• Séance 7

     

    HISTOIRE DES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

    A L’EPOQUE MODERNE ET CONTEMPORAINE

     

    DEUXIEME PARTIE

    LES PRATIQUES DANS LES ETABLISSMENTS DE NIVEAU « SECONDAIRE »

     

     

    CHAPITRE IV

    ENSEIGNER ET APPRENDRE DANS LES COLLEGES DE L’ANCIEN REGIME

     

     

     

    Deux remarques préliminaires.

    Première remarque. L’objet principal de ma recherche, ai-je besoin de le redire, ce sont d’une part les actes d’enseignement tels qu’ils sont effectués dans les anciens collèges par les professeurs en direction des élèves, et d’autre part les tâches d’apprentissage telles qu’elles sont effectuées par les élèves à l’initiative et sous le contrôle des professeurs. Ces actes des professeurs et ces tâches des élèves, conçus et mis en œuvre selon une certaine logique, une « pédagogie », constituent l’ensemble des moyens permettant la transmission donc l’acquisition des contenus de culture (langues, œuvres, techniques intellectuelles, etc.) choisis par les institutions scolaires. On a vu dans les séances précédentes de quels contenus il s’agit. On a vu également sur la base de quels supports, livresques essentiellement, ces contenus sont mis à la disposition des uns et des autres. Nous pouvons donc maintenant saisir concrètement les actes et les tâches en question.

    Je n’aborde pas ce problème sans prendre une précaution, dont je vous avertis. Pour la clarté de la description, je vais m’efforcer, autant que faire se peut (donc pas absolument) de dissocier les actes magistraux et les tâches que les élèves eux-mêmes sont censés accomplir en rapport avec ces actes magistraux, soit dans le même temps (par exemple : répéter des phrases du texte lu par le maître, ou bien, en écoutant une explication, écrire sous la dictée ou prendre des notes), soit dans un temps différé (par exemple : effectuer des exercices  en rapport  après la leçon). D’où la division de mon chapitre en deux moments séparés, l’un pour les maîtres, l’autre pour les élèves. Et il se peut que la description des tâches des élèves, à cause du leur nombre et de la diversité, soit plus fastidieuse.

     

    Seconde remarque. Le plus important des actes magistraux, le plus typique, je viens d’y faire allusion, c’est bien évidemment la leçon (car, comme je l’ai déjà fait, je n’envisage plus ici les actes magistraux relatifs à l’organisation et à la création de l’ordre scolaire, la discipline collective, etc.). Comment aborder la leçon ? Vous vous souvenez que j’ai établi dans le cours de 2015 sur l’école primaire l’existence d’une ancienne pratique de la leçon, une manière qui consistait pour l’essentiel dans une lecture destinée à la mémorisation du texte lu et que j’ai appelé la « leçon-lecture ». J’ai ensuite distingué cette ancienne manière de la manière moderne qui, à partir des premières décennies du XIXe siècle, était nommée la « leçon orale ». Dans ce cas ai-je expliqué, la part de la lecture d’un livre est amoindrie au profit d’un exposé plus distant par rapport au livre (et parfois sans livre) ; et, en plus, cet exposé inclut une procédure de questions-réponses avec les élèves. D’où la fameuse « leçon de choses ». Voilà l’hypothèse fondamentale que j’ai défendue (je m’exprime de la même manière au début de la séance 7 du cours de 2016, et aussi dans la séance 1 de cette année : qu’on me pardonne ces redites qui, je l’espère, ne sont pas encore du radotage !). Je puis donc commencer mon exposé sur les pratiques d’enseignement dans les collèges en me demandant si on a des chances de trouver le même schéma d’évolution en passant à l’histoire de l’enseignement « secondaire » (je mets toujours des guillemets à cause de l’anachronisme de la dénomination). Si c’est le cas, cela signifierait que la leçon dispensée dans les collèges d’Ancien Régime appartient, en gros, au genre de la leçon-lecture ancienne manière, assortie de « répétitions » et de récitations. Or c’est bien le cas, en effet. En conséquence, comme dans le « primaire » (mais avant lui), on pourra constater le retrait de cette forme de lecture, au profit d’une activité orale spontanée, sur le modèle de ce qui a lieu dans les facultés : et c’est ce qu’on dénommera au XXe siècle le « cours magistral » (dont les origines sont bien plus anciennes). Je pourrai donc m’attacher, le moment venu, à montrer l’existence d’une forme d’enseignement moderne comparable à celle dont j’ai repéré l’émergence et le développement au XIXe siècle dans l’enseignement « primaire ».

    Cela étant, pour ce qui concerne plus précisément l’Ancien Régime, la comparaison entre l’enseignement des rudiments dans les petites écoles et l’enseignement des « lettres humaines » dans les collèges ne doit pas être poussée trop loin. Il y a dans l’enseignement de niveau « secondaire » des particularités importantes qu’on ne retrouve pas au niveau « primaire ». Constat évident dans sa banalité, mais qu’il faut faire. Ces particularités tiennent à la nature des contenus transmis qui sont, dans les collèges, en quantité et en qualité (en complexité) à un niveau de culture et de pratique culturelle bien supérieur à ce qui existe dans les petites écoles, limitées au lire-écrire-compter. De ce fait, si, aux XIXe et XXe siècles, l’évolution du « secondaire » a suivi la même ligne que le « primaire », autrement dit, si l’exposé libre a supplanté la lecture à visée de mémorisation, si donc en général la visée de compréhension intellectuelle a pris le pas sur la visée de mémorisation pure et simple (ce qu’exprimera la dualité de l’intelligence et de la mémoire), il ne faudrait pas en déduire que les deux ordres de réalité seraient superposables. Ceci apparaîtra plus tard, mais je précise tout de suite les choses. Disons qu’on ne trouvera pas dans la pédagogie des collèges les mêmes limitations que dans la pédagogie des petites écoles, où l’enseignement des rudiments a admis des procédures du même type que celles exigées par l’inculcation religieuse pour laquelle certains livres sont lus et relus, répétés et récités (un catéchisme évidemment, ou bien des textes comme l’Imitation de Jésus Christ  - anonyme  du XVe siècle, ou comme l’Introduction à la vie dévote de François de sales - début du XVIIe siècle. Car dans les collèges, au-delà ou au dessus des rudiments comme je le disais, les textes, bien plus nombreux, et surtout de plusieurs genres – et nous avons entrevu l’imposant corpus de la littérature antique, comportant des textes d’auteurs latins ou grecs, ou bien des manuels d’apprentissage d’une technique, d’un code, etc. -, ces textes, donc, exigent non seulement une lecture orale, mais aussi diverses explications et commentaires (nous le savons aussi), dans le but d’éclairer le vocabulaire, la syntaxe, le style, etc., ou pour convoquer le contexte lorsqu’il s’agit de récits historiques ou légendaires… Voilà donc ce qui caractérise l’univers des actes magistraux et des tâches scolaires des collèges.

     

     

    I) LES PRATIQUES DES PROFESSEURS

     

    1) Idée générale de la leçon.

    Si on s’interroge sur la manière professorale de faire une leçon, comme nous dirions couramment aujourd’hui sans trop offenser le vocabulaire passé, de quoi s’agit-il  concrètement ? La réponse à cette question a été largement entrevue dans les séances précédentes. Voyons toutefois un témoignage - assez précoce, du XVIe siècle-, que j’ai déjà mentionné (cours de 2016, séance 8, au début). Il s’agit de l’écolier Henri de Mesme, qui suit (très probablement vers 1545-1547) une classe de rhétorique au collège de Bourgogne, à Paris. Entré dans ce collège à l’âge de dix ans, il n’a alors guère plus de quatorze ans. Après coup, il  raconte sa journée scolaire dans les termes suivants :

     

    « Nous étions debout à quatre heures, et ayant prié Dieu, allions à cinq heures aux études, nos gros livres sous le bras, nos écritoires et nos chandeliers à la main. Nous oyions toutes les lectures jusqu’à dix heures sonnées, sans nulle intermission ; puis, venions dîner après avoir en hâte conféré demi-heure sur ce qu’avions écrit de lectures. Après dîner, nous lisions par forme de jeu, Sophocle ou Aristophanus ou Euripide, et quelquefois Démosthènes, Cicéro, Virgilius, Horatius. A une heure aux études ; à cinq au logis, à répéter et voir dans nos livres les lieux allégués, jusqu’après six. Puis nous soupions et lisions en grec ou en latin. Les fêtes à la grande messe et vêpres. Au reste du jour, un peu de musique ou de pourmenoir. » (cité par A. Franklin, La vie privéeop. cit., t. X, Ecoles et collèges, p. 133 ; cité également par F. de Dainville, La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 319 - qu’il dit avoir emprunté à E. Fournier, Variétés historiques, t. X, p. 154 et 155).

     

    On remarque d’abord le caractère très matinal des études quotidiennes. La journée commence très tôt, et cela ressemble fort à ce qui avait lieu au Moyen Age (je vais en dire un peu plus sur le Moyen Age ; il y a sur ce sujet un très bon chapitre dans le récent petit ouvrage de synthèse des deux grands spécialistes que sont Pierre Riché et Jacques Verger, Maîtres et élèves au Moyen Age, Taillandier, 2006, le chapitre VII).

    Ensuite, la formule « Nous oyions toutes les lectures… » montre que leçon se dit « lecture » (comme en anglais, finalement), et, en outre, que l’acte magistral se produit sur le registre auriculaire (« nous oyions », du verbe ouïr). Ce n’est pas rien. C’est dans le même sens qu’au Moyen Age on pouvait « entendre un livre » (cf. Charles Thurot, De l’organisation de l’enseignement dans l’université de Paris au Moyen Age, Besançon, 1850, p. 66). En l’occurrence l’appropriation des textes sur la base de la lecture in extenso du maître, avant tout commentaire, entraîne une appropriation pédagogique qui commence par l’écoute. Ensuite, l’appropriation du texte est relancée, et ce en plusieurs moments, par plusieurs moyens. On « confère »  « sur ce qu’avions écrit de lectures » (« écrit » : ce sont des notes, peut-être dictées… soit relatives au texte, soit relatives  aux explications sur le texte) ;  par ailleurs il faut encore « répéter et voir dans nos livres les lieux allégués ». Je remarque encore le verbe répéter ; et je n’oublie pas la reprise des lieux communs tirés du texte (je redis : il s’agit de formules mémorables réutilisables dans les exercices écrits et les compositions), ce qui renvoie à nouveau à l’effort de mémorisation. Ceci confirme ce que je veux établir avant tout, à savoir que leçon est une lecture qui sollicite la mémoire de celui qui écoute. Pas de lecture qui ne soit accompagnée d’un travail de la mémoire. Pour souligner ce lien essentiel de la lecture du maître et de la mémoire des élèves, voici le propos d’un professeur qui, dans un ouvrage de 1620, s’adresse à son lecteur en ces termes :

     

    « Lis l’escrit que je te donne, d’une grande affection, et mets-le dans les entrailles de ta mémoire de mesme avidité que ceux qui ont faim et dévorent une bonne viande ; digere-le et fais en ta substance… » (Richeome, Jugement général, cité, par F. de Dainville, La naissance…, op. cit., p. 113).

     

    Remarque.

    Au passage, je voudrais revenir sur les verbes « dévorer » et « digérer », termes courants du vocabulaire pédagogique, et fréquents dans les incitations adressées aux élèves par les maîtres depuis le Moyen Age, lorsqu’il s’agit d’apprendre au sens de retenir (j’ai failli dire : ingurgiter) des savoirs qui seront disponibles dans la mémoire. Souvenez-vous de l’écolier André Lefèvre d’Ormesson qui, à la fin du XVIe siècle, a appris et ensuite récité toute sa vie les poètes qu’on lui avait lus en classe (cf. séance 4, cette année). Je me souviens, à propos de ces termes, « dévorer » et « digérer »,  de la « Tenture de l’Apocalypse », qu’on peut admirer au château d’Angers (une simple association d’idées ?). C’est un ensemble gigantesque de tapisseries, six « pièces » ou séries de scènes, chaque scène mesurant plus de 4m de haut, le tout formant un récit imagé de 140 m de long. Ces tapisseries ont été créées à la fin du XIVe siècle à la demande du duc d’Anjou. J’en parle parce qu’une de ces tapisseries, la 25ème, dans la deuxième « pièce », représente le personnage de saint Jean (l’auteur du récit apocalyptique, qui a donc eu et qui a transcrit les visions divines), qui dévore un livre… mais au sens propre : il le porte à sa bouche et mord dedans avec un certain appétit. Alors on (le guide qui nous fait visiter) nous explique que ceci suggère le caractère délicieux d’un récit qui débouche sur une heureuse révélation… Mais, sans contester l’idée, je me demande si on ne pourrait pas voir plus simplement dans cette image d’ingestion d’un livre une référence à la formule pédagogique, très convenue à l’époque, qui invite les élèves à prendre avec la plus ferme volonté la nécessité de mémoriser exactement les textes lus par les maîtres, quelque soient leur nombre et leur longueur…

     

    En bref, retenons que les pratiques d’enseignement traditionnelles, issues du Moyen Age (mais avec des différences que j’envisagerai bientôt) reposent sur le couple suivant : 1. lecture du maître (suivie par des commentaires) ; et 2. mémorisation exacte des élèves (par le biais de répétitions et de disputes ou « concertations » - chez les jésuites, on va le voir). Telle est au  total la logique didactique qu’il faut saisir – et que nous avons déjà vue à l’œuvre dans l’enseignement des rudiments. Plus tard, j’en dirai un peu plus sur ces apprentissages « par cœur » que j’ai déjà envisagé à de nombreuses reprises cette année. Pour l’instant je pense utile d’insister sur le fait que ces apprentissages, qui portent à la fois sur les textes littéraires et sur les commentaires de ces textes par les maîtres, et qui supposent donc des récitations régulières, quotidiennes et hebdomadaires notamment, dans la classe et hors la classe, ces apprentissages dis-je, ne sont pas de l’ordre d’un vague psittacisme, car ils sont destinés à rendre possible des utilisations et réutilisations intelligentes des textes ou des éléments prélevés sur la base des textes (notions, « lieux communs », etc.).

    Ne négligeons pas à cette étape de notre investigation un  troisième moment si je puis dire, et j’y reviendrai, qui est le moment des exercices écrits - sans commune mesure lui non plus avec ce qui se fait dans l’enseignement des rudiments. Il y a aussi des activités de copie, censées activer la mémoire visuelle : copie de passages ou des chapitre entiers, ce qui est explicitement recommandé par certains maîtres.

     

    Décalons-nous maintenant vers les XVIIe et XVIIIe siècles. Dans les collèges, qui sont à ce moment très installés dans le paysage scolaire, chaque classe a lieu deux fois par jour. Alors, imaginons la scène la plus évidente, dans une classe d’humanités ou de rhétorique. Nous sommes dans une salle, les élèves sont assis sur des bancs, mais sans tables (au Moyen Age, ils étaient souvent assis par terre). Le groupe peut comporter assez peu d’élèves dans un petit collège provincial ; mais dans les collèges les plus courus, jésuites ou pas, des grandes villes, il peut aussi comporter jusqu’à 200 personnes (ou même plus !). Que fait le professeur, le plus ordinairement, dans ses séances de deux heures ou deux heures trente ? C’est ce qu’on a aperçu dans le témoignage précédemment cité. D’abord, il lit à haute voix le texte ou le passage d’un texte qu’il a choisi comme objet du jour (j’ai parlé des hautes classes, mais c’est la même chose dans les classes inférieures). Ce professeur, donc, commence la classe par cette lecture pure et simple. Sa manière de lire est sans doute très calculée, donc codifiée. Il adopte un ton particulier, assez sentencieux, déclamatoire peut-être (ce qui sera estimé inapproprié au XIXe siècle) ; il interprète le texte, au sens théâtral en quelque sorte ; il parle sans se hâter en ponctuant sa parole de gestes appropriés. Peut-être les gestes sont-ils codés donc connus des élèves.

     

    Remarque

    Je dis cela par comparaison avec certaines représentations dans lesquelles on voit un personnage adopter un geste spécial, comme un signe de la main, différent selon les circonstances. C’est ainsi que, dans  les scènes de la Tenture de l’Apocalypse, j’y reviens tant le sujet est passionnant, l’une (première pièces scène 2), au début, montre saint Jean, auteur du texte, s’adressant à des interlocuteurs en joignant à sa parole un geste précis de la main gauche, qu’il a portée au niveau de sa bouche sur le côté, comme on ferait en guise de porte voix : c’est donc un geste d’adresse destiné à retenir l’attention. A un autre moment, Jean porte la main à sa joue, ce qui est alors un signe d’affliction devant les malheurs qui s’abattent sur le monde, etc. Je laisse en suspend cette intéressante question des gestes venant en appui de la parole. (j’espère que cette comparaison n’est pas dénuée de sens ; mais je n’ai pas recherché de confirmation de cette conjecture…).

     

    Sur le fond, cette manière orale travaillée, calculée, permet de mettre en valeur les phrases ou les termes qui doivent susciter l’intérêt des élèves et qui méritent en conséquence le commentaire ultérieur du maître. Les textes lus sont évidemment de longueur variable selon les niveaux des classes, mais ils ne sont jamais très longs, ils ne comportent pas plus d’une quinzaine de lignes au maximum. Dans certains cas, sans attendre les commentaires, la lecture magistrale est reprise par quelques élèves, selon diverses modalités, et toujours à haute voix, ce en quoi consiste la répétition que nous avons entrevue, et dont nous verrons l’importance. C’est alors le déclenchement d’un mouvement collectif de lecture (cf. Adrien  Demoustier, dans l’article qui introduit l’édition récente du Ratio studiorum de 1599, « Les Jésuites et l’enseignement à la fin du XVIe siècle », in : Ratio studiorum…, Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus, édition Belin, par A. Demoustier, D. Julia, L. Albrieux,  D. Pralon-Julia et M.-M. Compère, Paris 1997, p. 21).

    Cette première phase de lecture pure et simple achevée, le professeur expose l’argument, reprend donc l’idée d’ensemble en situant, si besoin est, le passage lu par rapport à ce qui le précède et ce qui le suit dans l’œuvre étudiée. Après cela, s’étant assuré d’une bonne compréhension de la part de ses élèves, il va procéder à une  autre lecture, et ce sera la leçon proprement dite d’après nos catégories d’aujourd’hui, c’est-à-dire une lecture découpée de phrase en phrase. C’est là un procédé de paraphrase en latin pour les hautes classes (la paraphrase concerne surtout les textes poétiques) ; ce peut être aussi, pour les petites classes une traduction français, si possible en recherchant un style propre en français, ce qui se fait mot à mot, sans changer l’ordre des mots du texte.

     

    2) La praelectio selon les Jésuites.

    Remarque.

    Puisqu’une part importante de mon exposé sur la manière professorale d’enseigner dans les collèges nous conduit chez les Jésuites, je dois faire un nouveau rappel. Concernant les pratiques des Jésuites, nous disposons en fait non pas d’un seul mais de plusieurs textes réglementaires, qui contiennent un très grand nombre de dispositions normatives. Henri Fouqueray, dans son Histoire de la Compagnie de Jésus en France, 5 tomes, 1910-1925, a présenté les principales prescriptions que devaient suivre les maîtres (t. II, p. 700-720). Récemment, A. Demoustier a consacré au Ratio l’article introductif à l’édition de 1997 (l’édition de Belin, que j’ai utilisée). Un autre article fort utile du même volume, est de D. Julia, « L’élaboration de la Ratio studiorum, 1548-1599 ». Il faut savoir en effet qu’avant le Ratio de 1599, il y a un Ratio de 1586 ; et encore avant cela il y eut d’autres guides, rédigés par d’autres auteurs. D. Julia (idem, p. 32 et 33), ainsi que F. Charmot (La pédagogie des jésuites…, op. cit., p. 297), évoquent le père Ledesma, qui officiait comme préfet des études au collège de Rome (créée en 1551), ou le père Perpinian (ou Perpinien), professeur de rhétorique dans la même institution. Cela dit, un texte qui est une source précieuse, souvent utilisé par les historiens, est plus tardif, de la fin du XVIIe siècle, c’est celui sur lequel je me suis plusieurs fois arrêté, le De Ratio discendi et docendi (traduction courante : De la manière d’apprendre et d’enseigner), du père Joseph de Jouvancy (ou Jouvency). Je redonne la référence de l’article que F. de Dainville a consacré à ce manuel : « Le ‘ratio discendi et docendi’ de Jouvancy » (L’éducation des jésuites, op. cit., p. 209-266). Jouvancy, après voir enseigné à La Flèche, exerçait à ce moment Paris, au collège Louis-le-Grand. Ces continuités, du XVIe au XVIIe siècle me libèrent de la crainte de faire ces sauts à travers les siècles dont je vous ai prévenus. Il reste que ces données concernent les collèges de la Compagnie d’abord au XVIe siècle et aussi, un peu, au XVIIe, donc une époque à la fois ancienne et qui a duré assez pour permettre une diversification des habitudes et de nombreux changements dans les manières de procéder en classe. C’est un phénomène assez attendu, on en conviendra. Toutefois, je n’en tiens pas compte, ne recherchant pas ce genre de précision érudite. En plus de consulter des sources de ce type, on peut bien sûr s’adresser, comme je le fais, aux auteurs fort avisés que sont F. de Dainville, dans l’ouvrage où j’ai déjà puisé pas mal de données (La naissance de l’humanisme…, op. cit.) ; et aussi F. Charmot, dont j’ai rappelé la référence ci-dessus.

     

    Chez les Jésuites, donc, la lecture magistrale se dit praelectio, d’après ce terme venu du Moyen Age lui aussi, qui peut se traduire dans la forme française en prélection. Françoise Waquet, dans l’intéressante étude intitulée Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe – XXe siècle), Albin Michel, 2003, p. 73, affirme que praelectio se dit pour les petites classes tandis que la dénomination pour les hautes classes serait lectio. Mais je n’ai trouvé aucune confirmation de cette assertion. Je signale pourtant ce fait pour vous avertir, une fois de plus, des variations que l’on trouve d’un historien à l’autre…, entre lesquelles il m’est parfois difficile de trancher.

    Quoi qu’il en soit, cette importante notion de praelectio est à certains égards une nouveauté des jésuites. Il est possible que ce terme de praelectio désignât au Moyen Age la lecture du maître, en public, tandis que la lecture personnelle, solitaire (mais pas en silence : à voix basse, en remuant les lèvres), se disait lectio, en référence à une habitude monastique fixée sans doute par saint Benoît (cf. sur ce point l’ouvrage que j’ai cité en 2015, séance 4 :  Marie-Dominique Chenu, Introduction à l’étude de Saint Thomas d’Aquin, p. 68, dont une note se réfère au Metalogicon de Jean de Salisbury, auteur du XIIe siècle). Mais praelectio et prelegere sont issus de l’Antiquité et notamment de Quintilien. Il s’agit alors, pour le maître qui officie, de lire, mais de lire en faisant lire son disciple, et, surtout, de le faire lire de telle manière qu’il comprenne ce qu’il lit : d’où la nécessité de l’explication (voir Dainville, La naissance de l’humanisme…, op. cit., p. 98). La praelectio, jésuite, je vais la décrire sans tarder, et nous allons constater qu’elle est aussi forcément accompagnée de tâches diverses chez l’élèves, en vue de la mémorisation des textes. Lecture et mémoire sont toujours aussi solidaires

    Le schéma de la prélection, dont on comprend bien le rôle qu’y joue la lecture à haute voix, qui précède toute dictée s’il y a dictée, est bien défini par le Ratio de 1599. F. Charmot le résume en distinguant les étapes suivantes, qui sont assez conformes à celles que j’ai indiquées :

    1° lecture in extenso du texte. Jusqu’au XVIIe siècle les textes étudiés sont toujours pris dans la langue d’origine, le latin ou le grec ; on sait par ailleurs que Cicéron est l’auteur favori des études latines, étant entendu que ses œuvres sont choisies en fonction des niveaux de classe : des lettres familières de la 6ème à la 4ème, les œuvres oratoires en rhétorique, etc. Pour le grec, figurent dans le corpus scolaire des collèges, par exemple, en classe d’humanités, les discours d’Isocrate, ou des lettres de Platon (parmi d’autres textes). Par ailleurs, il y a en fait deux manières de lire donc deux finalités de la lecture préalable d’un texte. La première est une lecture cursive, c’est-à-dire continue et plus rapide. Elle est destinée à captiver, à éveiller la curiosité et l’imagination s’il s’agit de poésie ou d’histoire. Cette « lectio cursoria », qui est « une manière de récréation » - dit l’historien qui donne cette information (Gustave Dupont-Ferrier, dans son ouvrage sur La vie quotidienne d’un collège parisienDu collège de Clemont au lycée Louis-le-Grand, 1563-1920, 1921, 3 vol., t. 1, op. cit.,, p. 208), se distingue donc de la prélection au sens propre d’une leçon parce qu’elle reste à la surface du texte, sans chercher à en préciser ni à en approfondir la signification.

    2° prélude pour exposer le sujet et son lien avec le reste du livre ;

    3° explication de chaque phrase, en latin, pour éclairer les difficultés, avec éventuellement traduction en français ;

    4° commentaire, c’est-à-dire ajout d’autres éléments, avant de choisir la matière à dicter aux élèves, idées, phrases, vocabulaire (F. Charmot, La pédagogie des jésuites…, op. cit. p. 292-293). Nous savons que, sur le versant des ajours historiques, le versant de l’ « erudition », ceci peut donner lieu à une vaste fresque. De manière générale ces revues d’histoire devaient aussi fournir des sujets pour les exercices de composition de discours en rhétorique (Dainville, La naissance de l’humanisme…, p. 104-105).

    On trouvera la même description à peu près dans l’ouvrage de C. de Rochemonteix sur le collège de La Flèche, Un collège de jésuites…, op. cit., p. 57 et suiv.

    Il est clair qu’à ces différents moments, les élèves ont la plume à la main, pour écrire, le plus souvent sous la dictée, ce qu’il leur faut retenir et ce qu’ils devront réciter – comme je viens de le dire, certaines notions, phrases, etc.

    Sur l’eruditio, dont j’ai parlé à plusieurs reprises, j’ajoute ceci. L’eruditio est le moment, qui peut être très ambitieux en classe d’humanités et de rhétorique, d’un regard sur les contextes. Mais à ce moment, elle a aussi vocation à contrôler les émotions que procure la simple lecture ainsi que les sentiments qu’elle suscite. Le professeur ai-je dit, apporte alors des données d’histoire, de géographie, de mythologie, il donne des informations sur le droit, les institutions etc. A ce professeur, il est toutefois recommandé de ne pas noyer les élèves dans un océan de références aléatoires et superfétatoires (un défaut souvent dénoncé à l’époque : dire n’importe quoi à propos de tout). Cette précaution prise, l’eruditio peut s’étendre pour aller au fond des choses : c’est ainsi que le père Perpinian a rédigé une centaine de page sur quarante vers de Virgile (cette référence est indiquée dans F. de Dainville, La naissance de l’humanismeop. cit., p. 104).

    Ne négligeons pas sur ce point une autre différence, que j’ai déjà indiquée elle aussi, entre une prélection qui porte sur un texte poétique ou littéraire en général, et une prélection qui porte sur un texte de précepte, comme dit F. de Dainville (idem, p. 98),  une grammaire, un traité de rhétorique ou autre. La différence entre ces deux genres vaut pour toutes les classes, et elle est sensible au niveau des commentaires, qui ne peuvent être de même nature dans les deux cas, quoiqu’ils soient parfois complémentaires si l’on considère que la compréhension des règles ne peut que soutenir et renforcer la compréhension des textes étudiés. Dainville, (idem, p. 108), souligne le fait que les jésuites ne pratiquaient pas tout à fait comme les régents des autres types d’écoles, car ils s’efforçaient d’expliquer donc de faire comprendre les règles avant de les faire mémoriser. Ils se refusaient par conséquent à faire de la mémorisation un rabâchage. Ce refus correspondait à leur souci de mettre l’étude des règles en rapport avec l’étude des textes où les règles sont mises en œuvre. C’est ce que prône Perpinien lorsqu’il demande au professeur, en 1565  :

     

    « Qu’il n’accable pas l’esprit des enfants d’une foule de préceptes, qu’il ne les décourage pas par l’obscurité ou ne les embarrasse par d’interminables discussions et questions sur des matières peu utiles ou par des opinions divergentes… mais qu’il les aide en abrégeant l’effort de la mémoire et les engage à l’étude par la clarté » (Perpinien, De ratione liberorum instituendorum, cité par F. de Dainville, idem, p., 109).

     

    Que se passe-t-il après que le professeur ait lu et expliqué un texte ? Puisque, chez les Jésuites, le système des décuries (que j’ai décrit en 2016, séance 12) est en vigueur, eh bien, lorsque le professeur complète sa lecture de base par des interrogations individuelles, les autres élèves travaillent en groupe sous l’autorité d’un décurion ou d’un autre responsable. Une série d’interrogations fait alors retour sur la prélection qu’on vient de suivre. Ce premier mouvement de mémorisation se poursuit en outre, à ce moment ou à d’autres moment, par des « disputes ». Mais ce dernier terme recouvre alors une réalité différente de celle du Moyen Age. G. Dupont-Ferrier nous montre un régent interrogeant un écolier. L’écolier se lève et, presque en même temps, se lève aussi son émule de l’autre décurie, afin de suppléer le premier s’il est défaillant. Parfois, les deux écoliers s’interrogent mutuellement ; parfois également, les défis sont lancés par d’autres élèves pris dans la hiérarchie des distinctions conférées par les adultes, « magistrat », « sénateur », « censeur ». Voilà ce que raconte G. Dupont-Ferrier à ce sujet :

     

    « Entre les deux camps ou entre les deux classes, c’étaient d’abord des alertes, puis des attaques et des ripostes ; tantôt un combat d’escrime entre deux chefs, tantôt un choc d’ensemble entre deux troupes. Au cliquetis des armes, sous la pluie des traits savants, puisés dans l’arsenal de Despautère, les mots latins s’entrecroisaient avec une rage ébouriffée, les règles du rudiment se hérissaient, les aoristes prenaient des airs de fureur et les supins s’abattaient, comme des massues. Il fallait au régent du sang-froid, de l’à-propos, de l’autorité ; il avait donné le signal de la lutte ; il imposait au bout d’une demi-heure ou une heure, tout au plus, la fin du combat. » (G. Dupont-Ferrier, Du collège de Clemont au lycée Louis-le-Grand ; op. cit., p. 211).

     

    Nous sommes donc là dans une classe toute bruissante des voix des élèves, de leurs échanges, plus ou moins fermes, plus ou moins vifs. C’est une autre différence importante par rapport aux lieux et aux situations scolaires du Moyen Age. N’oublions pas surtout que ces moments d’échange oral ont des fonctions d’intégration des textes et des explications professorales à la mémoire de chacun.

    C’est dans le même ordre d’idées qu’à Louis-le-Grand, les élèves d’une classe viennent, sur invitation d’une autre classe, écouter la prélection de la classe invitante. D’après G. Dupont-Ferrier (idem, p. 209), ceci se produit tous les quinze jours en rhétorique et humanités, et tous les mois en, 5ème, 4ème et 3ème. 

    Ces moments sont en quelque sorte, avec d’autres (les répétitions) des facilitations mnémotechniques. C’est bien ce qui m’intéresse au premier chef. C’est le fil conducteur que je me suis donné. J’insiste lourdement… mais c’est pour une bonne raison, selon moi, à savoir le fait que la plupart des historiens actuels (il y en a peu du reste sur ce terrain), ne donnent pas assez de relief aux pratiques de la mémoire. M.-M. Compère par exemple, si intéressante et savante par ailleurs, ne néglige certes pas cette donnée, mais elle ne l’évoque que comme une évidence qui ne distingue pas beaucoup ces pratiques des exercices écrits avec la composition rhétorique au sommet. Je pense en l’occurrence à l’article « Des humanités à la culture générale, les finalités de l’enseignement secondaire en perspective historique », qu’elle a rédigé pour l’ouvrage que j’ai dirigé avec Denis Kambouchner, La crise de la culture scolaire, PUF, 2005, où elle écrit : « D’une séance à l’autre, les élèves doivent mémoriser les textes étudiés en classe et se livrer à un certain nombre d’exercices… » (p. 67). C’est tout à fait judicieux et exact, mais… dans cette  formulation, rien ne signale l’intensité, et la permanence de l’exercice de la mémoire.

     

    Revenons à la lecture initiale faite par le professeur. Se pose avant tout une question pratico-pratique : les élèves ont-ils sous les yeux le texte lu par le maître ? C’est en effet très possible -  mais je n’ai pas trouvé de règle formelle ni de récit explicite à ce sujet (je fais appel aux personnes mieux informées que moi…). Donc, je me contente de supposer que les élèves, bénéficiant dès le XVIe siècle des progrès des éditions imprimées, de la diffusion des textes, des recueils et des « feuilles classiques » dont parlent certains historiens, peuvent posséder et donc suivre avec les yeux le texte que leur maître se propose de lire et commenter (les « feuilles classiques » sont aussi prévues pour la prise de note ; voir cette année la séance 3). On peut penser que cela devait être vrai surtout des hautes classes, pour des élèves assez habiles avec les langues anciennes. Pour appuyer cette suggestion, je retiens une remarque de G. Dupont-Ferrier qui, dans son ouvrage cité plus haut, Du collège de Clemont au lycée Louis-le-Grand, op. cit., p. 181-182, parle des classes de philosophie et des leçons de Logique, de Morale et de Métaphysique de ce collège, en 1579, et qui note, à propos d’une leçon sur Aristote, que les élèves ont en effet « apporté » le texte…

    Le Ratio de 1599 précise  la procédure par laquelle la prélection se décline de classe en classe. Sans reprendre tout point par point, j’indique deux ou trois variantes, effectivement formalisées par le Ratio. En quatrième et cinquième, mediae grammaticae et infimae grammaticae (c’est une des dénominations), alors qu’on explique le latin en français, il est prévu que la prélection de Cicéron s’effectuera selon les étapes qu’on vient de voir, mais sur des textes qui ne devront pas dépasser sept lignes C’est toujours le même schéma : le professeur doit d’abord lire le texte, puis résumer l’argument dans la langue d’origine, ensuite traduire le passage mot à mot ; puis, il doit expliquer la construction, analyser la phrase, montrer les verbes et les cas, signaler les métaphores, etc. Ensuite  il peut extraire une ou deux phrases à dicter « ainsi que l’argument » ; enfin, la dernière étape, c’est la traduction ; le maître reprend le tout en langue vernaculaire. Une autre variante, en troisième, cette fois, est la suivante : on peut choisir soit le latin, soit encore le français parce que les élèves ne possèdent pas encore bien le latin, et la prélection débouche à nouveau sur une traduction. Quant aux hautes classes, humanités et rhétorique, elles sont bien plus exigeantes encore. On y pratique des commentaires plus approfondis, hors du vocabulaire et de la grammaire. D’où la paraphrase suivie, spécialité de ces classes d’humanités, du moins lorsqu’on étudie des textes poétiques, je l’ai dit, non des textes en prose qui appellent plutôt des commentaires qui consistent, si on a affaire à un passage obscur, à donner une construction plus simple, à développer une expression très concise, ou encore à clarifier une allusion. De ce point de vue, d’après le Ratio toujours, les professeurs ne doivent pas manquer de proportionner l’explication aux capacités des enfants, bien que ce soit le plus difficile à faire. A cette réserve près, en humanités, il devient possible de faire apparaître toutes les subtilités de la langue, de la composition, des intentions de l’auteur, etc., et par conséquent, à cette phase, il devient également possible de faire goûter et d’éveiller l’esprit des élèves à ce qui fait le fond et la forme d’un chef d’œuvre.

    Disons donc, en gros, qu’en 5ème, 4ème et 3ème, l’explication est surtout grammaticale (construction de la phrase, déclinaisons, conjugaisons), tandis qu’en seconde et en rhétorique, on insiste sur le style, l’arrangement des preuves, et d’autres habiletés de l’orateur (pour la rhétorique), comme on peut aussi le faire pour l’écrivain (pour la poésie).

    Je renvoie sur toutes ces questions à ce que j’ai exposé dans la séance précédente sur la rhétorique et notamment la manière de faire de Jouvancy. Il n’est pas facile de distinguer l’exposé sur les contenus culturels (celui de la séance 6 de cette année) et l’exposé sur les modalités pratiques d’enseignement de ces contenus (celui d’aujourd’hui) : vous voudrez bien excuser, à nouveau, les éventuelles redites. Je pense quand même avoir envisagé les choses de deux points de vue différents.

     

    Remarque conclusive

    Une remarque sur ce que cette description de la prélection nous permet de comprendre, concernant l’histoire pédagogique. Il m’est arrivé de dire que nous risquons d’être déçus quand nous cherchons à savoir comment les études spécialisées rendent compte de la dimension pratique et technique de l’enseignement. Jean de Viguerie, dont le livre m’importe vraiment, très érudit tout en étant destiné à un public assez large, donc assez accessible, écrit par exemple pour définir la prélection : les maîtres « s’emploient à ‘lire’ les traités, c’est-à-dire à les commenter » (L’institution des enfants, op. cit., p. 170). Lire entre guillemets, je suis d’accord : c’est pour marquer qu’il s’agit d’une activité spéciale, typique de l’époque ; mais cette activité est immédiatement associée, par le « c’est-à-dire », à l’acte de « commenter ». Ce n’est certes pas faux. Je n’ai aucun rien à redire là-dessus. Mais ce qui m’arrête, c’est la façon dont un lecteur non averti (vous, peut-être?) va comprendre la phrase, cet appui sur le « commentaire », parce que cela ne peut que nous renvoyer à une image d’explication moderne, autonome par rapport au livre, éventuellement variable, indépendante d’un écrit quelconque. C’est cette déduction que je me refuse à faire, une fois encore, et contre laquelle je vous préviens. Le maître qui lit, certes, est un maître qui explique, qui commente, qui développe (et, je l’ai dit, qui dicte des listes de mots, ou autres, ou ces sortes de commentaires qui ne sont plus les gloses traditionnelles) etc., suivons sur ce point les bons auteurs - dont J. de Viguerie- qui nous montrent qu’il y a là une des grandes originalités intellectuelles de cet enseignement traditionnel (cf. F. Charmot, là encore, p. 291 et suiv. sur « la nature de la prélection »). Mais ce maître est aussi, pragmatiquement, un maître qui tient le livre à la main ou qui a posé le livre devant lui sur son pupitre, qui a donc ce livre sous les yeux (on a vu dans la séance 5 cette année que Ramus a un secrétaire qui tient le livre dans lequel lui, le maître, à l’intention de prélever les extraits ou les citations que ses élèves doivent entendre), et qui lit à haute voix, avec des intonations calculées, des gestes appropriés, aussi, ligne à ligne, un texte très précis, limité, prévu, obligatoire surtout. Si donc ce maître ajoute des explications à sa lecture, en cours de lecture ou à la fin, il va surtout faire oraliser le texte avec soin, le faire répéter (au tour des élèves de lire, s’ils ont aussi sous les yeux le texte), le faire réciter, le faire utiliser dans tel ou tel exercice, etc. Il faudra bien que les élèves apprennent par cœur. Et on voit les répétitions, terme qu’il faut prendre au  sens strict finalement. Voilà, encore une fois, ce qui m’importe. Et d’ailleurs, le maître va aussi lire et faire apprendre par cœur ses commentaires !

     


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