• 2017-12 Travaux écrits (2)

    Séance 12

     

    CHAPITRE IV

    (suite)

     

    II) LES TACHES EFFECTUEES PAR LES ELEVES

    (suite)

     

     

     

    5) Deuxième catégorie de travaux écrits

     

    Au fond, par rapport aux écoles et aux universités du Moyen Age, les collèges de la Renaissance et de l’Ancien Régime ont apporté deux nouveautés pédagogiques. Première nouveauté : le fait que les élèves y parlent ou du moins y ont une activité orale de plus grande ampleur (même si, bien sûr, cette activité n’a rien à voir avec la parole - libre ou sollicitée – qu’on entend dans les écoles actuelles, car à ces époques anciennes, nous le savons bien, il s’agit de réciter, de répondre à des questions en rapport étroit avec les leçons et les textes appris, etc. - d’où, par exemple, ce terme de « concertation » qui absorbe peu à peu la « dispute »). La seconde nouveauté tient à ce que les élèves ont désormais l’obligation de faire des exercices écrits, exercices dont le nombre et le temps à leur consacrer vont croissant du XVe au XVIIe siècle. C’est ce que j’examine maintenant. Dans son livre (de 1862) sur le collège de Sainte-Barbe, Jules Quicherat suggère que Mathurin Cordier (qui enseigna au début du XVIe siècle à Paris, au collège de Navarre, puis à Bordeaux, etc., avant de se convertir au protestantisme et de quitter la France pour la Suisse), a été l’un des premiers maîtres à prôner ces sortes de tâches, en particulier le discours latin, indispensable disait-il, pour qui veut apprendre à penser latin (Histoire de Sainte-Barbe…, op. cit. t. 1, p. 153 ; cette référence est aussi donnée par G. Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des jésuites…, op. cit. ,  note p. 127).

    Parler et écrire (écrire sous la dictée ou bien dans l’idée de rédiger), sont en l’occurrence deux manières qu’a l’élève de mobiliser et d’utiliser des connaissances acquises, et d’assurer les maîtres qu’il les a acquises.  La mémoire a donc toujours le premier rôle. Elle est engagée dans les activités orales par l’impératif de s’approprier absolument et durablement des textes (ou des règles techniques comme celle de grammaire ou de rhétorique), c’est-à-dire en les sachant « par cœur ». Au niveau des exercices écrits par ailleurs, la mémoire fonde l’impératif d’imiter les auteurs de l’antiquité, d’imiter des œuvres estimées parfaites et admirables entre toutes. Tel est l’idéal pédagogique du collège. Un précepte de l’âge classique énonce : « Que l’enfant ne cesse d’appliquer son esprit à l’imitation » (cité par J. de Viguerie, L’institution des enfants…, op. cit., p. 171). L’élève est donc constamment invité à imiter ces œuvres et ces auteurs que sont les optimi auctores, pour se porter près d’eux, séjourner dans leur monde. J’ai évoqué la présence de Cicéron tout au long du cursus (des Lettres choisies ont été publiées au milieu du XVIe siècle pour ces raisons) ; nous allons vérifier qu’il est une et même la référence majeure à imiter ; et c’est pourquoi « Ses œuvres étaient perpétuellement sur le chantier », comme dit Durkheim (L’évolution pédagogique…, op. cit., p. 286 ; voir aussi le Père F. Charmot, La pédagogie des Jésuites…, op. cit. (1943), p. 311 et suiv., qui relève et commente ce caractère fondamental de la plus ancienne tradition pédagogique, encore très vivace au XVIIe siècle, et qui a pu inspirer au XXe siècle un philosophe comme Alain, alors qu’à ce moment cette tradition est bel et bien morte – comme d’ailleurs s’efface ce que j’ai désigné pour ma part comme une pédagogie de la mémoire). Evidemment tout cela ne va pas sans une critique comme celle d’Erasme à propos de ceux qui singent Cicéron plutôt qu’ils ne l’imitent véritablement et ne montrent un talent digne de lui… (dans un chapitre de son De conscribendis epistolis, cité par G. Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des Jésuites, op. cit., p. 125).

    Qu’il s’agisse des activités orales ou des exercices écrits, la mémoire est la fonction requise pour immerger les enfants dans le passé de l’antiquité, pour imprégner leur jeune esprit de la culture littéraire (moralement expurgée) de l’antiquité. C’est donc de là qu’il faut partir pour envisager les exercices écrits pratiqués dans les collèges, tels qu’ils aboutissent à ce sommet de l’enseignement humaniste que sont les classes successives des humanités et de la rhétorique, la 2de   et la 1ère .

     

    Remarque. La logique de la mémoire et de l’imitation nous révèle à quel point la « littérature » est vouée à créer la vie intérieure des élèves et des adultes qu’ils seront (je mets des guillemets à « littérature » pour rappeler que l’expression de l’époque est « lettres humaines »). Aujourd’hui, c’est tout autre chose, car la littérature nous vient et demeure dans un univers étranger, extérieur à nos consciences, et avec lequel on entre dans une relation - esthétisante pour les uns, de pur délassement pour d’autres -, à certains moments et à certaines conditions fixées par les modes de production et de circulation des textes (les prix littéraires, les rayons des librairies, les bacs de supermarchés…). Cette remarque pour évoquer ce qu’un sociologue comme Simmel nommait la « tragédie de la culture » : le fait que désormais les œuvres, produits subjectifs objectivés de l’esprit collectif, vivent en dehors de l’esprit des individus, qu’elles ont une existence propre, et qu’ainsi elles ne contribuent plus à l’édification morale et spirituelle des sujets, qu’elles ne jouent aucun rôle dans la formation de ce qui serait l’unité de leur « moi ».

     

    Pour saisir le concret des exercices concernés, pénétrons maintenant dans les arcanes de la classe comme temps de travail des élèves. C’est un temps très rempli par de multiples propositions. L’attention des élèves semble ne jamais devoir se relâcher, conformément à la stratégie des Jésuites -  qui, cela dit, vient de plus loin dans l’histoire scolaire, notamment des Frères de la vie commune, aux Pays-Bas. C’est la stratégie de l’exercice continuel. Les maîtres lisent des textes, des livres, ils les commentent (éclairent le lexique, expliquent la syntaxe, ajoutent des données d’histoire sur les personnages, les situations, les époques, etc.), puis ils dictent l’argument des exercices écrits qui règlent l’existence des élèves, soit en classe, soit à l’extérieur, par exemple sous la direction d’un préfet (chez les Jésuites) ou d’un répétiteur. Dans une classe jésuite, les copies des devoirs faits sont ramassées chaque matin par un décurion qui les remet ensuite au professeur. Après quoi le professeur corrige quelques-unes de ces copies, pendant que les élèves qui ne sont pas occupés à des récitations effectuent d’autres tâches, des devoirs à nouveau, le plus souvent écrits, tout ce que désigne l’expression « exercices pendant la correction ».

    N’oublions pas que de tels exercices occupent deux voire trois des cinq heures quotidiennes de classe, et ce à longueur de mois et d’années. Au moins deux devoirs latins par jour, note Durkheim dans L’évolution pédagogique…, op. cit. (p. 285). Cette permanence des exercices, les mêmes, indéfiniment répétés, une très forte permanence donc, démontre que la pédagogie des collèges, d’abord les collèges Jésuites, puis les collèges de l’Université, qui ont peu à peu suivi le mouvement, suscite une inculcation systématique. L’enseignement se produit sur le mode d’une imprégnation intense et continue. D’autant, je le redis, que le latin est l’unique discipline enseignée (je mets de côté la religion), ce qui pourrait signifier pour nous qu’il ne constitue pas une discipline.

    J’ai dit que le maître ne corrige que quelques devoirs. Certes, mais le contrôle ne se relâche pas pour autant. Le Ratio exige que chaque élève ait au moins un devoir corrigé chaque semaine, étant entendu que la correction implique aussi un entretien particulier avec le maître, qui peut ainsi désigner précisément les fautes commises sur le plan de la syntaxe, de l’orthographe et même de la ponctuation (H. de Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus…,  t. II, op. cit., p. 704, et C. de Rochemonteix sur La Flèche, Un collège de jésuites…, op. cit., , p. 55). La correction individuelle est une autre innovation des Jésuites. Cette technique correspond d’ailleurs au souci d’observer les personnalités individuelles pour en tirer diverses conclusions et éventuellement prendre des mesures appropriées sur le plan du comportement comme sur celui des apprentissages (voir F. de Dainville, La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 284).

    De manière générale, pour l’efficacité de ma description, je vais distinguer d’une part les exercices relatifs à la maîtrise de la langue latine (lorsque le latin est dominant), le thème, thema, étant le plus fréquent ; et d’autre part les exercices qui visent la capacité à rédiger c’est-à-dire à composer - en latin toujours. Cette séparation, je l’avoue, n’est pas très ferme dans les faits, car « composer » est un verbe qui peut très bien s’appliquer - et qui du reste s’applique effectivement -  aux thèmes eux-mêmes ; mais je passe outre pour clarifier les choses.

     

    a) Les exercices d’apprentissage de la langue.

    On a vu (séance 2) que les classes inférieures, dites de grammaire (de la 6ème, ou la 7ème, ou la 5ème… jusqu’à la 3ème) se consacrent principalement à l’apprentissage du latin - assorti du grec (mais de moins en moins à mesure qu’on avance dans le XVIIe siècle). On sait aussi que, pour progresser de classe en classe et obtenir une maîtrise correcte, parlée et écrite, de la langue, les élèves doivent assimiler un manuel de grammaire, un corpus de règles en tout cas, tout en apprenant par cœur des textes ou des extraits tirés des grands auteurs de la littérature antique. Ceci recoupe la différence entre les prélections des auteurs et les prélections des  préceptes (j’emprunte cette formulation à F. de Dainville, La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 98).

    Dans ces petites classes, le thème est bien l’exercice prioritaire. Si la version est moins prisée, c’est parce qu’elle pose le problème d’une rédaction française davantage que le problème de l’écriture latine (de la syntaxe, du style, etc.). Pour cette raison, la version ne sera mise à l’honneur qu’au XVIIe siècle, à la suite des évolutions impulsées à Port-Royal par les grammairiens jansénistes. Il fallait donc attendre que s’affirme un intérêt pour la langue française.

    Prenons la classe inférieure de grammaire, chez les Jésuites. Dans le Ratio, la règle numérotée 431 (p. 191 dans mon édition Belin de 1997), demande au maître de dicter en langue vulgaire l’argument du thème, mais un argument qui ne comportera pas plus de quatre lignes. Dainville (La naissance de l’humanisme…, idem, p. 128) confirme que les Jésuites font effectuer des thèmes qui ne dépassent jamais quelques lignes dans ces petites classes (4 ou 5 lignes en 5ème, et pas plus de 7 en 4ème). La même règle prescrit également, « de temps à autre », une courte version (dictée) : pour le latin, un texte de Cicéron, et pour le grec, un passage des rudiments… L’exercice du thème se nomme « thème d’application » lorsqu’il est conçu en rapport étroit avec les notions de grammaire et vise l’assimilation des règles de la syntaxe et de la morphologie.

    Donnée importante : le maître ne laisse pas ses élèves se débrouiller tout seuls. Il aplanit les difficultés en donnant les mots ou tournures à utiliser, ce qui évite l’usage fastidieux et peu fiable, pense-t-il, du dictionnaire. De ce fait, le thème d’application se résume à un travail d’« assemblage » (dit Dainville justement). En revanche les élèves les plus aguerris dans le maniement du latin se dispensent d’écrire sous la dictée  le texte (l’« argument ») du thème en français : ils se font fort de le transcrire en latin directement (J. de Viguerie, L’institution des enfants…, op. cit., p. 171).

    Les règles de la classe moyenne ne sont pas différentes. Dans le Ratio, la règle numérotée 421 (p. 187 de l’édition Belin) prescrit également de « dicter l’argument du devoir en langue vulgaire et mot à mot », un argument qui se rapportera «  aux règles de la syntaxe et à l’imitation de Cicéron ». Remarquons la référence à l’imitation, qui suppose des expressions, des propositions etc., très rigoureusement indiquées par le maître donc prélevées dans des textes de référence et notées quelque part, sur les cahiers spéciaux comme ceux consacrés aux lieux communs.

    Qu’en est-il des « exercices pendant la correction », ceux qui sont uniquement effectués en classe (alors que les autres peuvent l’être en dehors, à la pension ou à la maison) ? C’est, ai-je dit, la partie des exercices imposée pendant que le maître corrige des devoirs, et imposée aux élèves qui ne sont pas occupés à des récitations orales sur le mode qu’on a vu. Ces tâches, de même nature que les autres, peut-être plus légères toutefois, et qui sont prises parfois comme des jeux, sont définies par le Ratio avec précision, de classe en classe. Pour la classe moyenne, ils apparaissent avec la règle numérotée 418 (p. 186 de l’édition Belin), sous la forme des thèmes latins ou grecs, pour lesquels, une fois de plus, est posée la nécessité d’imiter un auteur. La possibilité des versions est également évoquée, mais dans ce cas, l’élève, après avoir traduit les phrases « en langue vulgaire », devra « transcrire ce même passage en latin »… Traduire un texte latin en français puis le remettre en latin, cela définit cette fois le « thème d’imitation » parce qu’il est question d’imiter le texte latin de départ d’après la traduction française. Une fois de plus, Cicéron est la référence majeure. Ces tâches sont complétées par les exercices oraux  que nous avons déjà aperçus (séance 11) : ce sont les élèves des décuries rivales qui se posent des questions en rapport avec les règles de grammaire.

    Dans la classe supérieure de grammaire, la 3ème, la règle numérotée 408 (p. 182) énonce des exercices semblables à ceux des aux autres classes, et elle parle aussi des exercices à effectuer pendant la correction. Une précision sur ces moments de travail en classe. Je l’emprunte à F. de Dainville (La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 133). Dans les petites classes explique Dainville, les exercices courants consistent à « tourner » en latin une règle de syntaxe énoncée en français, ou bien à traduire un passage de Cicéron, ou bien encore à reconstruire des vers dont a été changé l’ordre des mots. Les élèves sont aussi incités à recueillir des expressions intéressantes, qu’ils pourront réinvestir plus tard. Pour la classe moyenne, toujours d’après Dainville, est préconisée le thème d’imitation, la version, et, comme je viens de le dire pour la petite classe, le recueil de formules remarquables, lues ou entendues. Cette dernière pratique est une ressource essentielle dans la perspective de l’imitation. Dainville y insiste à juste titre (idem, p. 134). Il en parle comme d’un « glanement (…) à l’exemple de l’abeille que nous voyons voleter de fleur en fleur, cherchant les sucs les plus propres pour préparer son miel… ».

    Pour avoir une idée plus précise des thèmes, de leur contenu, des compétences qu’ils requièrent, et du niveau moyen des performances accomplies par les élèves, on peut se reporter à l’étude de M.-M. Compère et Dolorès Pralon-Julia, Performances scolaires de collégiens sous l’Ancien Régime. Etude d’exercices latins rédigés au collège Louis-le-grand vers 1720, op. cit. C’est l’ouvrage - et l’article - dont j’ai déjà parlé assez précisément (séance 5) qui a pris pour objet des thèmes de 5ème (où les élèves devaient montrer leur capacité d’appliquer des règles simples apprises préalablement, notamment dans un manuel), et des versions de 4ème. Je n’y reviens pas puisque mon exposé de la séance 5 est assez substantiel. On peut s’y reporter. Disons juste que le contenu des thèmes peut être une narration, fable, mythe, événement historique (relevant de l’histoire romaine) ou autre ; il peut aussi s’agir d’un petit développement moral. Le travail de l’élève peut être sollicité sous la forme d’une lettre, etc.

     

    b) La composition proprement dite.

    On voit au total, à tout le moins dans les collèges jésuites des XVIe et XVIIe siècles, une très grande diversité d’exercices écrits (comme quand Durkheim parle d’un « tourbillon de devoirs écrits »). Pour ne pas s’y perdre, donnons-nous une idée de la progression des exercices de classe en classe. Ceci a dû apparaître dans mes précédentes remarques, mais je résume maintenant les choses (voir aussi Dainville, La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 128). Il y a d’abord, pour les plus jeunes élèves, des thèmes d’application, simples et courts on l’a vu ; puis ce sont les thèmes d’imitation (de Cicéron) ; et à partir de la 3ème, ce sont de « petits » mais véritables (cette fois) exercices de composition, sur la base d’un matière facile comme de « petites lettres » - de Cicéron toujours. On cultive dans ce cas un art épistolier qui vise la compétence professionnelle des futurs secrétaires de grands personnages… ce que les parents apprécient, au point que les fondateurs des collèges font parfois figurer cet apprentissage dans les contrats qu’ils passent avec leurs bailleurs. C’est seulement en classe d’humanités, puis en rhétorique, que les choses se corsent (mais j’en réserve l’examen à la prochaine séance  - prochaine et dernière de cette année).

    Cela dit, on vient de le constater, il est prévu, notamment par le Ratio, que le premier apprentissage, disons la première initiation à la composition authentique, au-delà de la traduction, donc avec une dimension d’invention, se produit en 3ème. Mais alors, une originalité se fait jour : dès ce niveau, on l’a vu, il y a souvent des compositions en vers (latin toujours…). Sur ce plan, la technique habituelle du maître consiste à réécrire en prose un texte en vers, texte (« matière ») que les élèves doivent alors remettre en vers (je précise cette technique ci-dessous). Cet exercice reste proche du thème, mais il ne s’agit plus à proprement parler de thème puisque l’argument primitif ne s’énonce plus en langue vernaculaire mais en latin.

    On pourrait même penser que si l’élève traduit en latin un texte français quelconque, alors, dans l’esprit des maîtres de cette époque, c’est déjà, un peu ( !), une sorte de composition. En ce sens, très élargi j’en conviens, la composition n’attend pas même la 3ème, comme le suggère G. Codina Mir, en expliquant qu’on s’y prépare (voilà la nuance !) depuis même la classe de 7ème , classe des rudiments, lorsqu’on s’entraîne  à construire une nouvelle phrase à partir des éléments d’un phrase donnée, c’est-à-dire qu’on compose des phrases en utilisant et combinant diverses parties d’autres phrases de départ (c’est la variatio, dont Erasme a conçu le principe). Ceci, au XVIe siècle, à Paris, devait se passer essentiellement à l’oral semble-t-il. (voir une remarque de G. Codina Mir, dans Aux sources de la pédagogie des jésuites, op. cit., p. 177).

    Pourquoi ce grand intérêt pour les exercices de composition de vers – qu’on fait en application des règles de prosodie et de métrique apprises à l’aide d’un manuel ? C’est que les exercices de composition, qui sont une autre innovation marquante de la Renaissance (ils étaient inconnus dans les écoles du Moyen Age), sont sans aucun doute liés à la nouvelle importance accordée à la poésie à cette époque (cf. séance 5). Dans ce contexte de culture humaniste que j’ai longuement analysé cette année, la versification est censée donner accès au style et à la beauté des œuvres antiques.

    Il semble bien qu’une différence entre les thèmes et les exercices de composition tienne au fait qu’avec les exercices de composition, la part des vers est plus grande que celle de la prose ; mais ceci dans les classes de 3ème et d’humanités, car la rhétorique s’intéresse au discours – sur lequel je ne vais pas tarder à revenir - plus qu’à la poésie. M-M. Compère et Ph. Savoie notent bien que, dans le cadre des devoirs effectués en classe, la part de « la poésie l’emportait sur la prose » (« L’histoire de l’école et de ce qu’on y apprend », in Revue française de pédagogie, juillet-septembre 2005, n° 152, p. 134). J. de Viguerie évoque le cahier d’un écolier d’un collège oratorien de Nantes en 1762, un élève nommé Nicolas Ledeist de Kivalan, et on y constate que de  la 3ème à la 2de, du 28 novembre 1762 au 28 avril 1764, en 17 mois, il a composé 1440 vers, ne s’arrêtant que pendant les vacances, de la fin août au milieu octobre 1763. Les poèmes ont toutes sortes de sujets, des vertus (Bonté, Charité…), des événements réels ou mythiques (la mort d’Agrippine, l’Adoration des mages…), etc. Donc rien qui soit de l’ordre de ce qui serait aujourd’hui une expression personnelle. J. de Viguerie remarque en outre que l’habitude de versifier était à ce point répandue et constante, qu’elle trouvait y compris des prétextes dans la vie courante des collégiens, comme ce fut le cas en 1700 lorsque un élève de rhétorique de Louis-le-Grand, Charles Hénault, rédigea une pièce en vers latins pour célébrer une bagarre remportée contre des garçons d’un collège voisin (J. de Viguerie, L’institution des enfants…, op. cit., p. 177-178).

    Le cahier de 3ème à La Flèche cité par C. de  Rochemonteix, pour l’année 1702-1703 (p. 45-46), contient lui aussi, outre des thèmes sur des sujets de morale et d’histoire romaine, de courtes pièces de vers latins, pas plus de dix vers avant Pâques, et pas plus de vingt vers la fin de l’année scolaire, en juin. Et en fait, l’élève n’a eu qu’à compléter un texte, préalablement dicté, par des synonymes et des épithètes (C. de Rochemonteix, Un collège de jésuites…, op. cit., p. 46). Ceci confirme l’habitude qu’avaient les maître de résoudre a priori les difficultés sur lesquels leurs élèves allaient buter.

    J’ai repris dans la séance 5 la description par M.-M. Compère et D. Pralon-Julia (citées ci-dessus) de trois séries de copies comportant un exercice de versification, rédigées dans une classe de troisième (à côté des deux séries de thèmes proprement dits, en prose). Le 1er exercice de versification a pour point de départ la parabole christique du Bon pasteur et de l’enfant prodigue ; le second, le thème du railleur raillé ; ce sont donc deux textes à visée morale. Le troisième exercice a pour matière un texte inspiré d’une pièce de Sénèque, Les Troyennes.

    Chez les Jésuites de Louis-le-Grand au début du XVIIIe siècle, d’après les commentaires de ces mêmes auteurs, les choses se passent de la façon suivante. Quand on aborde la versification, en 3ème, trois sortes d’exercices, préliminaires à la composition prévue en seconde, sont en vigueur. Je reprends ce que j’ai déjà exposé dans la séance 5 - et ceci précise la technique de restitution de vers transformés que j’ai annoncée plus haut. En premier lieu, les régents donnent un texte poétique transposé en prose - c’est la « matière », l’ordre des mots étant changé, de sorte que les élèves, soient peuvent retrouver le texte original, les vers originaux, soit se montrent capables d’en inventer une autre. Un autre exercice consiste à « retourner » un hémistiche (la moitié d’un alexandrin). En second lieu, je viens de le dire aussi, un texte transposé peut comporter quelques changements de mots, des mots nouveaux cette fois, si bien que l’élève doit retrouver les mots du texte original. En troisième lieu enfin il s’agira de développer un argument à partir d’un ensemble d’expressions et de mots préalablement dictés par le maître. Dans ce cas, l’élève est aussi incité à agrémenter la matière de développements plus personnels, ce qui sera la règle dans les hautes classes. Ceci nous montre une facilitation du type de celles que j’ai évoquées, à savoir que l’exercice est toujours effectué à partir d’un canevas et à l’aide d’expressions et de termes connus, appris, que le maître a dictés (des d’épithètes, des synonymes…) et que les élèves vont directement employer pour venir à bout de la composition qu’on attend d’eux. En plus de cela, les élèves recourent, cette fois, à des dictionnaires.

     

    Un mot de conclusion sur mon exposé d’aujourd’hui – un peu touffus. Je retrouve ce que je disais à la fin de mon introduction A plusieurs reprises, comme à l’instant, j’ai cru devoir remarquer que, pour les thèmes comme pour la composition, les exercices sont assortis de nombreuses facilitations, toutes sortes d’aides fournies par le maître, par exemple quand il dicte les mots à employer pour le thème, ou bien, dans le cas d’une composition, quand il propose un canevas qu’il suffira de compléter, y compris avec des expressions et des mots clairement communiqués. Ce que je veux souligner maintenant, c’est que ce procédé n’a pas seulement une raison d’efficacité, il a aussi la raison intellectuelle ou culturelle, au sens fort, suivante : il permet de ne jamais éloigner l’élève de la forme et du fond, du style et des idées, du vocabulaire et du génie propre des textes et des auteurs de l’antiquité… Autre manière de maintenir l’esprit de cette pédagogie de l’immersion dans - et de l’imprégnation par - des références quasi sacrées.

    Je parlais en commençant de la mémoire comme faculté à la fois de s’approprier les textes et de les imiter. Je complète en disant que, dans la pédagogie humaniste, la mémoire est une faculté individuelle qui permet de maintenir et de transmettre, de conserver en un mot, la mémoire, collective cette fois, d’un temps et du monde quasi sacrés des grands ancêtres, des grands auteurs, et des œuvres immortelles.

     

    (suite… et fin bientôt : la composition et le discours (latins) en classes d’humanités et de rhétorique)

     

     


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