• séance 8

     

    CHAPITRE II, La leçon orale (suite) ;

    I) Dans l’enseignement de l’histoire ; § 2) L’idéal et la réalité pratique (suite)

     

     

     

     

    Avant de traiter de la leçon de choses, je voudrais parler encore un peu de la leçon d’histoire. Bien sûr, les sources que j’examine concernent toutes les autres matières. Proche de la leçon d’histoire, la leçon de géographie, dans la logique des normes et des pratiques que je décris, est logiquement passible des mêmes évaluations, et on lui assigne la même perspective de refonte. Dans le volume qui consigne Les conférences pédagogiques faites aux instituteurs délégués à l’exposition universelle de 1878 (ici : 3ème éd. Paris, 1880), l’article d’Emile Levasseur, « L’enseignement de la géographie dans l’école primaire » (conférence prononcée le 16 août 1878), affirme ainsi (p. 8) :

     

    « Il faut éviter que la leçon, - et je comprends en ce moment par ce mot la leçon que l’élève apprend dans le livre aussi bien que le leçon orale que fait le maître – soit une nomenclature sèche, une série de noms propres s’adressant exclusivement à la mémoire…»

     

    On peut donc se persuader que l’argumentaire moderniste s’applique indistinctement à toutes les parties du programme de l’école primaire. Pas besoin, sur le plan des principes, d’adaptation aux différents contenus.

    Sur le chapitre de la leçon orale, telle qu’envisagée dans l’enseignement de l’histoire, la littérature pédagogique de la Troisième République est, somme toute, tiraillée entre deux tendance opposées mais complémentaires. L’une est la grande prédilection pour la norme nouvelle, à laquelle sont attribués tous les mérites didactiques possibles et imaginables, et qui fait ainsi l’objet d’une obsédante diffusion par les autorités centrales ou locales ; mais l’autre est la non moins grande déception face à la lenteur des évolutions et au faible nombre de maîtres qui y contribuent. Les désagréables constats qu’A. Pizard emprunte aux inspecteurs généraux sur l’histoire enseignée émaillent son livre ; c’est une véritable litanie qui ne se prive jamais de dénoncer une « leçon du professeur [qui] n’est que la pâle récitation d’un chapitre précis… » (A. Pizard, L’histoire dans l’enseignement primaire, op. cit., p. 117, qui évoque à ce moment l’enseignement historique dispensé dans les écoles normales et les lycées).

    Très conscients des difficultés, les autorités n’ont certes pas baissé les bras, et on les voit toujours maintenir le cap, ne pas renoncer à l’énonciation et à la diffusion des normes de la leçon orale, y compris en proposant des entraînements pratiques, ou du moins des observations en situation, là où c’est possible. Parmi les témoignages adressés à Jacques Ozouf à l’occasion de sa fameuse enquête sur les instituteurs de la Belle Epoque, l’un deux fait revivre un maître qui a exercé à Saint-Christophe-en-Brionnais (Saône-et-Loire) et il rappelle que sa génération « s’est entraînée [à l’école annexe] aux ‘leçons orales’, aux exposés devant des élèves trop passifs. On y négligeait la partie routine, la répétition, le mécanisme » (Jacques et Mona Ozouf, La république des instituteurs, Gallimard-Le Seuil, 1992, p. 274). Notons les guillemets pour encadrer l’expression de « leçon orale », ce qui signale un statut d’originalité insistante, que cependant l’auteur dédaigne ostensiblement au profit de l’enseignement « par le livre ».

    Un autre exemple d’entraînement systématique est le suivant : c’est ainsi que furent orientées des conférences que le Musée pédagogique organisa en vue de la préparation à l’examen du professorat des écoles normales primaires, pour des candidats qui étaient souvent des instituteurs (cf. Revue pédagogique, t. XIII, 1888, n° 8, août ; à cette époque, le musée était installé à Paris, rue d’Ulm, non loin de l’Ecole normale supérieure, dans un bâtiment qui accueillera plus tard, en 1954, le Centre National de Documentation Pédagogique, CNDP, et puis aussi l’Institut National de la Recherche et de la Documentation Pédagogique, INRDP, et enfin l’Institut national de recherche pédagogique, INRP). En histoire, c’est un professeur de l’école normale d’Auteuil à Paris (l’école normale de la Seine), M. Ducoudray, qui conduit cette préparation. D’après son rapport (cité ici p. 364-367), il a eu l’année écoulée cinquante inscrits, dont 25 participants attentifs et tout à fait engagés dans la préparation, certains venant d’ailleurs de loin (de Chartres par exemple). Sur le contenu, les sujets abordés, conformes au programme de l’examen, présentaient un vaste panorama de l’histoire nationale. Ce panorama commençait avec « les origines » -  la Gaule romaine, le démembrement de l’empire de Charlemagne, etc. -,  et s’achevait par la comparaison des règnes de Louis XVIII et de Charles X, et, pour ne pas oublier les questions contemporaines, par l’unité italienne et l’unité allemande. Mais lorsqu’il fallut aborder la méthode d’enseignement appropriée, et c’est ce qui m’intéresse ici, le professeur Ducoudray dit avoir rencontré des difficultés. Il lui fallut en effet lutter contre la tendance des maîtres à « abuser de la mémoire », c’est-à-dire contre leur habitude de s’en remettre à la récitation de nomenclatures. Du coup, en plus de l’exposé scientifique, le professeur jugea bon d’organiser un entraînement aux pratiques orales (p. 366), sous forme d’une leçon que les impétrants devaient faire, chacun à leur tour, devant les autres participants :

     

    «… le maître désigné écrivait d’avance au tableau noir le plan détaillé de la leçon (…) Il exposait ensuite la question et se trouvait exactement dans la même situation qu’à l’examen (…). Le candidat s’aguerrissait. En dehors de la préparation scientifique, il doit en effet se préoccuper d’acquérir les qualités de diction indispensables aux professeurs »… (…) / L’exposition terminée, un des assistants était invité à formuler ses critiques »… 

     

    C’était là, en gros la procédure de formation la plus répandue, celle adoptée notamment dans les conférences pédagogiques organisées par les inspecteurs primaires auprès des instituteurs en exercice. J’en donnerai ci-après un exemple.

     

    3) La bonne pratique.

    J’en viens maintenant à l’aspect positif des choses. Après avoir saisi les normes ou la logique des normes de la leçon orale dans l’enseignement de l’histoire, j’ai voulu mesurer l’écart qui, pendant longtemps, sépare les normes théoriques (ou modèles normatifs), des normes d’usage c’est-à-dire des pratiques. C’est en ce sens qu’A. Pizard, en pédagogue pragmatique, entend tenir compte des capacités réelles des maîtres et, dans un chapitre de son livre sur les méthodes et les procédés d’enseignement à l’école primaire (c’est le chapitre X), exprime le souci de « descendre des hauteurs de la théorie pour voir exactement ce qui se passe à l’école primaire », et « considérer la moyenne des écoles » au lieu d’apprécier la leçon orale « dans les meilleurs établissements de Paris » (p. 178). De là conclut-il que la leçon orale, déjà difficile pour les bons maîtres, à cause des connaissances – et des préparations - qu’elle suppose, est impraticable par les maîtres médiocres, qui, dans le meilleur des cas, s’ils se lancent, croient pouvoir improviser et commettent sur le fond toutes sortes d’erreurs ou d’inexactitudes.

    Mais voilà…, il y a quand même de bons maîtres dans… de bonnes écoles. Je vais donc adopter maintenant le point de vue inverse, et examiner quelques témoignages relatifs, cette fois, aux pratiques qu’on a estimées proches ou même tout à fait appropriées aux normes théoriques, ce qui permettra d’expliciter à la fois ces dernières et les normes d’usage correspondantes.

    S’impose ici un récit fameux, souvent reproduit, souvent commenté à cause de son caractère exemplaire et aussi de la personnalité de son auteur, puisque celui-ci n’est autre qu’Ernest Lavisse, celui que Pierre Nora qualifia naguère d’« instituteur national » (dans l’article « Lavisse, instituteur national », in Les lieux de mémoire, t. 1, La République, Paris, Gallimard, 1984). Je rappelle que Lavisse, professeur à la Sorbonne, où il domine les études historiques, a rédigé l’un des manuels les plus utilisés pendant des décennies, tiré à un million d’exemplaires, dont le premier tome inaugura en 1876 une collection de l’éditeur Armand Colin, et qui s’intitulait La première année d’histoire de France. Ce manuel, version scolaire de sa monumentale  Histoire de France (vingt sept volumes publiés entre 1901 et 1911, puis 1920 et 1923), est plus connu sous le vocable du « petit Lavisse ». Le récit que j’évoque a été publié dans la Revue des Deux-Mondes du 15 février 1882. Lavisse était allé quelques temps auparavant en visite dans une école primaire parisienne :

     

    « J’arrivai au moment où un jeune maître commençait une leçon sur la féodalité. Il n’entendait pas son métier, car il parlait de l’hérédité des offices et des bénéfices, qui laissaient absolument indifférents les enfants de huit ans auxquels il s’adressait. Entre le directeur de l’école ; il l’interrompt et, s’adressant à toute la classe : ‘qui est-ce qui a déjà vu un château du temps de la féodalité ?’. Personne ne répond. Le maître s’adressant alors  à l’un de ces jeunes habitants du Faubourg Saint-Antoine : ‘tu n’as donc jamais été à Vincennes ? – Si, monsieur – Eh bien ! tu as vu un château du temps de la féodalité’. Voilà le point de départ trouvé dans le présent. ‘Comment est-il, ce château ?’. Plusieurs enfants répondent à la fois. Le maître en prend un, le conduit au tableau, obtient un dessin informe qu’il rectifie. Il manque des échancrures dans la muraille. ‘Qu’est-ce que cela ?’. Personne ne le savait. Il définit le créneau. ‘A quoi cela servait-il ?’. Il fallait deviner que cela servait à la défense. ‘Avec quoi se battait-on ? Avec des fusils ?’. La majorité : ‘Non, monsieur. – Avec quoi ?’. Un jeune savant crie du bout de la classe : ‘Avec des arcs’…. »

     

    Que faut-il d’abord remarquer dans cet extrait ? A quoi devons-nous d’abord prêter attention, qui va permettre de cerner les valeurs engagées dans la leçon orale et inscrite dans sa norme pratique principale ? A deux éléments, que tout le monde aura sans doute constatés. D’abord au fait que l’exercice de la parole y est un exercice dialogué (ce à quoi j’ai déjà voulu vous rendre sensibles). Ensuite au fait que ce type d’entretien a pour but de trouver chez les élèves une connaissance préliminaire, immédiate, un savoir constitué spontanément par eux dans l’environnement autour d’eux (« dans le présent »), dans la réalité locale où ils sont plongés. Deux enjeux de la démarche (échange oral et appui sur le « local ») dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont promis à un bel avenir, étant toujours d’actualité (on dit aujourd’hui « partir des représentations des élèves », etc.). Retenez cette double composante que nous allons retrouver avec la leçon de choses.

    A. Pizard, qui commente la leçon (op. cit., p. 176), nous apprend que la publication de ce récit eut un très grand retentissement parmi les instituteurs, et fut même à l’origine d’une nouvelle campagne d’incitation officielle. Mais, en pédagogue réaliste, ou mieux : pragmatique, je l’ai dit, l’inspecteur Pizard ne se prive pas de regretter que le récit de Lavisse ne dise rien des tâches, en particulier des exercices écrits, qui doivent suivre la leçon, pour en graver les connaissances dans l’esprit de l’enfant : l’autre moitié du chemin reste à parcourir. Je préciserai cela plus loin.

    Avant cela, voici un autre témoignage, duquel ressort un modèle un peu différent, mais convergent. Je me reporte à nouveau au livre d’A. Pizard, qui, outre la leçon relatée par Lavisse, consigne en annexe cet autre récit, tiré de l’une des monographies du musée pédagogique sur l’enseignement de l’histoire. Récit signé de Lemonnier. La scène se passe cette fois dans un cours moyen, à Paris toujours, dans le quartier du Temple. Il s’agit d’une institutrice, et les élèves sont des filles ; la classe comporte un « grand nombre d’enfants » de la « classe  populaire ». (A. Pizard, op. cit., p. 216) :

     

    « La maîtresse avait à les interroger sur Charles V et à leur parler de Charles VI. Elle s’en était tenue, sur Charles V, au roi, et à Duguesclin, et l’on voyait, par les réponses faites, qu’elle avait dû donner la plus grande place à l’anecdote. C’est ainsi qu’elle procéda quand elle arriva à Charles VI ; elle raconta l’assassinat de Clisson, la folie du roi, le meurtre du duc d’Orléans, tout cela d’une façon très familière. Elle ne craignait pas de dire : ‘Ce vilain homme fit tuer le duc d’Orléans… le pauvre roi Charles VI était bien malheureux’. Il fallait voir avec quelle ardeur elle était écoutée, comment on suivait les péripéties de son récit, qui ne se distinguait cependant point par de hautes qualités dramatiques. Quand la maîtresse intercalait une question, dix ou douze mains se levaient, et les corps avec les mains. Il y avait surtout une petite fille, dont les yeux noirs pétillaient, qui mimait le drame raconté ou qui avait des désespoirs amusants lorsqu’une autre avait fait la réponse avant elle. »

     

    On peut dire que ce récit, qui nous transmet lui aussi un entretien avec les élèves, un jeu de questions-réponses, s’attache au degré en quelque sorte inférieur de la bonne leçon orale (ce qui soulève d’ailleurs les réticences d’A. Pizard, regrettant  une « émotion factice » et un « langage puéril », op. cit., p. 177, à savoir sa capacité à captiver les enfants par une expression vivante et dramatisée.

    Pour nous, l’essentiel, ce qui fait la cohérence des deux modèles, celui de Lavisse et le second, c’est par conséquent ce que j’ai indiqué à l’instant, le fait que la norme de l’oral, dans la pratique, ne s’y décline pas sur le mode de la conférence, mais sur celui de l’interrogation, de l’entretien, de la causerie. Telle est, je le répète, l’origine de notre passion pour l’interaction, l’interactif. C’est surtout avec la leçon consignée par Lavisse que se fait jour, au-delà de la capacité narrative du maître, la nécessité d’amener le récit par une ou plusieurs phases de questionnement des élèves, dans le but de rendre le récit historique accessible. Je m’appesantis sur ce point, important, mais qui pourrait passer inaperçu. Car jusqu’ici, mon propos pourrait induire une vision générale dont je parierai volontiers que certains d’entre vous l’auront entendue, presqu’automatiquement, sur le mode du cours magistral. La leçon orale de l’école primaire, dérivée de l’enseignement secondaire (et encore, il faudrait voir cela de près), ce serait un exposé du maître que les élèves écoutent, à l’instar du cours ex cathedra qu’on prend en note dans les facultés et qui agit par la seule force de sa rigueur intellectuelle et des habiletés oratoires (dans le meilleur des cas) de celui qui le profère. Ce serait un rapport direct, mais en même temps distancié, du maître et des élèves. Un maître qui parle, qui définit des notions, qui développe un argumentaire, certes sans livre, du moins sans lecture préalable, mais, surtout, sans que les élèves soient sollicités, et sans qu’ils aient à faire à leur tour un ou des exercices. Or cette manière de procéder est précisément celle du jeune instituteur parisien que son directeur interrompt et remplace au débotté, devant Lavisse ; et c’est celle, en effet, que les pédagogues de la Troisième République veulent éviter, pour faire prévaloir au contraire le mode dialogué, ou du moins le mode de l’interrogation permanente, ce qui va être présenté sous la rubrique de l’entretien.

    Pour les pédagogues et les autorités de l’Etat enseignant républicain, deux écueils sont donc à éviter dans la pratique de la leçon orale. D’une part, l’écueil d’une parole magistrale repliée sur elle-même, si le maître dit ou récite trop vite, ou bien s’il déclame « avec pédanterie » (A. Pizard, op. cit., p. 178) ; d’autre part, l’écueil de la passivité de l’élève, qui pourrait limiter son effort, au mieux,  à « entendre et à enregistrer » (idem, p. 180). Comment éviter ces écueils ? La réponse à cette question oblige à entrer un peu plus dans les pratiques. Pour résumer, je dirai que la bonne leçon orale, en histoire (et ailleurs), a trois séries de conditions : avant, pendant et après. a) avant, c’est la préparation ; b) pendant c’est la manière d’exposer et notamment de questionner les élèves ; c) après, ce sont les exercices indispensables, c’est-à-dire le passage à l’écrit des élèves. Mais c’est seulement lorsque j’aurai traité de la leçon de choses que j’aborderai ces trois points successivement. Je note sans attendre que la description des exercices nous fera saisir les tâches écrites que le maître commande aux élèves en contrepoint de la leçon proprement dite. Il n’y a rien là de mystérieux pour nous, qui sommes en terrain connu.

    Restera, je le dis encore au futur, la question de fond : la place et le rôle du livre. Je rappelle ce que j’ai avancé séance 6, en introduisant ce chapitre II : je cherche « la manière dont (…), se réorganisent les rapports entre l’activité de lecture de livres et l’activité orale sans livre ». Cette réorganisation devra être décrite. Car sur ce plan, une erreur à ne pas commettre (une autre erreur), consisterait à penser  que le nouvel enseignement exclut totalement le livre. Ce n’est pas du tout le cas, et c’est bien pourquoi j’emploie le mot « réaménagement ». Soyons simple. Ce qui est exclu, c’est la lecture-récitation livresque comme mode unique, passif, automatique, sans explication de quoi que ce soit ou avec très peu d’explication (sur le vocabulaire notamment). Et si c’est bien cela qui est relégué, cela laisse place à une autre intervention du livre. Voilà ce qu’il faudra saisir, faute de quoi on n’aurait pas compris le cours des choses pédagogiques modernes. A. Pizard a très bien rendu compte de cette particularité, lui qui a insisté sur la fonction impartie nécessairement au manuel d’histoire dans la leçon orale. La suite de mon enquête, qui abordera la leçon de choses, ne nous dira rien de différent

     

    Remarque

    Je fais un saut dans le présent, ou du moins le passé proche. Concernant l’enseignement de l’histoire à l’école primaire, il se peut que les démarches dites d’ « Eveil », prescrite dans les années 1970 et qui ont laissé une empreinte durable sur l’esprit pédagogique du temps, n’aient été que l’avatar d’une plus lointaine exigence. On en a la preuve si l’on sait que certaines de ses techniques caractéristiques, comme l’analyse de documents par les élèves, l’intérêt pour l’histoire « locale », les visites de monuments, le recueil des mémoires familières, et en général la collecte de faits ou de représentations de faits dans le milieu familier des élèves, sont bel et bien énoncées dès les années 1890 et suivantes (c’est ce que j’ai identifié comme la seconde composante de la leçon orale, la composante de fond, à côté de celle de la forme de l’exposé). Le regard sur le milieu local est au centre de la leçon admirée par Lavisse. L’inspecteur d’académie Alfred Pizard, en 1891, dans l’ouvrage que j’ai abondamment cité, ne fait qu’anticiper les Instructions officielles du 17 février 1908, invitant à  « se servir sans cesse de tous les procédés descriptifs et démonstratifs : gravures, photographies, reliefs, projections, visites aux paysages et aux monuments… », etc., incitation encore renforcée par les instructions officielles du 3 juin 1925 (cf. P. Garcia et J. Leduc, L’enseignement de l’histoire en France…, op. cit., p. 135 et suiv.) C’est dire que l’Eveil, mis en place par l’arrêté ministériel du 7 août 1969 et la circulaire du 2 septembre 1969 (dans lesquelles il est dit que les disciplines que sont l’histoire, la géographie, les sciences, le chant, le dessin, les travaux manuels, et la morale et instruction civique, ont été regroupées sou cet intitulé de l’ « Eveil »), a récupéré, avec ses propres formulations, l’idéal pédagogique expérimental et inductif qui a été d’abord celui de la « leçon orale », défendue par les réformateurs de la Troisième république. Ce constat permet en outre de cerner la contribution des courants d’Education nouvelle à l’évolution moderniste du XXe siècle jusqu’aux années 1960 et 1970. Toutes ces stratégies se pensent sur le retrait du livre et l’affirmation de la parole magistrale, ici soumise aux attentes éventuelles de l’enfant, ce qui n’est pas vraiment le message des pédagogues de la Troisième République. Dans un manuel (que je choisis parmi tant d’autres), pour les maîtres, L’école élémentaire. Orientations et didactique, Istra, Paris, 1982, par R. Toraille, C. Villars et J. Ehrhard, les auteurs, évoquant les disciplines d’Eveil, font eux-mêmes référence à la volonté de Jules Ferry d’introduire une « éducation libérale » dans l’enseignement primaire - jusque dans les écoles des hameaux les plus reculés (p. 370) ; et, plus explicitement encore, à la continuité « de la leçon de choses aux activités d’éveil », celles-ci étant conçues comme de « véritables  activités de recherche qui trouvent  leur point de départ et leurs motivations dans le questionnement de l’enfant » (p. 446). Il y aurait d’autres choses à dire sur l’importation didactique d’un modèle de l’investigation scientifique, pour ne pas dire d’une posture pseudo savante. Elle a sans doute une autre cause que didactique depuis 50 ans :  la pénétration ou la déviation des enjeux de l’école primaire par la logique de l’enseignement secondaire -  dans lequel tous les élèves sont désormais versés après le Cours moyen deuxième année.

     

     

     


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