• 2016-11 Les maîtres (1)

    Séance 11

     

    Chapitre II

    ORGANISATION DE LA VIE ET DU TRAVAIL

    DANS LES ANCIENS COLLEGES

    (suite)

     

     

     

    II LES MAÎTRES

     

    Si je consacre cet envoi aux maîtres qui officiaient dans les anciens collèges depuis les XVIe et XVIIe siècles, c’est dans le but de bien faire comprendre cette chose très simple mais très importante, à savoir la présence renforcée des adultes dans ces établissements - des adultes et notamment des maîtres qui sont animés par une grande ambition éducative, tout en étant par ailleurs d’une très bonne qualité intellectuelle. Il s’agit d’une autre face de l’évolution qui s’effectue dès la Renaissance et conduit à la modernité en matière d’enseignement. Et là aussi, on va constater que les jésuites ont été en pointe dans ces progrès, spécialement dans les grands collèges, les collèges de plein exercice. Y compris dans les collèges de moindre importance, les collèges d’humanités, on voit un personnel plus mobilisé et attentif aux élèves et à leurs études, même si la réalité de ces collèges, notamment ceux ouverts à l’initiative de municipalités modestes (par différence avec des villes comme Bordeaux, dont je vais reparler), est nettement moins éclatante. Même si, par ailleurs, de nombreux régents sont des jeunes gens encore eux-mêmes étudiants à un niveau supérieur, qui ont peu d’attaches avec tel ou tel collège, sont donc très mobiles, quasi itinérants, préférant changer au gré de leur intérêt J’ai signalé à la  fin de la séance 7 le fait que, dans les collèges des XVIe et XVIIe siècles déjà, le personnel enseignant est présent en plus grand nombre et qu’il coexiste avec d’autres adultes, qui remplissent d’autres fonctions et jouent un rôle de plus en plus affirmé et scrupuleux auprès des élèves.

     

    Remarque 1. Pour ce qui concerne le vocabulaire de référence, je suis à nouveau dans l’expectative lorsqu’il s’agit de fixer la différence éventuelle entre « régents » et « professeurs ». On nous dit parfois que le mot « régent » s’applique aux maîtres des petites classes, les classes de grammaire, tandis que le mot « professeur » s’appliquerait davantage aux maîtres des hautes classes, humanités, rhétorique et philosophie. C’est ainsi que s’exprime Joseph Delfour dans Les jésuites à Poitiers… (op. cit., p. 262). Mais récemment, un historien comme Boris Noguès, dans son Archéologie du corps enseignant (op. cit.), suggère une utilisation indistincte des deux termes. Il suit en cela la thèse, publiée en 1902, de Maxime Targe, Professeurs et régents de collège dans l’ancienne Université de Paris (XVIIe et XVIIIe siècles), titre qui laisse pourtant penser qu’il y eut une différence claire sinon entre les deux statuts institués du moins entre les rôles assumés auprès des élèves et reconnus par les supérieurs, ce que, donc, ne confirme pas du tout le texte (p. 89, à propos des classes et des maîtres des deux années de philosophie, il mentionne aussi bien des professeurs que des « régents de philosophie »). Il en va donc pour ces termes comme pour d’autres en ce domaine (je pense à l’expression « collège d’humanités »). Du coup, comme j’en ai pris l’habitude, je ne tranche pas entre les deux possibilités, suspectant que les deux usages durent être aussi valables l’un que l’autre, selon les cas, selon les collèges, les régions, ou selon les époques… : en l’occurrence l’usage de l’Université parisienne était spécifique. C’est peu important au fond.

     

    Remarque 2. Je viens de citer le travail de Boris Noguès sur les professeurs des collèges parisiens de l’Université et précisément de la Faculté des arts (à l’exclusion, donc, des jésuites et du collège Louis-le-Grand), du XVIe au XVIIIe siècle. Ce livre donne beaucoup de données chiffrées, établies avec une grande rigueur, donc très fiables, sur l’origine sociale des maîtres, leur provenance géographique, les titres en leur possession donc leur degré d’avancement intellectuel, le déroulement de leurs carrières, leurs ressources économiques, etc. – questions dans lesquelles je n’entre pas. Il nous renseigne aussi sur les difficultés d’exercer ce « métier » de régent (on dit « régenter »), difficultés qui expliquent les problèmes de recrutement du XVIIe au XVIIIe siècle (voir B. Noguès, Une archéologie du corps enseignant…, op. cit., p. 73-74. Sur cette question voir aussi les explications de M. Targe, Professeurs et régents de collège…, op. cit., p. 58-59 : c’est bien une question récurrente aux XVIIe et XVIIIe siècles).

     

    1) Pour évaluer la taille et la composition du corps professoral, en moyenne, dans les collèges, voici quelques indications. Il me faut d’abord confirmer le renforcement du corps professoral et l’augmentation du nombre de maîtres (ce qui m’intéresse à cause des conséquences sur le plan des conditions de l’exercice professionnel mais aussi sur celui des techniques d’enseignement). Ce renforcement, d’ailleurs, ne s’effectue pas vraiment à cause de l’accroissement du nombre d’élèves ; il est d’abord fonction de la division du cursus en niveaux ou en classes spécialisées par un contenu d’enseignement (c’est ce que j’ai examiné dans la séance précédente).

    Jules Quicherat au sujet du collège de Sainte-Barbe, à Paris (les élèves de Saint-Barbe étaient nommés les gilotins, d’après le nom de l’abbé Germain Gillot, le rédacteur du règlement du collège, qui, très riche, fut aussi le principal soutien financier des pensionnaires), affirme que le nombre des maîtres y est multiplié au XVIIe siècle, sous Louis XIV. Il impute ce fait à une volonté d’assurer une surveillance continuelle de chaque élève, à l’imitation des écoles de Port-Royal. Il fallait faire en sorte que chaque adulte n’ait plus à sa charge qu’un groupe  de huit ou dix enfants – étant entendu que la vigilance s’attache au premier chef à l’instruction religieuse. Renseignement intéressant, mais qui concerne bien évidemment non les classes mais la pension.

    L’ouvrage de Maxime Targe (que je viens de citer), sur les régents parisiens de la Faculté des arts, donne une idée plus précise du nombre de maîtres par établissement. D’après cet auteur, au début du XVIIe siècle, les 9 grands collèges de Paris (collèges de plein exercice, je le dis une fois de plus) comptent en moyenne 8 professeurs. Constatons donc que, comme annoncé, ceci répond exactement au modus parisiensis et aux huit niveaux ou classes bien définis de la scolarité totale (M. Targe, Professeurs et régents de collège…, op. cit., p. 36). Si l’on se souvient que ces établissements peuvent accueillir des centaines d’élèves, jusqu’à 1000, voire 2000…, cela nous indique que les classes sont très populeuses, réunissant souvent plus de 100 élèves et jusqu’à 200.

    Retournons au XVIe siècle et, en l’occurrence, à Bordeaux, au collège de Guyenne. En 1537,  ce collège (qui, à l’origine, subit l’influence du courant protestant) emploie 15 et bientôt 17 professeurs, certains étant bien connus et estimés dans la ville. Depuis 1534, année de la création, ces maîtres sont sous la direction d’André de Gouvéa (ou Gouvéia), un portugais qui a été Principal du collège de Sainte-Barbe puis Recteur de l’Université de Paris. Près de deux siècles plus tard, en 1713, on compte dans ce même collège (selon Ernest Gaullieur, Histoire du collège de Guyenne, op. cit., p. 468 et suiv.) : 1 professeur de philosophie, 1 professeur de mathématiques, 1 professeur de rhétorique, 1 professeur d’humanités, 1 professeur (et prêtre) pour la 3ème ; 1 professeur pour la 4ème ; 1 professeur pour la 5ème ; 1 professeur pour la 6ème ; 1 professeur d’anglais ; 1 professeur de hollandais. A nouveau, la distinction des classes, fondée sur le programme de connaissances humaniste, est tout à fait visible. Il y a en outre dans ce collège un professeur de « tenue de livres » (E. Gaullieur, idem, p. 490) ce qui désigne les comptes à tenir dans le commerce ; le maître en question est donc un arithméticien. Cet enseignement est exigé par les jurats et au-delà par les familles engagées dans le négoce, nombreuses à Bordeaux, du fait de l’activité maritime. Nous avons donc au total 11 professeurs en exercice dans ce collège de Guyenne, en ce début du XVIIIe siècle. Mais, une fois de plus, demandons-nous : pour combien d’élèves ? E. Gaullieur parle d’un nombre d’élèves « très considérable » dans les années 1560 (idem, p. 284). En réalité, comme je le disais précédemment, cela signifie des centaines d’enfants. Le répertoire de M.-M. Compère et D. Julia donne pour 1540 le chiffre de 2500 écoliers ; quoique, plus d’un siècle après, en 1676, ils ne sont plus que 1600 environ (M.-M. Compère et D. Julia, Les collèges français…, op. cit., p. 141). La chute doit sans doute s’expliquer par la concurrence d’autres collèges, notamment le collège jésuite de La Madeleine, qui accueille 400 élèves dès son ouverture, en 1572. Ceci vérifie qu’à l’époque il n’est pas rare que les effectifs des classes se montent à 100 ou 200 élèves. Ce qu’on appellerait aujourd’hui le taux d’encadrement est donc très faible si on le compare aux normes actuelles.

     

    Remarque 3. Comment devient-on régent dans un collège de la Faculté des arts de l’Université parisienne – laquelle Université rejette toute candidature issue des communautés religieuses, ceci pour préserver son indépendance, ce que nous avait déjà révélé son opposition résolue aux jésuites.

    Avant de répondre à cette question, je précise qu’au XVIIe siècle, la Faculté des arts de l’Université de Paris est dotée d’un règlement de 1600, adopté dans le cadre de la réforme décidée par Henri IV en 1598. Au terme de cette réforme, imposée par le triste état de cette institution après les guerres de religion, de nouveaux statuts ont été promulgués (sur les maîtres, les élèves, les classes, les programmes, etc.) sensiblement différents de ceux, très importants également, élaborés en 1452, sous Charles VII, par le Cardinal d’Estouville, suite à une exigence du pape. Notez ainsi que ce qui se fait au XVe siècle à l’initiative du pape est fait à l’initiative du roi au XVIIe

    Puisque j’en suis là, à celles et ceux qui souhaiteraient disposer d’une vision  panoramique de l’histoire des universités depuis le Moyen Age jusqu’à nos jours, je recommande le livre  dirigé par Jacques Verger, Histoire des universités en France, Toulouse, Privat, 1986. Il existe aussi une série de notices historiques synthétiques sur chacune des universités françaises, dans un petit livre hélas méconnu de Simonne Guénée, Les universités françaises des origines à la Révolution, Paris, Picard, 1982.

    Traditionnellement, le titre exigé pour devenir maître es arts, c’est le baccalauréat de cette Faculté. Mais pour pouvoir passer l’examen il faut satisfaire à une condition impérative : avoir suivi les deux années complètes de philosophie dans un des collèges de l’Université. C’est pour remplir cette obligation que les élèves des jésuites sont contraints de quitter leur collège après la rhétorique et d’aller suivre ailleurs, dans un collège de l’Université donc, les leçons de philosophie, et ce pendant les deux années requises - je dirai en quoi consistent ces cours : rien à voir avec aujourd’hui. Une fois ce cursus achevé, l’élève, muni d’une « lettre testimoniale », une attestation réglementaire de son maître, doit accomplir diverses formalités, notamment présenter son cahier de philosophie entièrement rédigé de sa main (sur ces exigences, voir M. Targe, Professeurs et régents…, op. cit., p. 66 et suiv.). Ensuite de cela, il est appelé devant ses juges, quatre examinateurs de sa Nation (il y a quatre Nations à l’Université de Paris : de France, de Picardie, de Normandie, d’Allemagne). L’épreuve peut avoir lieu à divers moments de l’année. L’interrogation, orale et en latin, comme il se doit, se déroule alors selon des modalités très précises elles aussi. Elle prend, de manière plus ou moins développée, la forme traditionnelle de la dispute ; et elle porte sur les différentes parties du programme de philosophie, c’est-à-dire, vous vous en doutez, sur les ouvrages lus et commentés par les maîtres – ouvrages d’Aristote en l’occurrence. A cela peuvent s’ajouter des questions de rhétorique ou même d’arithmétique et de géométrie : tout dépend des usages admis par les différentes Nations. Le tout dure environ trois heures (M. Targe, idem, p. 72). Je viens de dire « selon des modalités précises ». En voici une partie aussi surprenante que charmante, décrite par M. Targe. Celui-ci nous apprend en effet que lorsque l’examinateur pose une question, et chacun en pose une tour à tour, il emploie nécessairement des formules de civilité fort laudatives, du type (en latin toujours) « candidat très savant » ; à quoi ce dernier répond lui-même par une formule du type : « méritissime examinateur… ». On met les formes à cette époque (époque très violente par ailleurs !). A la fin de l’examen, le titre est décerné si l’élève a obtenu trois suffrages des examinateurs. Il est difficile d’estimer le niveau de l’épreuve ; mais au XVIIIe siècle, on s’est souvent plaint de la faiblesse des acquis certifiés par les juges.

    Une fois le titre décerné, que se passe-t-il pour le nouveau bachelier ? Celui-ci peut soit poursuivre ses études  dans l’une des facultés supérieures, soit devenir maître es arts, et donc, comme enseignant, demeurer dans la Faculté des arts. Il lui faut alors subir l’examen de la licence - ce terme désignant simplement l’autorisation d’enseigner. Cette nouvelle épreuve, qu’on subit généralement dans la foulée, est fondée sur les mêmes acquis de philosophie que ceux du baccalauréat. La principale différence entre la licence et le baccalauréat tient à ce  que l’examen de la licence ne se passe plus dans la Nation du candidat si bien que le jury est présidé par le chancelier de Notre-Dame ou celui de Sainte-Geneviève, les autorités religieuses proches. Il y a à nouveau des solennités, des attestations officielles à fournir, des démarche plus ou moins rituelles à effectuer ; mais, encore une fois, l’examen en lui-même, tel qu’il s’est pratiqué à l’âge classique et jusqu’à la Révolution, n’ajoute rien à celui du baccalauréat.

     

    J’ai parlé du collège jésuite bordelais de La Madeleine avec ses 400 élèves en 1572. La même année, le corps professoral de ce collège est composé de 4 professeurs de théologie - dont 1 pour les « cas de conscience » (j’expliquerai plus tard de quoi il s’agit et quel est l’intérêt de cet enseignement) et 1 pour l’écriture sainte et l’hébreu – 2 professeurs de philosophie (pour les deux années) ; 2 professeurs pour la rhétorique (qui donnent une leçon le matin, une autre le soir, chaque jour) ; un seul professeur pour les humanités, et 4 régents de grammaire (ce sont les professeurs de latin pour les classes inférieures, la 6ème, la 5ème, la 4ème, la 3ème). A côté voire au dessus de ces maîtres s’activent aussi, puisque nous sommes chez les jésuites, deux « préfets des études » (autre caractéristique, qu’il faut retenir, sur laquelle je vais insister bientôt), un pour les classes inférieures, l’autre pour les classes de seconde, de première, c’est-à-dire les humanités et la rhétorique, avec la tâche de surveiller les écoliers mais aussi les maîtres (E. Gaullieur, Histoire du collège de Guyenne, op. cit., p. 325-326). Le collège de La Madeleine comptera au XVIIe siècle 54 adultes en exercice, 24 d’entre eux étant affectés aux fonctions d’administration et surtout aux fonctions religieuses qui supportent l’activité de la Compagnie y compris hors du collège, dans la ville (souvenons-nous de l’entreprise prosélyte, du combat contre les protestants et de l’importance, à ce titre, de la prédication et des missions).

    Faisons un petit arrêt à Poitiers en remontant vers le Nord, avant d’arriver à Paris. L’étude de Joseph Delfour (Les jésuites à Poitiers…, op. cit., deuxième partie, p. 210 et suiv.) indique diverses catégories de collèges jésuites selon l’importance et donc le nombre de régents et de classes. En fait (d’après J. Delfour en tout cas … je suis prudent étant donné mes nombreuses mises en garde!), les jésuites distinguent leurs collèges en fonction du nombre de régents : il y aurait ainsi une 1ère, une 2ème et une 3ème  catégorie, et cette dernière, la plus haute, serait celle qui repose sur la présence des enseignements de philosophie et de théologie. Dans les Grands collèges des jésuites ajoute J. Delfour, il se peut qu’on donne des cours d’arabe, de sanscrit ou d’autres langues orientales (cet auteur oublie de mentionner l’hébreu qu’on vient d’apercevoir à Bordeaux, et qui revêtait une assez grande importance, au moins dans le programme idéal). Dans cette catégorie, en 1720, le collège de Sainte-Marthe emploie 13 régents pour 1700 élèves. On est donc toujours, à peu près, dans le même ordre de grandeur qu’au collège de Guyenne.

     

    Remarque 4. Un autre auteur, Henri Lantoine, restitue une catégorisation différente des collèges jésuites, du moins ceux servant de séminaires pour les novices de l’Ordre (tout en accueillant d’autres élèves). Une première catégorie, dit-il, comprend les Grands collèges, qui disposent d’un revenu de 20 000 francs et entretiennent un encadrement de 100 personnes. Ce sont des collèges où l’on enseigne la philosophie, la théologie et les langues orientales (même indication que J. Delfour). La deuxième catégorie dispose de 16 000 francs pour un personnel de 50 personnes. Ces collèges limitent leurs enseignements aux « lettres humaines » et à la philosophie (ce qui pour nous signifie collège de « plein exercice »). La troisième catégorie enfin est celle des petits collèges, qui disposent juste de 10 000 francs, pour un personnel de 40 religieux, et dont l’enseignement s’arrête à la rhétorique (H. Lantoine, Histoire de l’enseignement secondaire en France au XVIIe et au début du XVIIIe siècle, Paris, 1874, p. 70-71). Vous voyez une fois de plus que, dans ces catégorisations, il y a pas mal de souplesse, pour ne pas dire un peu d’hésitation.

    Il existe par ailleurs 6 sortes d’établissements des jésuites : outre les collèges,  les maisons professes, les pensionnats ou séminaires, les noviciats, les résidences, et les Missions (en pays d’infidèles ou d’hérétiques).

     

    Remarque 5. En lisant la monographie de J. Delfour (Les jésuites à Poitiers…, op. cit., p. 214 et suiv.), on apprend que le collège jésuite de Poitiers est fondé sur la structure hiérarchique suivante, semble-t-il identique à celle de la plupart des Grands collèges de la Compagnie. A sa tête, un Recteur ou un vice-recteur, qui a autorité sur tous les aspects de la vie du collège. « Recteur », le terme en vigueur chez les jésuites, est équivalent à Principal dans les autres collèges ; on va trouver le même mot à Louis-le-Grand ; « Recteur » est aussi le titre de la plus haute autorité de l’Université). Il y a ensuite un préfet des études également nommé Censeur, qui veille à la bonne marche de l’enseignement et de la discipline ; puis il y a un Procureur ou Syndic, chargé, comme les économes de nos jours, des affaires financières et matérielles.

     

    2) Arrivons maintenant à Paris, au collège Louis-le-Grand (ex collège de Clermont) : il dépasse en tous points les autres collèges jésuites et, a fortiori, les collèges des Universités. Louis-le-Grand, collège royal, est au sommet de l’activité enseignante des jésuites et, comme tel, il est privilégié par la Compagnie, comme dit G. Dupont-Ferrier (Du collège de Clermont au collège Louis-le-Grand, t. 1, op. cit., p. 38). Cet établissement emploie des maîtres d’élite pour enseigner des élèves d’élite, issus de l’aristocratie (pas uniquement d’ailleurs). J’ai déjà cité un autre auteur, A. Franklin, qui restitue les données contenues dans un registre de ce collège pour 1788-1789 (La vie privée d’autrefois… Ecoles et collèges…, op. cit., p. 231). On y voit  la multiplicité des fonctions assumées par les adultes : 1 Principal, 4 sous-principaux, 24 professeurs et 2 sacristains. Et ce pour environ 2500 élèves au moins - ce qui montre toujours un taux d’encadrement très faible. Cette statistique toutefois ne contient pas l’élément sur lequel j’ai attiré votre attention, à savoir les différentes sortes de préfets, qui surveillent et font éventuellement travailler les élèves en dehors des classes - sans parler des précepteurs particuliers qui accompagnent les élèves des familles riches. Presque deux siècles plus tôt, au moment de la création de ce collège, en mars 1564, une liste (incomplète) mentionne 22 maîtres (G. Dupont-Ferrier, idem.) ; puis, en 1587, alors qu’un pensionnat est en fonction, on dénombre plus de 80 adultes, dont 32 sont occupés aux divers aspects de la gestion de ce pensionnat. En 1696, ceux qui s’occupent du collège seul sont 67 (sans les auxiliaires), et il semble qu’ensuite, ce nombre augmentât sensiblement… On peut noter que très peu de professeurs de ce collège sont français. Jusqu’à l’expulsion de 1762, ils sont nombreux à être espagnols, d’autres sont écossais, ou italiens, bien qu’Henri IV, en les rappelant au début du XVIIe siècle, eût souhaité mettre fin à cette présence étrangère qui pouvait déplaire.

    Ces chiffres confirment l’investissement éducatif croissant des collèges, et, plus précisément, concernant les jésuites, leur grande adaptation à ce contexte, d’après leur volonté, basée sur le motif religieux que nous connaissons, de s’assurer une emprise exhaustive, ou totale - si ce terme ne choque pas - sur l’ensemble de la vie des élèves. Ceci satisfaisait le projet éducatif mais aussi la grande ambition intellectuelle, qui suppose, on le verra, un déploiement foisonnant de leçons, d’exercices, de répétitions, etc. Chez les jésuites, la multiplication des fonctions éducatives s’explique aussi par la nécessité qu’ils assument de former les futurs membres de leur ordre, en leur dispensant des cours de philosophie et de théologie selon leur vision de ces matières.

    Le personnel total du collège Louis-le-Grand aux XVIIe et XVIIIe  siècles se compose des personnes et des catégories suivantes (en suivant G. Dupont-Ferrier). Au sommet de la hiérarchie, un Recteur. Mais lui-même est même relié aux autorités de la Compagnie c’est-à-dire : 1. au Père Général, qui réside à Rome mais est tenu au courant régulièrement des affaires du collège ; 2. au Provincial, de France, choisi par le précédent comme organisateur ou responsable de l’ensemble du réseau de la province de France – France signifie en l’occurrence Paris ; 3. aux visiteurs, nommés par le Provincial et qui sont les inspecteurs missionnés par la Compagnie (leur tâche, très scrupuleusement effectuée, donne lieu à des séjours de longue durée dans les collèges de leur ressort). Sous  l’autorité du Recteur ensuite, il y a d’abord des conseillers ; ensuite, comme on l’a entraperçu à plusieurs reprises et notamment ci-dessus à Poitiers, un Préfet général des études ; ensuite le Principal (cette fois, originalité, on distingue un Recteur et un Principal) ; puis un Ministre des religieux, des procureurs et des surveillants. On voit donc là, dans ce milieu institutionnel où l’obéissance est une vertu cardinale si on peut dire, toute une hiérarchie de fonctions destinée à diriger et contrôler les professeurs et le travail d’enseignement, en excluant l’organisation corporative des Nations - dont on a vu (à propos du baccalauréat) la persistance à l’Université. Je parle d’obéissance : sachez que le Recteur recrute les professeurs (dans d’autres collèges, c’est le Principal), dont il inspectera ensuite les classes, et… qu’il pourra également entendre en confession…

    Pour comprendre (un peu j’espère) le fonctionnement de ce collège Louis-le-Grand, il faut savoir qu’il y a en fait trois collèges en un : un collège des Pères, le collège des élèves externes (le plus populeux : au moins 4/5 des effectifs), et le collège des pensionnaires, qui, je le dis au passage, sont âgés de 12 ans au moins (pensionnaires payants, à la différence des boursiers). A la tête du premier, le ministre des religieux ; à la tête du second, le Préfet des études, et à la tête du troisième, le Principal. Tout cela est d’une incroyable subtilité, donc d’une très grande complexité : je simplifie. Je reviens aux préfets, une des grandes originalités des jésuites - qui m’intéresse parce qu’elle témoigne des progrès et du renouvellement de l’ambition éducative à cette époque et dans cette Compagnie. Etant donné le très grand nombre des élèves externes (des centaines, 1500 ou plus selon les époques), le Préfet Général, qu’on appelle aussi Préfet des Etudes supérieures, est secondé par un Préfet des Etudes inférieures et plusieurs préfets tout court - dont on ne sait pas le nombre exact. Le Préfet général inspecte les classes tous les quinze jours, et il réunit les régents tous les mois pour affermir leur compréhension des prescriptions de la Compagnie. Il a du reste fixé les horaires et les programmes des classes (en application du grand texte réglementaire de 1599, le Ratio studiorum), a fourni la liste des livres qui font objet des leçons, etc. Parallèlement, le Principal, qui dirige la vie des internes, veille à leurs travaux, à leur récitation des prières dans les chambres, et donc à la discipline partout où ces élèves circulent, y compris au réfectoire ou lors des récréations -  mais pas dans les classes.

    Concernant les préfets, et ici je pense aux préfets des études (car il y en a d’autres), l’intéressant est qu’au XVIe siècle, nous dit G. Dupont-Ferrier (idem, p. 50), chaque boursier, pensionnaire gratuit par définition, a le sien. On ne sait pas si cette pratique a perduré aux deux siècles suivants. Ce qu’on peut dire plus certainement pour ces différentes époques, c’est qu’au collège Louis-le-Grand, il y a, sous l’autorité du préfet des études, des préfets des chambres pour les internes, et des praeceptores, précepteurs, pour les externes. Là encore, on ne peut que trouver remarquables ces dispositifs (quoiqu’on penserait aujourd’hui d’une telle pression permanente exercée sur les élèves, à chaque moment de leur vie dans l’établissement).

    Pour encadrer les pensionnaires, les payants avant tout, il y a les préfets de chambres, qu’on appelle aussi « cubiculaires » (il y a 15 à 20 élèves par chambre). Ces préfets forment un groupe nombreux, constitué surtout par les élèves futurs membres de la Compagnie, les « scolastiques », qui sont plus âgés que les autres élèves, ont déjà pu « régenter » en province, et suivent à Paris les cours de philosophie ou de théologie de la Compagnie. Ils sont environ 50 vers 1680 et au début du XVIIIe siècle. Ce n’est pas tout : il y a encore des préfets pour les récréations, pour le réfectoire ou la chapelle…

    Quant aux externes, qui logent souvent dans ces pensions nommées « pédagogies », que bien sûr le Préfet général visite et corrige si besoin est, en particulier pour ce qui tient à l’obligation de conduire les enfants au collège. Mais si un externe habite avec ses parents, proches dans la ville, le préfet s’efforce de correspondre avec ceux-ci. C’est dire que la surveillance (théoriquement) n’omet aucune des situations et des circonstances de la vie des élèves, y compris les situations familiales. Dans cette perspective, le Préfet général observe aussi les rapports des précepteurs avec les professeurs, qui sont invités à échanger et à s’accorder sur leur suivi des élèves.

    Les élèves des familles riches quant à eux (l’opposé des boursiers dans l’échelle sociale, cela va sans dire, mais je le dis pour donner l’idée de cette sorte de mixité sociale qu’on n’attendrait peut-être pas dans cette situation), ont à leur disposition un précepteur particulier avec lequel ils partagent un logement (parfois au sein du collège, le plus souvent en dehors). Ces élèves sont sous la surveillance du Principal, comme les pensionnaires. Pour 1696, G. Dupont-Ferrier (idem, p. 51), a dénombré 44 de ces précepteurs, dont une douzaine de clercs et 32 prêtres. Un exemple de ce type apparaît dans les souvenirs d’un élève du collège Louis-le-Grand vers 1720, Edme-Louis Filley de la Barre, dont les devoirs sont conservés. C’est un exemple que j’emprunte à l’ouvrage de Marie-Madeleine Compère et Dolorès Pralon-Julia, Performances scolaires de collégiens sous l’Ancien Régime. Etude d’exercices latins rédigés au collège Louis-le-grand vers 1720, INRP-Publications de la Sorbonne, 1992, p. 62). On se demande bien comment les choses se passaient au quotidien…Je dois avoir mauvais esprit puisque je pense à certains scandales actuels… On ne sait pas grand-chose à ce sujet, du moins si je m’en tiens à mes propres lectures.

    Les préfets ont ceci de très intéressant pour nous qu’ils soutiennent et obligent les élèves à effectuer les tâches prescrites en dehors des classes, jusques et y compris dans les chambres quand il s’agit des pensionnaires. Si on se souvient de l’importance des activités de mémorisation et de récitation (j’aurai l’occasion d’exposer cela en détail), on peut constater que les préfets jouent un rôle certain dans la répétition des leçons. C’est alors une répétition supplémentaire à celle qui s’effectue pendant les classes, avec les professeurs ou dans le dispositif des échanges réglés entre élèves, les « décuries » (voir plus loin).  Ces aides adultes, ces accompagnements (néologismes… mais assez proches de la réalité du passé), ce sont les ancêtres des « maîtres d’études », puis des « maîtres répétiteurs » des lycées du XIXe siècle (plus familièrement appelés les « pions »). Et ici je me demande à nouveau comment les choses se passaient  en réalité… L’exemple des pions du XIXe siècle m’invite en effet à la prudence. Ne nous faisons pas trop d’illusions sur la motivation des élèves et donc sur l’efficacité de ces  manières de travailler… Souvent, tant la mise en œuvre que les résultats étaient nuls !

    Je ne dis rien des confesseurs et des prédicateurs, qui dépendent tous du Recteur du collège.  Je reviens maintenant aux fonctions enseignantes, donc aux professeurs. Ils sont formés par la Compagnie, ont bien entendu suivi, parmi d’autres enseignements spirituels, les enseignements de philosophie et de théologie dans un collège de la Compagnie  et non à l’Université, et la plupart du temps, on leur demande d’enseigner d’abord dans les classes de grammaire, d’humanités et de rhétorique, avant d’accéder aux classes de philosophie et de théologie. Un usage voulait (parfois ?) qu’ils commencent en 6ème et suivent leurs élèves de classe en classe. N’oubliez pas que Louis-le-Grand est le collège des élites pour des élèves d’élite, les enfants issus de la haute noblesse française… Ceci est à mettre en rapport avec la magnificence des bâtiments et des locaux de ces collèges jésuites, souvent ornés de très belles œuvres, signées d’artistes en renom. La Chapelle de Louis-le-Grand dispose de quatre tableaux qui sont montrés alternativement, selon les sujets, en fonction des époques : une Nativité, une Résurrection, une Purification, et un Saint Ignace… La bibliothèque contient des collections somptueuses… y compris des manuscrits, et parmi eux des pièces rares rapportées d’Asie par les pères missionnaires… Une description avantageuse de ces richesses se trouve dans le livre d’un ancien Censeur de ce collège : G. Emond, Histoire du collège Louis-le-Grand, ancien collège des jésuites à Paris, depuis sa fondation jusqu’en 1830,  Paris, 1845, p. 205 et suiv.)

    Quant aux qualités requises pour ces maîtres, nous en avons une idée par les questions posées aux régents par le Provincial en visite entre 1575 et 1587 (en 1587, il s’agit du Père Maggio) : 

     

    « Etes-vous spécialisé ? Depuis quand enseignez-vous ? Combien, avez-vous d’élèves ? Quels rapports entretenez-vous avec les parents ou les pédagogues ? Songez-vous à faire l’éducation des mœurs autant que celle de l’esprit ? Etes-vous familier avec vos écoliers ? Chez quels élèves découvrez-vous la vocation d’entrer dans la Compagnie ?  Avez-vous toute confiance dans vos supérieurs ? » (cité par G. Dupont-Ferrier, Du collège de Clermont au collège Louis-le-Grand, t. 1, op. cit., p. 57).

     

    Une autre grande originalité jésuitique est visible dans ce collège Louis-le-Grand. C’est l’existence, en parallèle des professeurs, d’un corps de scriptores, des « écrivains », qui sont des sortes de chercheurs chargés de préparer la science enseignable nous dit-on, donc qui établissent des normes à la fois sur le plan de la culture et sur le plan des méthodes. G. Dupont-Ferrier (idem, p. 59) en trouve la trace à partir de 1606, c’est-à-dire trois ans après le rappel des jésuites par Henri IV. Ils ne sont au début que deux ou trois, cinq en 1613, sept en 1637, huit entre 1680 et 1685, une quinzaine en 1715… La plupart ont moins de 50 ans, mais n’exercent pas cette fonction plus de quatre ou cinq ans. Ils sont un des facteurs rehaussant encore le prestige du collège (G. Dupont-Ferrier consacre un long développement à leur vie et leur travail ; je ne m’y attarde pas).

     

    3) Le travail des maîtres dans les classes :  quelques données générales

    (à suivre)

     

     


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