• Séance 1

     

    Les pratiques d’enseignement à l’époque moderne et contemporaine

     

    Troisième partie :

    LES PRATIQUES DANS L ENSEIGNEMENT DE NIVEAU « SECONDAIRE » : le XIXe siècle

     

    CHAPITRE 4

    LE BACCALAUREAT

     

     

    Je reprends aujourd’hui le fil de mon enquête, interrompu depuis l’été. Je vais essayer cette année d’achever mon parcours à travers les institutions et surtout les pratiques scolaires de nos ancêtres. Je suis maintenant au XIXe siècle, période qui voit éclore notre modernité, avec ses solutions mais aussi ses problèmes et ses difficultés nouvelles. Mener à bien cette enquête sur ce terrain où les sources sont plus abondantes, donc les études plus nombreuses et plus précises, quoique parfois, sur certains sujets, elles soient aussi lacunaires, n’est au fond pas plus facile. Mais je me tiens à ma méthode : je présente des données, j’indique soigneusement mes références (la cuisine historiographique, où on reconnaîtra pas mal d’études effectuées par les historiens spécialistes, parfois mes collègues!) données que j’organise en référence à quelques questions simples qui ont pour but, autant qu’il se peut, de nous faire pénétrer, comme ferait un journaliste pour un reportage, dans les établissements et les classes, auprès des maîtres et des élèves, dans la routine de leurs activités quotidiennes, et ainsi dans la grisaille de leurs jours de travail – ou d’ennui.

    Bref prenez mes exposés pour une incitation à y aller voir vous-mêmes de près, ne serait-ce que pour vérifier le bien-fondé de mes questions et de mes analyses.

     

    Je commence par présenter quelques données relatives à l’une des grandes nouveautés institutionnelles et pratiques du XIXe siècle : le baccalauréat – un examen et un diplôme qui n’ont pas cessé de monter en puissance, mais aussi, en même temps, de poser des questions délicates à la société enseignante, donc de susciter toutes sortes de discussions, de polémiques, de conflits.

    On sait qu’un examen nommé baccalauréat remonte au Moyen Age (un mot dont la terminaison renvoie au latin laureatus qui désigne le fait d’être couvert de lauriers, victorieux d’une épreuve donc), et désignait à cette époque, pour l’écolier, dans les facultés, un passage obligé pour devenir maître à son tour – ce qui advenait éventuellement après d’autres épreuves. Au Moyen Age, d’autres noms en ce même sens avaient cours : la « déterminance », ou encore la « maîtrise ès arts » (examen à la fin du cycle de la faculté des arts). On pouvait se présenter à la déterminance à partir de 14 ans.

    Chez les Jésuites, après la fondation des collèges, il y avait des examens de passage pour monter de classe en classe. Et pour clore le cycle des études, la pratique, qui a duré deux cents ans, consistait à donner une « lettre testimoniale », c’est-à-dire une sorte de certificat de fins d’études (études secondaires dans le langage d’aujourd’hui). Les examens de passage, quant à eux, duraient du 23 août au 8 septembre, veille de la Nativité, après quoi la proclamation des résultats distinguait les eximii (distingués), les boni (bons), les mediocres (c’est-à-dire moyens), les dubii (douteux), et les maneant (incapables d’accéder au niveau supérieur). Certains élèves se voyaient refuser par exemple le passage en rhétorique. L’examen le plus difficile était celui permettant, après la rhétorique, de passer en philosophie. Il apparaît dans quelques récits que des refus de passage, en particulier pour indiscipline, se soldaient par des actes de violence contre les maîtres : il arrivait même que des élèves nobles très énervés par leur échec tirent l’épée dans l’espoir de se faire justice  - car sous l’Ancien Régime, les jeunes nobles portent l’épée…à laquelle on cherche à leur faire renoncer dans les collèges! (Parlons donc de violence…Vous voyez qu’on a quand même fait du chemin depuis lors, même dans nos banlieues). On passait une thèse à la fin des deux années de la classe de philosophie (fréquentée surtout, je le redis, par des élèves se destinant à la prêtrise, donc par une minorité).

    Je laisse de côté cette histoire lointaine dont on trouvera facilement, y compris sur Internet,  des reconstitutions agréables, plus ou moins détaillées d’ailleurs. Pour se renseigner sérieusement, on peut consulter d’abord le livre de Jean-Benoît Piobetta, Le baccalauréat de l’enseignement secondaire (Paris, 1937), seul livre d’ampleur sur ce sujet (dont un des rares exemplaires consultables se trouve à la bibliothèque de l’ENS de Paris, rue d’Ulm). Il est de ce point de vue étonnant de constater le très faible nombre d’études scientifiques sur le sujet de l’histoire du baccalauréat. Il est vrai toutefois qu’un colloque, tenu à Lille en 2008 (pour le bicentenaire de l’examen), fait exception à cette règle. Il est publié dans la Revue du Nord en 2010 sous la direction de Philippe Marchand. Je recommande aussi, d’O. Gréard, Le baccalauréat et l’enseignement secondaire. Mémoire présenté au Conseil académique de Paris, le 7 juillet 1885 par M. Gréard, Paris, 1885. Ce mémoire fait suite à une enquête à laquelle 306 établissements ont participé (facultés, écoles supérieures, lycées ou collèges). Le livre de J-B. Piobetta en traite également, assez longuement. L’enquête a été préparée et a abouti à de nombreuses discussions et propositions (cf. Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur, t. XVIII, Baccalauréat). Je ne reprends pas ici les résultats longuement et minutieusement exposés au terme de cette enquête, avec toutes sorte de propositions, y compris de suppression. Je vous ai prévenu plus haut des graves reproches adressés à l’institution du bac.  En fait, O. Gréard reprend clairement les principaux repères historiques (p. 61-118), si bien qu’on peut grâce à lui s’épargner l’étude du livre de J.-B. Piobetta. Une autre analyse historique assez fouillée est un rapport du Sénat déposé le 3 juin 2008, et qu’on peut lire sur le site du Sénat sous le titre A quoi sert le baccalauréat ? La partie historique s’appuie notamment sur le livre de J.-B. Piobetta. Elle comporte aussi une bonne vision de l’évolution du nombre de bacheliers par années tout au long du siècle (quelques centaines seulement sous l’Empire, et 3500 en 1848).

    Pour ma part, comme je ne m’intéresse à présent qu’au XIXe siècle, je vais m’efforcer de reprendre et compléter quelques-unes des données déjà proposées dans les séances précédentes, en 2018, notamment la séance 12.

     

    1) L’institution du baccalauréat

    Je rappelle d’abord que, si le baccalauréat est une très vieille pratique universitaire, sa remise à l’ordre du jour a été effectuée en 1808 sous le coup de la création de l’Université impériale (décret impérial du 17 mars 1808, et statut du 16 février 1810). A ce moment, alors que la loi de création des lycées en 1802 fixe le terme des classes à 18 ans (et que l’Etat assure des bourses pour les écoles spéciales), le baccalauréat est instauré comme le terme nécessaire des études, donc le point d’aboutissement du programme, le « plan d’études »,  déroulé de classe en classe tout au long des années du lycée, jusqu’à la classe de philosophie en fin de parcours. A ce titre, le bac est une très importante nouveauté, dont certains effets inattendus vont se faire sentir un peu plus tard. Disons que le succès du bac témoigne de l’entrée de l’école dans l’ère du diplôme.

    Il y a à ce moment deux baccalauréats : un de lettres et un de sciences (la Révolution avait aussi décidé un baccalauréat de droit, un de médecine et un de théologie), et le premier, le bac ès-lettres, doit être acquis si on veut passer le second, le bac ès-sciences – obligation qui durera jusqu’au second Empire. Pour se présenter à l’examen il faut aussi posséder un certificat d’études attestant qu’on a fréquenté pendant les deux dernières années d’études un établissement reconnu par l’Université. N’oubliez pas le régime de monopole de l’enseignement par l’Etat, ce qui explique aussi que le bac soit décerné exclusivement par les facultés.

    A l’origine, sous le 1er Empire, ce grade n’intéressait pas beaucoup les écoliers, ni les maîtres. Le bac suscitait l’intérêt surtout des élèves désireux de s’inscrire dans les facultés supérieures qui en exigeaient la possession, le droit et la médecine (cf. G. Weill, Histoire de l’enseignement secondaire en France, op. cit., p. 92 ; et Cournot, Des institutions d’instruction publique en France, op. cit., IIe partie, chap. VIII). De ce fait, le bac était délivré sans grande difficulté et à peu près à tous les élèves qui désiraient l’obtenir, au terme d’une unique et rudimentaire épreuve orale (sur laquelle je vais vite revenir : il s’agira ensuite de redire, donc, peu ou prou, réciter des réponses à des questions de cours formulées en classe ou dans des manuels).

    Mais peu à peu le diplôme fut requis également pour accéder à des fonctions et des emplois valorisés donc intéressants, si bien que l’examen c’est-à-dire le diplôme prit de plus en plus de valeur. Cette évolution était-elle considérée avec espoir et de manière positive ? Certainement pas, en tout cas pas par tout le monde. C’est ce que j’ai laissé entendre, qui est une des caractéristiques de la période. Car de nombreux maîtres trouvaient cette tendance nuisible aux études, à cause de ce qu’on va bientôt appeler le « bachotage » (terme plus tardif, que ne retient pas encore le dictionnaire de Littré sous le second Empire). A ce sujet, voilà ce que note Cournot dans ses Souvenirs (rédigés en 1859. Evoquant les années 1820, Cournot parle de  « la grande maladie du baccalauréat » et il précise : 

     

    « C’est vers cette époque que l’on fit la malheureuse découverte que le but des études du collège est d’obtenir un diplôme ; et, une fois ce moyen trouvé de donner à un phénomène intellectuel insaisissable une forme matérielle et sensible, le bon sens français s’empressa de tirer la conséquence que le moyen le plus rapide, le plus économique, le plus sûr d’obtenir le parchemin désiré est le moyen préférable et que tout ce qui, dans l’éducation des collèges, ne mène pas au baccalauréat, ne mène à rien. Nos pères se figuraient, à tort ou a raison, qu’il fallait avoir fait ses classes pour être bien élevé et ils les faisaient sans se soucier d’un baccalauréat auquel personne ne songeait. Depuis la découverte en question, on ne vit plus dans le collège qu’une fabrique de bacheliers, pouvant être (l’expérience le prouvait) avantageusement remplacée par d’autres fabriques… » (Cournot Souvenirs…, op. cit., p. 192-193).

     

    Cette critique n’a fait que s’amplifier au cours du siècle. L’enquête de 1885 en est sans doute le point culminant ; au point que les propositions de supprimer le bac sont nombreuses à ce moment. Sous la Troisième République, cette déploration est encore fréquente chez les professeurs de l’enseignement classique. Un livre de 1888, La réforme de l’instruction nationale et le surmenage intellectuel, 1888, présente à peu près tous les arguments à l’appui. L’auteur en est Emile Raunié (un ancien directeur du Journal général de l’instruction publique, le bulletin publié par le ministère de l’instruction publique). Ce livre contient en effet, dans son chapitre III, une charge en règle contre le bac, accusé de ruiner les saines études, d’abaisser la culture générale, de détruire le goût littéraire (p. 185). L’auteur cite de nombreux témoignages sur la faiblesse des admis, par exemple en orthographe. Il cite également, entre autres, Francisque Sarcey (ici p. 187), selon qui, pour être reçu, « il suffisait de s’y être frotté de latin, de grec, de français ».

    D’après E. Raunié, le second Empire ne fit que renforcer le courant, puisque le développement des chemins de fer, donc une plus grand facilité d’accès aux établissements, associé à la croissance du nombre des jeunes se destinant aux professions libérales, firent que l’éducation secondaire intéressait de plus en plus de familles qui ne se souciaient pas des études mais seulement du diplôme. Ceci eut pour conséquence, poursuit E. Raunié (en accord avec beaucoup d’autres auteurs) d’encourager une préparation « mécanique » à l’examen. Les élèves s’efforçaient, nous dit-on, d’ingurgiter des connaissances à l’aide d’un manuel, dont l’un, « de triste mémoire », eut pas moins de 40 éditions tant il était prisé des élèves (je n’ai pas retrouvé ce manuel : avis aux amateurs ! Mais il y a plusieurs exemples dans l’ouvrage de J.-B. Piobetta, op. cit., p. 70 et suiv.). On vit donc, et tel est le phénomène majeur, très loin de nos soucis actuels, les élèves déserter le collège et renoncer notamment à la classe de philosophie pour travailler à retenir les réponses toutes faites aux questions d’examen ; et même ceux qui restaient au collège et suivaient la classe de philosophie s’efforçaient d’assimiler en parallèle ce manuel. C’est ainsi qu’Ernest Bersot, qui fut directeur de l’ENS, put affirmer au sujet des élèves :

     

    « Ou ils négligent leurs études pour le baccalauréat, ou bien ils ne songent ni aux études, ni au baccalauréat, et, tout à la fin, ils repassent l’examen en développant des procédés mécaniques, qui ne sont infaillibles que sur les prospectus ; ils se préparent pendant quelques mois où ils se gorgent de latin de grec, d’histoire et de sciences… » (cité par E. Raunié, p. 191).

     

    Il y a trois données à prendre en compte pour se représenter exactement la nature de l’évolution qui s’accomplit dans l’éducation secondaire dès lors qu’elle est finalisée par l’obtention d’un diplôme comme le baccalauréat. Ceci explique l’abondance des mesures prises par les gouvernements successifs. Pour les seules décennies de 1820 à 1850, on a pu dénombrer plus de 70 textes, ordonnances, décrets, règlements, statuts, arrêtés, concernant le baccalauréat.

    a) Première donnée, le fait fondamental que le bac devient progressivement, dans la société française, un titre indispensable pour entrer dans certaines carrières, notamment de fonctionnaires, donc des carrières liées à l’Etat moderne. E. Raunié signale (ce que j’ai déjà dit) qu’après la création du bac, en 1808, ce diplôme n’était exigible qu’à l’entrée des facultés de droit et de médecine, mais qu’ensuite, avec l’ordonnance du 5 juillet 1820, et le statut du 20 septembre, il devenait indispensable pour accéder aux professions civiles, donc il devenait pour tout le monde la garantie essentielle que recherchait la société en général. Il est vrai que l’Ordonnance du 13 septembre 1820, première grande charte du bac (après l’épisode napoléonien) parle de :

     

    « grades désormais nécessaires pour la plupart des carrières de la vie sociale et politique » ; ceci permettant d’« assurer à la société la garantie que le grade qui ouvre l’entrée des professions les plus importantes est destiné à lui donner ».

    Et encore ceci : « Dorénavant, le grade de bachelier va ouvrir l’entrée à toutes les professions civiles et devenir pour la société une garantie essentielle de la capacité de ceux qu’elle admettra à la servir ».

     

    Un historien comme Félix Ponteil a bien analysé cette réalité nouvelle en disant à propos de ce « statut » du 13 septembre 1820, que le grade de bachelier, désormais, « ouvre la porte à toutes les carrières civiles », en plus du fait que le bac « est exigé pour l’accès aux grandes écoles et dans les grandes administrations de l’Etat » (F. Ponteil, Histoire de l’enseignement…, op. cit., , p. 181).

    b) Deuxième donnée, la pression qui s’exerce en amont sur tout le cursus des collèges (ou lycées), ce qui advient progressivement au long du XIXe siècle. Lorsque le diplôme est le but principal de la scolarité pour les élèves, cela modifie sensiblement le cours des choses scolaires, à la fois pour les professeurs, qui doivent se tenir à un programme précis et faire apprendre à leurs élèves des leçons précises que l’examen requiert ; mais aussi pour les élèves qui ont désormais une forte « motivation » indépendante du projet culturel et éducatif (moral notamment) des adultes. Le diplôme, quand il oriente l’ensemble du cursus, est une certification plus rigoureuse, certes, mais qui légitime un usage consumériste de la culture. Dans les anciens collèges il y avait  toutes sortes d’examens de passage, mais qui ne jouaient pas du tout le même rôle.

    c) La troisième donnée à prendre en compte, bien visible dans ma remarque précédente à partir d’E. Raunié ou de Cournot, c’est le fait que les établissements deviennent des « fabriques de bacheliers » (expression de l’époque qu’on  vue sous la plume de Cournot) ; et c’est aussi le fait que, du coup, des fabriques stricto sensu peuvent exister en dehors des collèges, ne serait-ce que sous la forme d’un fichu manuel à apprendre par cœur ! On parlerait aujourd’hui de « boîtes à bac ». Edmond About  affirme que, dans ces conditions, on ne travaille véritablement que dans les 10 mois qui précèdent l’examen et avec un gros manuel « plus compacte qu’un pain à sandwich », acheté au début du cours de philosophie et que les élèves s’efforcent ensuite de se mettre « sur l’estomac » (Le progrès, op. cit., p. 388 et suiv. et p. 401) . C’est dire, explique E. About, à quel point: « L’Université de 1840, «  n’était qu’une fabrique de bacheliers  ».

    Le plus étonnant pour nous, c’est le fait que certains élèves pressés peuvent négliger ce qu’ils ont à faire dans les collèges et leurs classes, en se consacrant parallèlement à ces sortes de préparations, avec de bonnes chances de réussite à l’examen ! C’est ce que note G. Weill concernant des élèves « médiocres » (en plus !) de 4ème qui, en 1837, ont suivi une telle « fabrique de bacheliers », une classe de préparation au bac, seulement pendant deux mois ( !) et ont quand même réussi l’examen - ce dont le ministre a été alerté (cf. G. Weill, Histoire de l’enseignement secondaireop. cit., note 1, p. 93).  On en a donc discuté à la Chambre, ensuite de quoi le ministre a souhaité agir sur les jurys et à décidé que les commissions d’examen doivent comprendre un professeur de collège royal, et se tenir sous la présidence du proviseur.

    Un exemple de préparation accélérée au bac, permettant aux élèves de s’y présenter dès la seconde ou bien en rhétorique (ce n’est tout de même pas la 4ème !), se trouve dans un article publié dans le volume d’actes du 95ème congrès national des sociétés savantes, « Le collège de Charleville et l’enseignement secondaire dans les Ardennes de 1854 à 1877 », par René Robinet. L’épisode se passe plus tard, en 1858-1859. Cet article raconte que la préparation est proposée par le Proviseur à un professeur de 3ème, dans l’espoir qu’elle tarira le public du cours de logique, dont le professeur est détesté par le dit Proviseur, sans doute pour des raisons religieuses. La logique a alors remplacé l’année de philosophie : mais… c’est toujours la classe de philosophie qui est atteinte. C’est donc pour couper l’herbe sous le pied de ce professeur chargé du cours de Logique, un nommé Jean Hubert, que la préparation devrait alors être lancée pour détourner les élèves de l’année de logique. Ceci pouvait parfaitement être le cas si les élèves obtenaient leur bac avant d’accéder à ce niveau d’études. Ceci signifie, je souligne à nouveau ce fait tant il est étonnant pour nous aujourd’hui, que même si le bac se passe et s’obtient théoriquement après la classe de philosophie, les questions précises sur cette discipline peuvent être apprises avant d’en avoir suivi la classe. A Charleville, pour y revenir, la préparation au bac va exister, mais le recteur ordonnera d’y mettre fin dès décembre 1860, après qu’un rapport d’un inspecteur d’Académie aura souligné les inconvénients d’une expérience qui ne peut aboutir selon lui qu’à semer la discorde entre les fonctionnaires « qui auraient besoin de s’unir » (loc. cit., p. 851).

    J’ajoute, ce qui est apparu clairement je pense, et je l’ai signalé en commençant, que les établissements publics n’eurent pas le monopole de la préparation. On le comprend si l’on sait par exemple qu’une ordonnance du 17 octobre 1821, instituant un certificat d’études domestiques, autorise à se présenter les enfants ayant été préparés par leur père, oncle, etc. Un arrêté du 15 janvier 1822 autorise même des élèves qui n’ont fait des études ni dans un collège, ni dans une école reconnue par l’Etat, ni même dans la famille, pourvu qu’ils puissent démontrer quatre inscriptions à un cours de philosophie donné dans le ressort de la faculté des lettres de leur région.

    Il faudrait aussi parler des tricheries parfois très organisées, un véritable commerce frauduleux, avec de faux candidats qui subissent les épreuves à la place d’élèves qui les ont payés pour ça (ce qui est rendu possible par l’éloignement des facultés où se déroulent les passations d’examens ; cf O. Gréard, op. cit., p. 82). Alors que les manuels se multipliaient, proposant les questions et les réponses, « des faussaires de métier parcouraient les facultés, se présentant sous des signatures empruntées, changeant de nom, d’âge et de condition, et passant un examen, bon ou médiocre suivant le prix ». Ceci démontre la facilité avec laquelle on pouvait payer quelqu’un pour passer l’examen à sa place, avec selon le montant payé, un résultat plus ou moins bon (Cf. Charles Lenormant, Essais sur l’instruction publique, chap. I, p. 155). L’Etat essaya de combattre ces comportements, et, pour ce faire, il prit diverses mesures. On exigea qu’un certificat de rhétorique soit fourni en même temps que celui de philosophie, au lieu de se contenter de ce dernier (cf. les arrêtés du 17 juillet 1835 et du 21 février 1840) ; en plus, on exigea que les examens se déroulent après la distribution des prix, pendant les vacances, afin de laisser aux élèves « le complet bénéfice de l’année de travail » (circulaire du 24 juillet 1838). Pour prévenir les substitutions de candidats (car à cette époque il n’y a pas encore de cartes d’identités, bien évidemment !), on exigea aussi que le candidat rédige une demande écrite, signée de son nom et de ses prénoms, avant de présenter tout certificat d’études. L’arrêté du 11 août 1837 obligeait en outre l’élève à passer l’examen au chef lieu, soit de l’académie où il avait terminé ses études, soit de l’académie où il avait son domicile connu. Malgré toutes ces précautions, d’après les maigres informations dont je dispose à ce sujet, il ne semble pas que ces mesures parvinrent à endiguer le phénomène qu’on cherchait à éradiquer.

    Voici un exemple de manuels avec les questions à apprendre. C’est un manuel d’histoire rédigé par un certain L. d’Horbourg, directeur de l’Ecole Primaire Supérieure de Montpellier : Réponses aux cent questions d’histoire du programme du baccalauréat-ès-lettres, exigible en 1840 à la faculté de Montpellier (date bizarre : 1839). Il s’agit d’histoire antique (une partie du programme) ; et « histoire » s’entend encore au sens de l’histoire sainte ; d’où la première série de questions, qui fait plutôt penser au catéchisme : « Histoire du monde, depuis la création jusqu’à la formation des premiers empires, à la suite de la dispersion des enfants de Noé ». Ce qui se décline dans les questions suivantes : « 1. Combien d’années avant J.-C. la terre a –t-elle été créée ? – En combien de jours ? – Ou Adam et Eve furent-ils placés ? » etc. On entre ensuite dans l’histoire antique à proprement parler. Par exemple la 5ème question se formule : « Temps primitifs de l’Egypte », etc.

      

    (à suivre)

     


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