte de Durkheim, pour peu qu’on soit attentif  - et je vais m’y employer - aux formulations qui lui sont consacrées. Je vais donc maintenant procéder à une lecture suivie de ce livre (que je cite sous les initiales EP), en m’efforçant de prélever ces formulations à partir desquelles se dessine tout le mouvement d’évolution de l’enseignement de type « secondaire » depuis le Moyen Age.

     

    Avant cela, en guise d’introduction, et pour apaiser mes scrupules, je vais, contrairement à ma dernière remarque de la séance précédente, revenir encore un peu sur le concept d’idéal (ce ne sera pas la dernière fois).

    1) D’abord pour rappeler que je ne parle pas d’idéaux au sens où on parle d’idées et où on « fait » l’histoire des idées en pensant que « les idées mènent le monde ». Je me demande comment on peut comprendre l’évolution des institutions scolaires, et les aspects les plus saillants de la vie collective des maîtres et des élèves, en tant que ces institutions et cette vie sont soumises à des régularités, qu’elles se répètent, se reproduisent dans le temps. Et pour avancer dans cette compréhension,  je me demande, comme tout un chacun peut le faire, quels sont les rôles respectifs des idées (ou des « représentations » et des « discours ») d’une part, et des pratiques d’autre part -  idées et pratiques dont les acteurs sont les sujets (formule pléonastique : je n’en ai pas de meilleure en ce moment). On me dira qu’il n’y a pas d’idées sans pratiques pour les élaborer et les diffuser, ni de pratiques sans idées pour les concevoir, les organiser, les effectuer en leur donnant un but précis… J’en conviens. Mais pour l’instant je laisse de côté cette complication.

    Pour ma part, j’indique seulement (je l’ai déjà fait) que la notion durkheimienne d’idéal ne se confond pas avec la notion des idées comme facteurs agissants, autonomes, qui s’imposeraient de l’extérieur aux pratiques pour leur donner une forme et un sens. C’est pourquoi je mets en avant le constat que Durkheim tient compte des divers contextes pratiques - sociaux, économiques, culturels, institutionnels, etc.- de formation des idéaux à chaque époque. (Autre complication : ceci ne conduit pas  à faire de tel ou tel idéal la simple expression de ces contextes et des éléments qu’ils contiennent. Bref : mettons de la nuance, et… de la complexité).

     

    Remarque. Ce genre de débat se retrouve sous différentes formes, très proches, dans la littérature historique, notamment quand on cherche à identifier et décrire les causes de certains événements et qu’on examine les rôles respectifs de la sphère politique et de la sphère sociale dans la formation de ces événements et au-delà dans la création des grandes institutions qui en découlent et spécifient une société à un moment donné. Je dirai que la dualité des discours et des pratiques se superpose assez bien à la dualité du politique et du social. Je pense aux discussions qui ont eu lieu lorsqu’on a commémoré le bicentenaire de la Révolution, en 1989, et qu’on s’est interrogé sur les grandes idées politiques agitées par les acteurs d’alors, les idées d’égalité, de liberté, etc., qui ont servi d’étendard ou de fer de lance idéologique pour les républicains, pour savoir si elles ont été le premier mobile de l’action révolutionnaire, la cause initiale de la formation du nouvel Etat démocratique (avec l’émergence des droits de l’homme, etc.), et si, par là même, ces idées pouvaient livrer les raisons des événements de la période. En fait, accorder une priorité à la dimension politique (l’invention de la démocratie et la promotion des droits individuels), c’était rejeter la thèse marxiste jadis dominante et refuser d’accorder une priorité aux soubassements économiques et aux appartenances sociales, les appartenances de classe des acteurs de la Révolution (la crise révolutionnaire suscitée par la bourgeoisie montante en conflit avec la noblesse déclinante, conflit qui recèle une contradiction entre d’un côté le capital, les affaires, le commerce, et de l’autre côté la propriété foncière, les offices, etc.). Je fais allusion à la divergence entre ce représentant majeur de la nouvelle historiographie révolutionnaire qu’a été François Furet (Penser la Révolution française, Gallimard, 1978), et, côté marxiste, un historien comme Albert Soboul (voir Histoire de la Révolution française, 2 t., Gallimard, 1962). Le même genre de discussion se produit, bien évidemment, à propos d’autres événements de l’histoire moderne. Voyez sur le nazisme et Hitler l’ouvrage de Ian Kershaw, Hitler, Essai sur le  charisme en politique (Gallimard, 1995 [1991], qui commence précisément par un chapitre intitulé « Le pouvoir de l’ ‘idée’ ».

     

    Remarque annexe. Je vous invite à la prudence. Le débat est plein de pièges. On ne peut  certes pas assimiler le travail de Furet et son refus de l’optique « économiste » à une histoire des idées naïve… Toutefois, on peut toujours s’interroger sur la provenance et les conditions d’apparition des idées en question, donc sur les liens des idées elles-mêmes avec les milieux et les contextes dans lesquels les individus et les groupes sociaux les conçoivent, s’en emparent, en font des motifs de leurs espérances et de leurs décisions. Un article ancien d’un autre historien, Emmanuel Le Roy Ladurie, pourrait apporter de l’eau à ce moulin. Ce texte est intitulé « Système de la coutume » (publié dans les Annales en 1972 et republié dans le recueil Le territoire de l’historien, Gallimard,  1973, p. 222- 251), et l’auteur y rend compte d’un livre de Jean Yver,  Essai de géographie coutumière, Sirey, 1966. Qu’est-ce qui me paraît si savoureux dans ce texte - qui appartient au genre de l’anthropologie historique de la population française ? Tout simplement le fait que la formation de l’idée d’égalité y est découverte dans une modification des pratiques de l’héritage au sein des sociétés paysannes. On est donc très loin des doctrines et des théories politiques libérales ! Il y a eu, après le Moyen Age, et notamment au XVIe siècle, explique Le Roy Ladurie, une « poussée durable de l’égalitarisme » dans le milieu rural, quand on a voulu surmonter l’ancienne coutume successorale qui permettait à l’un des descendants de s’approprier  une partie des terres avant partage, et quand on a commencé de procéder autrement, sur une base nettement plus équitable. Je passe sur le détail assez complexe des règles engagées dans ces pratiques. Je voulais juste vous indiquer que la fameuse idée d’égalité, qui se décline en effet dans les politiques libérales modernes, pourrait bien se révéler sous un autre jour lorsqu’on la trouve aussi profondément enracinée, immergée dans des pratiques sociales de longue durée… C’est une problématique des sciences sociales comparable à celle que Durkheim adopte dans L’évolution pédagogique…, et qui tranche avec l’histoire des idées ou la philosophie politique. C’est sur ce même terrain que je situerai Foucault et sa manière d’envisager l’histoire de la culture…

     

    2) En quels termes la notion d’idéal, qui désigne un horizon de valeurs et de prescriptions attachées à ces valeurs, apparaît-elle dans les textes de Durkheim ? Durkheim définit – et décrit, dans un idéal, une sorte d’élan collectif, autrement dit le contenu déterminé d’une conscience collective. Une des grandes interrogations de la sociologie durkheimienne porte sur l’existence et l’efficace d’une telle conscience collective, je l’ai signalé dans la séance précédente ; et un idéal se comprend en référence à cette efficace. L’idéal est donc une réalité psychique qui s’impose aux consciences individuelles, qui est capable les mobiliser en leur prescrivant des fins, et qui, de ce fait, crée des liens et lance les sujets dans des sociabilités spéciales. L’un des passages les plus explicites sur cette notion d’idéal, un passage théorique (alors que la notion est employée dans un sens plus descriptif dans L’évolution pédagogique), explique que, dans certaines conditions, crises ou autres événements mémorables, les individus entrent dans des rapports plus étroits, agissent les uns avec les autres et les uns sur les autres, et que, de là, surgit « une vie psychique d’un genre nouveau » (« Jugements de valeur et jugements de réalité » ; c’est une conférence de 1911, reprise dans le recueil Sociologie et philosophie, PUF, 1963 [1ère éd. 1924], p. 133. Les idéaux se forment dans ces époques particulières, à des moments d’« effervescence » dit-il (c'est là un autre concept typique, compris dans des expressions comme l’« effervescence des époques créatrices » idem, p. 135), lors desquels ont lieu des réunions plus intenses, des assemblées plus fréquentes et populeuses. Le XIIe siècle par exemple est un temps « d’enthousiasme collectif » où les consciences se rapprochent plus intimement : c’est la « grande crise chrétienne » qui « entraîne vers Paris la population studieuse de l’Europe et donne naissance à la scolastique ». Le même type d’« effervescence » se produira plus tard avec la Renaissance et la Réforme protestante, et ensuite au XVIIIe siècle, à l’époque révolutionnaire, et aussi au XIXe avec les grandes agitations socialistes (idem, p. 134). Je vous fais remarquer que ce texte, qui est écrit parallèlement au cours sur l’évolution pédagogique, retient les mêmes scansions historiques… Du reste, EP, p. 78, évoque l’« effervescence mentale dans tous les peuples européens », au XIIe siècle.

    Voici donc le phénomène et ses résultats : enthousiasme collectif, effervescence et rapprochement des consciences, formation d’idéaux - toutes choses qui constituent au total des moments créateurs et marquants dans l’histoire des civilisations (l’article « Jugements de valeur… », affirme que les civilisations elles-mêmes reposent sur certains « grands idéaux » - p. 134). Durkheim considère donc la société non pas seulement comme un système d’organes et de fonctions qui tend à se maintenir contre les agressions externes, mais aussi comme « le foyer d’une vie morale interne » puissante et originale. C’est l’hypothèse que je disais : quand les consciences individuelles sont ainsi en relation, il y a création d’« une vie psychique d’un genre nouveau » dit Durkheim, qui produit une sorte de synthèse des émotions et des idées collectives. Tel est l’origine et le contenu d’un idéal dans lequel la société « prend conscience » d’elle-même. La notion associée de « vie psychique »  collective est quant à elle évoquée dans de nombreux autres textes, comme les Leçons de sociologie (PUF, 1995 [1950]) dont la quatrième leçon, sur la définition de l’Etat, qui parle également d’une « conscience spéciale » ; c’est aussi un thème important des Formes élémentaires de la vie religieuse (1912).

    Dans ces conditions précise Durkheim, « L’idéal tend alors à ne faire qu’un avec le réel » (« Jugements de valeur… », op. cit., p. 134), si bien que le pôle de la conduite de l’individu est déplacé hors de lui. Si l’homme est en général un être social, il est poussé par la société à  se hausser au dessus de lui-même, il accède à une « vie supérieure » (idem, p. 135), qui se manifeste comme désintéressement sur le plan moral. Ce faisant, il est mû par des forces qui le dépassent, et qui, en outre, se répandent nécessairement, soit sous la forme de « folies héroïques », soit sous la forme de « violences stupidement destructrices » (idem, p. 133). Je cite ces textes assez précisément pour la raison qu’ils contiennent une réflexion de grande portée, à la fois sur les fondements culturels et « psychiques », mentaux, dirions-bous, des civilisations (ce qui nous intéresse ici), mais aussi sur ce qui serait une psychologie des foules, discipline représentée à l’époque de Durkheim par Gustave Le Bon (sa Psychologie des foules date de 1895 et sera lue - et bien lue-  par Freud – voir de ce dernier l’article « Psychologie des masses et analyse du moi », de 1921). Ceci, et la petite notation sur les « violences stupidement destructrices », m’autorise à préciser, si besoin était, que de telles situations et leurs résultats idéaux peuvent apporter autant de rêves enchantés que de cauchemars mortels pour l’humanité. Soyons plus pessimistes que Durkheim semble l’être, qui n’a pas connu les totalitarismes et le nazisme du XXe siècle…

    Revenons au niveau de l’individu. Pour l’individu, un idéal représente une valeur absolue (une sorte de sacré) qui a des fonctions particulières. D’une part il donne un but à poursuivre, une fin à réaliser, même si le futur dans lequel se projette ce but dessine une perspective lointaine. L’idéal donne du sens au monde et à la vie. D’autre part, du même coup, l’idéal commande à la conscience, notamment sur le plan moral. L’idéal est source d’obligations auxquelles on ne peut déroger, sauf à s’exposer à la réprobation  voire à la sanction. L’idéal est pour les individus une force formatrice à la fois d’aspirations (élevées) et d’obligations (impératives).

     

    *****

     

    J’en viens à L’évolution pédagogique en France (EP). Durkheim annonce son objet dans les termes que je viens d’indiquer, dès le premier chapitre, en disant : « ce n’est pas seulement  l’organisation de l’enseignement que l’histoire nous aide à comprendre, mais aussi l’idéal pédagogique que cette organisation a pour but de réaliser » (p. 18). Et un peu  plus loin, pour préciser sa méthode : « Au lieu de nous demander d’abord en quoi consiste l’idéal contemporain, c’est à l’autre bout de l’histoire qu’il faut nous transporter ; c’est l’idéal le plus lointain, le premier qu’aient élaboré nos sociétés européennes, qu’il nous faut d’abord chercher à atteindre ». Et encore ceci : « C’est l’évolution de l’idéal pédagogique français dans ce qu’il a de plus essentiel que nous allons retracer à travers les doctrines où de temps en temps il a essayé de prendre conscience de soi, et à travers les institutions scolaires qui ont eu pour fonction de le réaliser » (p. 25). Remarquez ici une formulation qui obéit au principe de méthode que j’estime fondamental : les doctrines pédagogiques ne sont pas la source ou l’origine des idéaux, mais la médiation par laquelle les idéaux prennent conscience d’eux-mêmes : ce qui suppose qu’ils relèvent d’une autre causalité -  sociale, culturelle, ou de civilisation en général.

    Voilà par où commence notre lecture suivie, principalement guidée par la notion d’idéal « pédagogique » (ou éducatif, ou culturel  - je tiens ces termes non pour équivalents tout à fait, mais pour associés essentiellement). Les grandes articulations de l’ouvrage se laissent ensuite saisir sans difficulté. C’est à quoi je vais me limiter. En gros, Durkheim examine la naissance du souci éducatif chrétien de l’Eglise primitive ; puis il s’arrête à l’idéal de la période carolingienne (Charlemagne) ; à l’idéal des Universités du Moyen Age (XIIe  et XIIIe siècles ) ; à l’idéal de la Renaissance (XVe  et XVIe siècle) ; à l’idéal pédagogique des Jésuites (XVIIe et XVIIIe siècles ; à l’idéal de la Révolution ; enfin aux idéaux du XIXe siècle et de l’époque qui lui est contemporaine. Ai-je assez dit qu’on a là une histoire de l’enseignement qui se produit aussi bien sur le mode d’une histoire culturelle que sur fond d’une analyse sociologique, ce qui brosse au total un tableau d’une très grande richesse, absolument passionnant (peut-être un peu daté aujourd’hui, si l’on admet que, sur les différentes périodes et sur les différents systèmes étudiés par Durkheim, nous avons maintenant une connaissance plus précise et largement développée...).

     

    1) Pourquoi partir de l’Antiquité tardive, et des débuts de la période chrétienne ? Parce que, la première, elle cherche à exercer par l’enseignement une emprise totale sur l’individu identifié comme esprit – un esprit à former ; et parce que, pour ce faire, elle crée dans les monastères (qui existent depuis les IIIe et IVe siècles), une institution ad hoc, qui devient un lieu spécial de culture et de transmission culturelle. Telle fut l’école monacale, et plus précisément le convict, première forme d’internat (EP, p. 36) dans lequel le maître pouvait nouer une relation forte, constante, avec les élèves (ou les disciples). Cette institution précède de quelques siècles et annonce l’école cathédrale (école qui se tient auprès du chapitre des cathédrales). L’éducation, pour obtenir cette emprise globale sur l’âme, se donne les moyens de communiquer des idées, des sentiments, en s’adressant à la fois au cœur et à la raison (p. 30). Son enjeu est très clair : il s’agit de repousser toute culture qui s’oppose à la culture chrétienne et menace ainsi de détourner les sujets de la foi. Mais en même temps, les ordres religieux qui se consacrent à ces tâches d’éducation admettent la nécessité de composer avec la civilisation existante et les normes établies de la culture païenne ; et c'est pourquoi leur projet fait déjà coexister la religion avec une tendance laïque. Il y a là  une éducation qui porte en elle « le germe de cette grande lutte entre le sacré et le profane, le laïque et le religieux » (p. 35).

    Pour comprendre l’idéal pédagogique de cette époque - idéal en gestation, si l’on peut dire, il faut encore saisir ce qui sépare l’éducation antique de cette éducation chrétienne des premiers siècles. Je suis toujours le texte de Durkheim, évidemment. La différence tient selon lui à ce que la dernière ne cherche plus à communiquer des « talents particuliers », dans un but soit esthétique, soit de socialisation (se préparer à tenir un rôle défini dans la société), ce qui fut le cas à Rome. Elle veut plutôt inspirer à l’individu une attitude globale, lui inculquer un « habitus » de son « être moral » (p. 37). Transmettre et imprimer, par conséquent, « une manière chrétienne de penser et de sentir » (p. 38) ; imposer une « orientation générale de l’esprit et de la volonté » (p. 39), dans un « milieu moralement uni » (idem). Ce mouvement profond de l’âme est donc, au sens fort, une conversion.

    Si l’on aperçoit bien la source religieuse de cet idéal, il faut par ailleurs comprendre qu’il se constitue et s’affirme lui aussi en lien avec un état donné de la civilisation. Nous retrouvons le principe de méthode que j’ai évoqué de façon récurrente, loin de l’histoire des idées (je ne le dirai jamais assez !). Ce type d’éducation, en effet, apparaît lorsque les peuples sont parvenus à « un degré suffisant d’idéalisme », c’est-à-dire lorsqu’ils ont assez développé les pratiques de l’intériorité et approfondi la réflexion de l’esprit sur lui-même - ce qui caractérise les religions monothéistes. L’Eglise montre alors aux fidèles le chemin d’une quête spirituelle finalisée par une idée abstraite de la transcendance, idée dont elle enseigne qu’il faut la trouver à l'intérieur de soi.

    J’ai un peu reformulé le texte de Durkheim, mais j’en suis resté très proche. J’ajoute que la dernière remarque fait penser à la manière dont Hegel parle des croisades et de la volonté des croisés de libérer le tombeau du Christ à Jérusalem, quoique la période soit plus tardive que celle envisagée ici, sur un autre plan, par Durkheim (la première croisade est de la fin du XIe siècle, la dernière, neuvième dit-on, date de la fin du XIIIe siècle). Quelle fut la découverte des croisés parvenus à leur fin, demande Hegel ? Eh bien, que le tombeau était vide : et c’est ce qui leur apprit, pour toujours, que l’élément divin ne réside pas dans l’univers sensible, mais dans l’esprit humain lui-même. « Il ne vous faut pas chercher  dans le sensible, dans la tombe, chez les morts, le principe de votre religion, mais dans l’esprit vivant, en vous-mêmes » (Leçons sur la philosophie de l’Histoire, texte posthume, que je cite dans l’édition Vrin, de 1963, p. 303).

    En tout cas, Durkheim précise que l’éducation chrétienne primitive, dans la forme, dans la démarche si je puis dire, a bel et bien fixé « notre conception présente de l’école » (p. 38). « C'est à ce moment que l’Ecole, au sens propre du mot, apparût » (p. 40). Car l’école est « un être moral, un milieu moral imprégné de certaines idées, de certains sentiments, un milieu qui enveloppe le maître aussi bien que les élèves »… Remarque : la proposition est à méditer (d’autant plus que certains auteurs actuels, comme G. Vincent, dont j’ai parlé brièvement l’an passé, ont perçu la naissance de l’institution scolaire telle que nous la connaissons… seulement au XVIIe siècle).

    (à suivre)

     

     


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