• 2018-4 La vie du collégien (2)

    Séance 4

     

    CHAPITRE 1

    LES CADRES INSTITUTIONNELS

     

    I) LES NOUVEAUX ETABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT (suite) 

    4) La vie des collégiens (suite) 

     

     

     

    b) La vie et le climat de travail dans les collèges du XIXe siècle.

    Je voudrais maintenant donner en première approche une idée de la vie et du travail dans les collèges (ou lycées) du XIXe siècle - mais je précise : sous l’angle de ce que nous appelons aujourd’hui le climat.

    Voici un premier témoignage. Je commence par des documents qui ont une dimension critique donc un sens assez négatif, et je donnerai en contrepoint des sources qui font pencher dans l’autre sens. Le document qui suit, négatif donc, mais sur un mode humoristique, concerne la monarchie de Juillet. Le livre d’où je le tire est d’Edouard Ourliac, romancier assez oublié mais qui eut son heure de gloire, et que j’ai déjà évoqué dans la première séance, et ce livre s’intitule Physiologie de l’écolier. Il a été publié en 1841 pour sa première version ; et une autre version, intitulée L’écolier, est de 1850 (à ce moment, l’auteur est mort - très jeune, à 35 ans), dans une collection intitulée « Bibliothèque pour rire » (ça ne s’invente pas)…. ce qui m’incite à la traiter avec prudence – et de toute manière, en bonne règle historiographique, il faudra examiner, disais-je à l’instant, d’autres sources, pour se faire une idée plus probablement impartiale (c’est ainsi que, précédemment, j’ai mis en regard deux témoignages assez divergents, celui de J. Simon et celui de M. Du Camp). Le livre d’Ourliac, orné de vignettes illustratives, évoque un collège royal à Paris, donc, pour nous, un grand établissement du type lycée, institution publique typique d’une ville importante. On ne sait pas de quel collège il s’agit, mais on sait qu’il n’y en a que cinq de cette sorte à l'époque : Louis-le-Grand, Bourbon (plus tard Condorcet), Henri IV, Saint-Louis, Stanislas. Voici ce qu’Ourliac décrit :

     

    « Cinquante élèves, externes et pensionnaires, envahissent la salle en tumulte en attendant le professeur. On se pousse, on se culbute, et l’on distribue à l’avance des livres dont le titre m’épouvantait.

    « Le moindre écart, en ce moment de liberté, est de coller au plafond des boulettes de papier mâché, où pendent par un fil des figures grotesques découpées dont l’emploi est de récréer l’œil durant les ennuis de la classe.

    Le professeur arrive, sa présence établit à peine une espèce de silence troublé par des toux ironiques sur les tons les moins spécieux. La prière n’est qu’un bourdonnement qui sert de prétexte à toutes sortes de clameurs et de refrains obscènes, fondus à peine dans le bruit des voix.

    Il faut un bon quart d’heure avant qu’on ait ouvert les livres,

    Trouvé la page,

    Tiré les plumes,

    Cherché les copies,

    Préparé l’encre,

    Pincé le voisin,

    Le professeur demande les leçons [= il fait réciter], et cet homme est si malheureux et si mal obéi qu’il est obligé de faire descendre l’élève qui récite au pied de sa chaire, de peur qu’on ne le souffle ou d’autre fraude. Or j’ai connu un élève qui déchirait chaque jour sa page des Racines grecques et la collait à cette chaire où il la lisait tranquillement à couvert des regards du maître.

    Si c’est dans l’hiver, un élève a jeté par malice dans le poêle un paquet de sel qu’il ramasse depuis six mois au réfectoire. Bientôt on entend un pétillement monotone et continu. Le maître demande ce que c’est : on hausse les épaules ; le pétillement va son train ; on rit sous cape ; il faut que le professeur descende de sa chaire, qu’il démêle la malice et qu’il éteigne le feu.

    Un jour l’un de nos camarades, voulant renchérir, jeta dans le feu un paquet de soufre ; un moment après, l’élève qui récitait se met à tousser : hum, hum ! Le maître tousse : hum, hum ! Nous toussons aussi : hum, hum ! et l’on n’entendait que râles et toussailleries de tous cotés. On découvrit enfin la manœuvre, mais nous faillîmes tous êtres asphyxiés.

    Ce même élève, c’était le fils d’un apothicaire, apporte un autre jour une maudite drogue, dont j’oublie le nom latin, qui puait comme tous les diables. Le maître n’ose s’en plaindre de peur de prêter au bruit et aux risées ; mais enfin c’est une rage, c’est une peste, on n’y peut plus tenir, on ouvre les portes, les fenêtre, la classe est interrompue, et c’était encore de quoi nous faire périr.

    Si c’est au printemps, celui-ci fait des provisions de hannetons, il en a plein un coffre, et dès le commencement il les sème ça et là, sur les livres, les bancs et les habits de ses camarades ; il ne tarde pas à recueillir… Brrrrr, un hanneton prend son essor ; un second, un troisième, un quatrième le suivent et bientôt ce n’est plus qu’une nuée et un bourdonnement horrible dans la classe qui semble frappée d’une plaie d’Egypte.

    Il faut avouer que ces hannetons, le plus lourd et le plus sot des insectes, ont toujours assez de malice de s’aller abattre sur le nez ou la toque des professeurs.

    On passe au devoir, c’est-à-dire, et c’est le cas, du plaisant au sévère, - utile dulci.

    Tout à coup, au milieu du profond silence, une voix partie on ne sait d’où pousse un rugissement à toute force.- Ahiiii !!!!

    Le professeur demande encore ce que c’est. Vous remarquerez que, fut-il un héros ou un saint, ou un archange à l’épée flamboyante, il lui est impossible de ne pas être en ce moment l’homme le plus sérieux, le plus ridicule et le plus bouffon de la terre.

    Il demande toujours de quoi il s’agit. Quoi de mieux à faire ?

    Que répondre aussi ? On ne répond pas, et, tandis qu’il promène sur les bancs son regard, la même voix pousse le même cri, mais à vrai dire plus effroyablement. Ahi, ahi !!!!!

    Cette fois, le maître a tout vu. Il s’adresse au coupable :

    - C’est vous, Patureau ?...

    - Moi, m’sieu, ne sais pas, connais pas, bredouille impétueusement l’élève en dressant la tête avec ce séreux moqueur qui dénonce et la faute e t l’audace la plus insigne.

    Découvrons d’abord son procédé. Il s’est fait une longue étude de pousser cet horrible cri sans ouvrir les lèvres et sans contracter un trait de son visage. – Je vous ai vu.

    - Moi m’sieu ; j’ouvrais mon livre ; c’est pas moi, m’sieu….

    - Et sans desserrer les dents, regardant son maître en face… Ahi, Ahi !!!!!… Il fait trembler les vitres.

    Que voulez-vous que fasse à cela huit cents vers à copier !

    Il faut le dire ici, et c’était surtout mon sujet de scandale : il n’est pas de maçon, de planteur, de charretier qui parle plus insolemment à son manœuvre, à son nègre, à son cheval, que l’élève de ces collèges à son maître. » (p. 11-12 de l’édition de 1850).

     

    Plusieurs choses très intéressantes dans ce récit, qui comporte d’autres scènes réalistes du même type. Dans un premier temps, si on fait abstraction des anecdotes sur l’indiscipline (qui n’ont rien à envier à nos actuels désordres, quand il y en a), on peut retenir l’inventaire des activités des élèves en présence du professeur. Je reviendrai sur ce point, mais je fais remarquer tout de suite qu’il y a d’abord, au début de la classe, le moment de distribution des livres et de préparation des outils – plumes, encre, copies (je suppose qu’il s’agit encore de plumes d’oies, donc à tailler, ce qui prend du temps, plus d’une demi-heure si je ne m’abuse) ; puis la séquence de récitation, activité toujours très présente, ce qu’il ne faut jamais oublier pour toute cette époque - et c’est à ce moment qu’on voit l’élève astucieux qui triche parce qu’il ne fait que lire la feuille, arrachée du livre, qu’il a collée sur le bureau du professeur (est en l’occurrence cité un manuel de grec, sans doute parce que c’est la matière la plus difficile donc la plus pénible). On voit apparaître aussi la phase du « devoir ». On verra plus tard de quoi il peut s’agir.  

    Il se trouve que ce texte d’Edouard Ourliac est repris (on dirait presque plagié, s’il n’était pas cité) par le fameux (et grand) Pierre Larousse, dans son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, une œuvre colossale, à l’article « Collégien » (p. 608 du t. IV2 ; ce volume est publié en 1869). Dans cet étrange article, Larousse reproduit une pièce de théâtre dont il est l’auteur, assez mauvaise sur le plan dramatique, mais intéressante pour les scènes de collège qu’elle représente. La pièce est intitulée Taquinet ou Le panier de figues, et Larousse y raconte une sorte de farce collégienne. Un élève, le nommé Taquinet (nom inventé, mais bien choisi, évidemment), se fait passer pour professeur auprès d’un autre élève nouvel arrivant, Nicodem, et comme celui-ci a  apporté un panier de figues qu’il compte offrir à son nouveau maître en remerciement de son bon accueil, c’est le facétieux Taquinet qui va profiter de l’aubaine délicieusement fruitée. L’intéressant est surtout que, dans son article, Larousse, pour définir en général la vie ordinaire du collégien, reprend le répertoire des chahuts que parcourait Ourliac, ce qui pourrait indiquer qu’en effet il y a dans ces attitudes d’élèves une composante reconnaissable, peut-être pas universelle, mais en tout cas fréquente, du climat de vie dans les collèges de cette époque, ou du moins les collèges royaux, les établissements importants et populeux. Et de cela Larousse déduit une sorte de règle admise :

     

    « Le premier pas de votre apprentissage de collège est fait ; dès ce moment toute votre application sera dirige vers ce point capital : travailler le moins possible, par tous les moyens connus et inconnus. Puis, comme vous ne voudrez être pris ni pour une couenne ni pour un capon, que vous tiendrez au contraire à passer auprès de vos camarades pour un gaillard rigolo et rempli de toupet, vous serez bientôt de toutes les occasions et inventions où il s’agira de faire endêver les maîtres, tyranniser les pions, vexer et humilier ces hommes à triple, à sextuple cuirasse qui ont accepté la lourde et ingrate mission de promener le sécateur dans les broussailles de votre intelligence… ».

     

    Suivent les provocations décrites par Ourliac : un paquet de sel dans le poêle, le soufre, les hannetons. Ensuite de quoi Larousse cite explicitement Ourliac. Et il ajoute, ce qu’il a déjà évoqué : le problème du collégien n’est pas de s’instruire, mais de faire des crocs en jambe à la discipline, de tourner ses maîtres en ridicule, de

     

    « se montrer irrespectueux, dissimilé, taquin, menteur, corrompu, licencieux, de chercher dans sa précoce perversité toutes sortes d’expédients barbares, de montrer en germe tous les vices, toutes les passions, tous les travers, tous les ridicules et toutes les sottises de l’homme fait qu’on peut saisir chez lui dans leur naïve nudité ».

     

    Retenons que « travailler le moins possible » est, selon Larousse, le but poursuivi avec ténacité par tout collégien digne de ce nom. Propos exagéré, sans doute, mais qui, pour nous, est révélateur d’un état d’esprit frondeur à l’égard du collège, état d’esprit que nous trouvons dans un grand nombre de textes. Zola (qui n’obtint jamais le diplôme du baccalauréat), lorsqu’il a parlé du collège Bourdon d’Aix-en-provence vers 1850-1855 (Zola est né en 1840), là,où il eut Cézanne pour copain, affirme que sur une classe de 40 élèves, une dizaine seulement effectue sérieusement et régulièrement les travaux demandés, tandis qu’une dizaine d’autres, à l’inverse, « ne faisaient strictement rien », et qu’une vingtaine travaille éventuellement, quand ça lui chante (cité par Jérôme Leroy, L’école de Chateaubriand à Proust, loc. cit., p. 76).

    Edmond About, dans Le progrès, 1864, après une charge en règle contre les programmes et les emplois du temps des collèges de la monarchie de Juillet, assure dans le même sens ceci, qui confirme pour nous la remarque précédente :

     

    « De notre temps, sur une classe de quatre-vingts élèves, dix ou douze s’intéressaient peu ou prou à l’insipide travail du collège. Les autres n’étaient là que pour la vanité et la tranquillité du toit paternel. Ils grandissaient dans une oisiveté fiévreuse et découragée, effaçant les jours un à un sur leur almanach de poche et soupirant après l’heure libératrice du baccalauréat » (p. 400-401).

     

    Il se peut que prennent la plume surtout les anciens élèves qui ont ce genre de souvenir à raconter afin… de régler des comptes personnels ou (et) de faire rire aux dépens de leurs anciens maîtres. Mais, ces précautions d’interprétation étant prises, je reviens quand même sur les récits des joyeux foutoirs déclenchés par les élèves. C’est le plus apparent du récit d’Ourliac et de Larousse. A part les bonnes farces provocatrices destinées à faire tourner le professeur en bourrique, une chanson obscène fredonnée pendant la prière, le sel dans le poêle, les hannetons au printemps, etc., il y a aussi le fait de pousser des cris stridents, souvent des cris d’animaux, tout une basse-cour. J’attire votre attention sur ce comportement oublié (certains d’entre nous, qui ont gardé une âme de potache, le regretteront peut-être!), parce que c’est un classique de cette époque. Quand le professeur déplaît, ou bien s’il est faible, on entend ce genre de vocifération y compris dans les institutions les plus prestigieuses, comme l’Ecole normale supérieure. Un lycéen de 1848, dont je reparlerai, Henri Dabot, qui écrit régulièrement à ses parents pendant ses années au collège Louis-le-Grand (qui est à ce moment devenu lycée Descartes), évoque une scène en disant : « dans l’escalier on a poussé des cris de bêtes féroces » (Lettres d’un lycéen et d’un étudiant de 1847 à 1854, Péronne, sd., p. 8). L’autre texte de souvenirs de Maxime Du Camp, les Mémoires d’un suicidé (1853 ; j’utilise l’édition de 1890) expose un épisode assez terrible survenu dans le même établissement, que je ne résiste pas au plaisir de citer en entier. Il est question d’un professeur de géométrie. Il faut savoir en effet que les mathématiques sont en général mal vues des élèves (elle n’intéressent que ceux qui se destinent aux « écoles spéciales du gouvernement », et avant tout à l’Ecole polytechnique), comme de la société bourgeoise conservatrice, et les professeurs concernés font souvent les frais de cette mauvaise réputation. Du Camp le dit juste avant le texte que je vais citer. Un professeur de géométrie, donc, excessivement sévère, distribue des punitions à foison, si bien que les élèves, excédés, décident de le « faire sauter », et, au jour convenu, en décembre 1838, voilà ce qui arrive (Du Camp raconte un épisode réel de sa scolarité mais il a nommé à son héros Jean-Marc. Maxime-Jean-Marc a quinze ans et demi cette année là ; il est depuis six ans au collège, donc, très probablement, en 4ème ou en 3ème ; il ne le dit pas) :

     

    « Ce fut une tempête qui éclata tout à coup ! Piaulements, hurlements, bêlements, crécelles et sifflets, gloussements, hennissements, coassements, sonnettes et grelots, bruits de tout genre, chants de toute nature, cris de toute sorte s’élancèrent à la fois dans une inexprimable rumeur. Le professeur fit un bond et voulut parler : sa voix disparu au milieu du vacarme comme une barque engloutie dans l’Océan. Il était fou de rage, il écumait, il trépignait ; un jet de sang chassé par la fureur lui empourpra les joues, il eut peur d’étouffer sans doute car il arracha sa cravate. Les vociférations redoublèrent et l’on s’écria : Bis !  Bis ! Ses yeux flamboyants roulaient dans leur orbite et tremblotaient comme pris de vertige sans pouvoir se fixer sur personne. Il s’était levé dans sa chaire ; debout, les poings crispés, les lèvres blanches, il bégayait des paroles que notre tumulte emportait. Un ou deux encriers, cette arme naturelle des écoliers, avaient déjà frappé la muraille auprès de lui ; l’agression devenait directe ; quelques cris : Par la fenêtre ! Par la fenêtre ! se faisaient déjà entendre lorsqu’un œuf vigoureusement lancé s’écrasa au milieu du visage de ce malheureux ; il resta impassible, devint très pâle et laissant tomber sa tête sur sa poitrine, se mit à pleurer… » (Mémoires d’un suicidé, p. 53).

     

    La scène ne s’arrête pas là : les élèves, pris de pitié, réduisent et bientôt font cesser leurs cris, ce que voyant, le professeur leur assène : « Je vous traiterai comme des nègres » ! Grave erreur… Rien ne pouvait mieux réveiller l’ardeur vindicative des élèves, lesquels, du coup, recommencent leur chahut de plus belle… jusqu’à l’arrivée du Censeur, qui condamne toute la classe, soixante élèves, à deux mois de privation de sortie et, pour la partie de ceux soupçonnés d’avoir comploté, soit un banc de neuf élèves, dont Du Camp fait partie, il décrète un séjour au cachot (Du Camp n’en dit pas la durée, mais c’est au moins quinze jours, peut-être davantage). Le cachot, ce sont les « arrêts ». On y conduit donc les élèves condamnés chaque matin, dès 5 heures et demi, et ils y restent jusqu’à à 8 heures et demi du soir avec, chaque jour, comme pensum, 1800 vers de Virgile à copier, « besogne abrutissante et bête qui n’apprend rien… » (p. 56).

    Je ne tire pas de cet épisode tumultueux une règle générale de la vie dans les écoles de cette époque. Mais ceci révèle ce que je cherchais à approcher, un climat, n’en doutons pas. Une ambiance. M. Du Camp, toujours lui, mais cette fois dans le premier volume de ses Souvenirs littéraires (1882), expose à ce sujet ce qu’il nomme l’« axiome de La Fontaine » qui se formule ainsi : « Notre ennemi c’est notre maître » (p. 56 ; c’est une référence à la morale de la fable intitulée Le vieillard et l’âne). Et Du Camp raconte des punitions stupides, le pain sec, la retenue de récréation, la privation de sortie. Quoique certains professeurs bienveillants, précise-t-il, ne punissent jamais, et parmi ceux qui punissent, l’un, au moins, donne à copier les décades du Jardin des racines grecques (qu’on voit apparaître dans le tableau drolatique d’Ourliac).

    Sur ce plan, je pense aussi au plus célèbre des ouvrages où est exposée une souffrance d’élève permanente, celui de Jules Vallès, L’enfant (1879, ici, édition Garnier-Flammarion, 1968). Le propre père de J. Vallès était professeur, mais cela n’attirait pas du tout à l’écolier la bienveillance de ses propres maîtres. Pour le petit Jacques Vingtras (le pseudonyme qu’il se donne dans le récit), l’apprentissage du latin, avec le vocabulaire, la grammaire, les versions et les compositions, etc., tout cela n’était pour lui qu’un infini supplice… qui d’ailleurs donnait lieu à toutes sortes de punitions. A propos de son collège du Puy en Velay en 1839, et du collège royal de Saint-Etienne en 1840 (il dit : « lycée » après coup), puis à propos du collège de Nantes, où il est en classe de rhétorique en 1847, Jules Vallès décrit plusieurs sortes de punitions en 4ème, des lignes à copier (p. 162), au lycée le cachot, etc. Lisons Vallès :

     

    « J’entre en quatrième. Professeur Turfin (…)

    Il a du mépris pour les pions, du mépris pour les pauvres, maltraite les boursiers et se moque des mal vêtus. [voir dans la séance précédente ma remarque sur le passage dans lequel M. Du Camp parle du dédain des professeurs envers les pions : il y  a sans doute là une méchante manie corporative]

    Il fait rire les autres à mes dépens ; je crois qu’il veut faire rire de ma mère aussi.

    Je le hais…

    On m’accorde des faveurs en ma qualité de fils de professeur.

    Externe, je suis puni comme un interne. Toujours en retenue. Je ne rentre presque jamais à la maison. On m’apporte du réfectoire un morceau de pain sec.

    ‘De cette façon, on lui donne à déjeuner pour rien ; je sauve encore une ratatouille à la mère Vingtras.’

    C’est Turfin qui parle ainsi à quelque collègue qui sourit ; il le dit assez loin de moi à demi-voix, mai sil veut, je crois, que je l’entende.

    Je me contente d’enfoncer mes mains dans mes poches, et j’ai l’air de rire ! Je pleure. Que de sanglots j’ai étouffés pendant qu’on ne me voyait pas. !

    Je ne suis plus qu’une bête à pensums !

    Des lignes, des lignes ! des arrêts et des retenues, du cachot ! »

     

    Une description des « arrêts », les cachots, se trouve  à la suite du texte de M. Du Camp sur la révolte contre le professeur de géométrie (Mémoires d’un suicidé, op. cit., p. 54). J’en cite un extrait, pour le réalisme de sa précision :

     

    « Une grande salle avait été coupée dans le sens de la longueur par une muraille ; une des moitiés formait une façon de couloir où se tenait le pion chargé de surveiller les condamnés ; l’autre moitié, divisée par des refends, avait été morcelée en cellules fermées par des portes en chêne dans lesquelles s’ouvrait un guichet qui permettait au gardien d’examiner à sa fantaisie la conduite et le travail des élèves. Une planche appuyée à la muraille formait table et traversait tous les cabanons ; une rondelle de bois fixée sur une barre de fer immobile servait de table ; un Christ étirait ses maigres bras sur une croix attachée à la muraille ; le jour venait d’en haut, par un vitrage d’atelier. Ces arrêts étaient de constriction récente ; les murs encore tendre suaient l’humidité il faisait très froid »

     

    Ce qui est, davantage que les révoltes, une règle de la vie collégienne, caractéristique et bien connue, c’est l’ennui profond que les élèves ressentent au quotidien, et, partant de là, le désir irrépressible qui les anime, soit de s’amuser, soit d’échapper par tous les moyens aux obligations que les adultes leur imposent. L’ennui permanent vient essentiellement du mode de travail, l’apprentissage à haute dose, forcené dirai-je, du latin et du grec, avec ce qu’il exige d’efforts de mémoire et d’exercices de traduction de composition, de versification, etc., sans parler de la copie (voir les punitions ci-dessus), toues choses vécues comme fastidieuses, même si, après coup, d’anciens bons élèves se réjouissent d’avoir acquis cette culture, et même si, de manière générale, le latin et le grec ne sont pas objet  de mépris, contrairement aux sciences - sauf par les élèves qui préparent les « écoles spéciales » (c’est un phénomène typique de hiérarchie en dignité des matières scolaires).

     

    Passons maintenant, comme je l’ai annoncé, à une vision exactement contraire à celle de Du Camp et de Vallès. Je lis en l’occurrence un texte où Louis Liard (philosophe, réformateur de l’Université à la fin du XIXe siècle) expose des souvenirs de sa scolarité dans un collège de province, dans la bonne ville normande de Falaise. J’ai bien dit qu’il fallait absolument examiner des sources différentes voire, si possible, divergentes, ce qui, sur ce sujet de la vie collégienne et de l’ambiance de travail, est facilement trouvable. Il s’agit en l’occurrence d’un article intitulé « Souvenirs de petite ville », article publié par la Revue de Paris du 15 octobre 1913.

    La période concernée se situe autour de 1860. Louis Liard parle du collège de son enfance avec une grande affection nostalgique… A part le premier proviseur, qui fut un curé, tous les autres furent des laïcs. Je note au passage que (p. 674), quand Liard est élève dans ce collège, on y écrit encore sur ses genoux, à moins que les élèves se munissent « à leurs frais » d’une « bancelle », une sorte de petit banc pliable, sur lequel on s’assied, le banc de la classe devenant alors la table sur laquelle poser son papier et ses plumes. Louis Liard est externe, et l’hiver, comme les autres élèves, il paye sa part du bois de chauffage. Comme indice d’une atmosphère sympathique, Je retiens la description de la « fête du Principal », qui est en réalité une fête pour toute la ville (p. 676) :

     

    « Ce jour-là, dès le matin, M. le Principal, comme s’il ne savait rien, s’absentait. Il ne rentrait que vers quatre heures. Il trouvait alors à la porte du collège toute garnie de verdure, professeurs et élèves réunis et rangés. Un des grands lui adressait un compliment, tantôt en prose, tantôt en vers. Le père Roger, l’artificier faisait péter ses « boîtes » sur les tourelles ; puis en cortège on se rendait au réfectoire. Là notre cadeau et des fleurs attendaient le Principal ; sur les tables nous attendaient des gâteaux et des bouteilles de cidre mousseux. Le soir nous faisions tirer sur les remparts du château un beau feu d’artifice que toute la ville venait voir. M. le Principal, comme un roi, mettait le fau à la première pièce. »

     

    La distribution des prix est décrite par Louis Liard en des termes comparables, qui traduisent aussi bien une sorte d’esprit familial (idem, p. 680). Cette cérémonie est une habitude qui remonte à l’Ancien Régime. Elle a été organisée de manière éclatante dans tous les établissements tout au long du XIXe siècle, et durant une bonne partie du XXe (souvent oubliée, hélas, aujourd’hui).

    Dans le texte de Zola figure également un récit de distribution des prix au collège d’Aix-en-Provence, comme un épisode de contentement collectif et réciproque des maîtres et des élèves. Nous voilà à nouveau bien loin des conflits et des combats racontés par M. Du Camp :

     

    « En cette occasion, la cour est transformée en salle de réception. On construit le long d’un mur une gigantesque estrade, décorée d’un drap rouge, de guirlandes et de feuillage. Sur la table sont placées des rangées de livres à la tranche dorée. Peu à peu les familles, qui ont été invitées, prennent place. C’est le déclin d’une claire journée d’août. La musique salue l’arrivée des autorités. Le maire de la ville préside, ou bien le sous-préfet, ou encore quelque académicien qui est par hasard de passage dans notre ville. Les discours commencent, celui du professeur, du directeur, la réponse du président. Tout cela semble interminable et les enfants tremblent d’impatience. Mais voici que l’inspecteur se lève et proclame les récompenses. Alors le bruit commence, les cris, les applaudissements, la fanfare de l’orchestre. On ne voit qu’une chose : les enfants montent sur l’estrade, se dressent et tendent leurs joues roses aux lèvres parcheminées des vieux savants de l’assemblée, et se promènent sur l’estrade, avec sur la tête la couronne de laurier, qu’ils ont oublié d’enlever dans leur émotion. » (Etudes sur la France contemporaine, 1877, loc. cit., p. 83).

     

     


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