• 2021-2 Allemands jugés

    Séance 2

    II NAZIS ALLEMANDS DEVANT LEURS JUGES

    Je vais maintenant exposer l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur les nazis interpellés puis jugés après avoir sévi en France. Les données sur ce sujet ne sont pas très commentées mais elles sont bien connues ; vous pourrez donc les compléter et les augmenter sans moi. De ce fait, je vais me centrer sur les nazis, SS pour la plupart, qui furent les acteurs et les organisateurs de la persécution et des déportations des Juifs et des Résistants. Au besoin je ferai un inventaire rapide des méfaits commis par ces gens, souvent policiers (de la Gestapo).

    Je me cantonne une fois de plus, mais c’est la dernière, dans la France des années 1940 ; sauf que dans ce qui suit, il ne s’agit plus de la France occupée mais de la France libérée en 1944 et 1945, période durant laquelle les forces armées alliées aidées par la Résistance et les troupes françaises libres (gaullistes), sont parvenues à mettre la main sur un certain nombre de tortionnaires nazis ; hélas, pas tous, car de grands criminels de guerre ont échappé à la punition qu’ils auraient méritée. Je pense notamment au général Heinz Lammerding qui commandait les SS de la division Das Reich, responsable (entre autres) du massacre d’Oradour-sur-Glane, 600 civils, hommes, femmes et enfants exécutés… juste pour semer la terreur. Lammerding a été condamné à mort par contumace, mais il a réussi à se cacher et est ensuite rentré chez lui, où il a pu se ranger, si l’on ose dire, dans le statut d’entrepreneur de travaux publics, activité qui l’occupera (tranquillement!) jusqu’à sa mort, en 1971.

    Remarque

    Au besoin, en fin de parcours, j’aborderai les comparutions à l’étranger, en Allemagne notamment. Tout le monde a entendu parler du procès de Nuremberg qui a duré presque un an, en 1945 et 1946, et au terme duquel plusieurs exécutions de hauts dirigeants nazis ont été effectuées. On se souvient de Göring, qui est parvenu à se suicider avant d’être pendu… On sait moins que, après le premier procès, une douzaine d’autres ont eu lieu mais cette fois intentés par les seuls américains alors que le premier réunissait des juges américains, anglais, français et russes (qui avaient passé un accord préalable). Je considère cette série comme très importante, pour plusieurs raisons que j’exposerai. Il y eut d’autres procès les années suivantes, à mesure que certains magistrats s’efforçaient de pourchasser et de faire interpeller et juger les criminels nazis. Avec toutes les difficultés voire les menaces qu’on imagine. N’oublions pas le procureur Fritz Bauer, qui a fait comparaître en 1963 à Francfort plusieurs SS d’Auschwitz et qui est à l’origine (une des origines) de la capture d’Eichmann en Argentine.

     

     

    I) LES SS DANS LE CAMP DE DRANCY

    J’ai exposé l’an passé, séances 4 et 5, l’organisation policière des nazis en France, calquée sur l’Allemagne. Je n’y reviens donc pas.

    Dès l’automne 1940, lorsque fut venu le temps de l’Occupation et de la collaboration du gouvernement de Vichy avec les autorités allemandes (décidée et annoncée par Pétain le 30 octobre 1940 : « c’est dans l’honneur… que j’entre dans la voie de la collaboration » !), la plupart des camps existants déjà furent retirés à l’administration militaire et soumis à la tutelle du ministère de l’Intérieur. Mais le cas du camp de Drancy, près de Paris, est un peu différent. Ce camp retient alors des milliers de prisonniers, environ 4000 après la rafle du mois d’août 1941 (remarquez la date précoce, un an avant la rafle du Vel d’Hiv). C’est un « camp de représailles ». On dira aussi « le camp des Juifs ». Je passe sur les conditions d’internement absolument désastreuses, à la fois mortifères et humiliantes (j’ai consacré un livre à la description de l’internement et de la déportation d’un jeune homme dont je possède le courrier clandestin qu’il a pu faire parvenir à ses proches pendant la durée de son emprisonnement. Il s’appelait Michel Bucsbaum. Ce livre attend actuellement, pour être publié, la décision d’un éditeur). En 1941, on enferme à Drancy des gens qu’on accuse de faire partie d’une communauté soi-disant responsable d’attentats anti-allemands. D’où l’idée de « représailles ». En 1942 et les années suivantes, quand la « solution finale » - c’est-à-dire le génocide - est décidée, programmée, calculée, et donc mise en œuvre, on enferme à Drancy des personnes destinées à remplir les convois à destination d’Auschwitz. Il y a deux gares proches, ce qui facilite l’opération. Ces personnes ont été raflées ici ou là, parfois de façon massive comme le 16 août 1942 (la « rafle du Vel d’Hiv »), parfois en petit nombre, et ce, en fonction de la disponibilité et des consignes que reçoivent les policiers Français et (ou) Allemands spécialisés dans la traque des Juifs et affectés à cette tâche. Il y a bien d’autres camps en France, en particulier dans le Loiret et dans le midi (voir l’étude de Denis Peschanski, La France des camps. L’internement, 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002 ; ou bien celle d’Anne Grynberg, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, La Découverte, 1991 et 1999), mais Drancy est le principal, et à partir de l’été 1942, la presque totalité des déportations vers Auschwitz c’est-à-dire vers la mort, transitent par Drancy.

    Or dans ce camp, si la direction pratique et les décisions relatives à l’internement sont toujours le fait des autorités allemandes, celles-ci, jusqu’à la fin 1942, sont très clairement aidées par la police française, la préfecture de Police de Paris, et la Préfecture de la Seine. On peut en l’occurrence distinguer trois périodes du gouvernement allemand à Drancy, selon les policiers SS qui le dirigent et les liens de ces SS avec la police française.

    Deuxième phase. Du 30 août 1941 au 1er juillet 1942, 

    époque à laquelle on n’enferme que des hommes, le camp est dirigé par le SS Théodor Dannecker, qui est en France, à la Gestapo et au SD, Judenreferent (spécialiste ou « expert » pour la « question » juive). Dannecker a 28 ans en 1941. A cette phase, les nazis obtiennent de l’administration et de la police française tout ce qu’ils veulent. Dannecker est entré dans la SS en 1932, très jeune donc. Selon Jean-Jacques Bernard, fils de Tristan Bernard et ex interné (à Compiègne - voir son ouvrage Le camp de la mort lente, Compiègne, 1941-1942, 1945, p. 45) Dannecker, est « un hystérique et un sadique, par surcroît pédéraste », qui sème la terreur auprès des internés. Il ne s’exprime qu’en hurlant, comme font d’ailleurs à l’ordinaire les soldats allemands, pour lesquels « la vocifération fait partie de la méthode militaire allemande » (idem, p. 47). Un ancien interné de Drancy, Albert Zuckermann a raconté que Dannecker avait pour habitude de braquer un pistolet en direction des internés pour leur faire peur. « Expert » ne signifie pas seulement que Dannecker est distingué par ses chefs pour son dévouement sans faille à la cause antisémite. Car en fait, cette catégorie de SS comprend des hommes qui ont reçu mission, en même temps que d’effectuer des tâches de répression, de fournir une production intellectuelle sur les Juifs et le judaïsme. Il fallait étayer l’antisémitisme pratique non pas seulement sur une doctrine idéologique, mais sur un ensemble de savoirs historiques, politiques, sociaux, etc., à côté et en fonction du racialisme biologique, de l’anthropologie raciale. Les nazis escomptaient que ces savoirs donneraient une assise scientifique donc irréfutable à leur volonté de destruction des Juifs, et que cela leur permettrait par conséquent de prendre des décisions rationnelles et d’atteindre ainsi un maximum d’efficacité dans leur combat contre leur « ennemi » mortel. C’est ainsi que Dannecker, après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, avait été envoyé à Berlin pour travailler à la section du Sicherheitsdienst, SD, la section II-112, un service de contre espionnage, en charge de la lutte contre les « ennemis idéologiques » du Reich : c’est là qu’il se spécialisa dans l’étude des Juifs assimilés.

    Avec d’autres SS (dont certains seront ses compagnons d’armes à Paris, comme Helmut Knochen et Kurt Lischka), il put donc « scientifiquement », donner corps à la thèse du complot Juif destiné à détruire l’Allemagne et dont la première et fatale expression aurait été le « coup de poignard dans le dos » administré à l’armée allemande défaillante et vaincue en 1918. « Scientifiquement »… tel était le sentiment de ces nazis, mais, évidemment, je mets beaucoup de guillemets à ce terme. On sait quel immense profit les nazis ont tiré de cette rengaine du « coup de poignard dans le dos » dès les débuts de leur existence. Je rappelle ici qu’Adolf Eichmann, qui sera le chef direct de Dannecker à Berlin pendant la guerre, s’inscrit quant à lui dans la perspective d’un règlement global et systématique de la « question juive », et que dans cette perspective, il a entrepris d’étudier de près la question du sionisme. A cette fin, il a séjourné en Palestine. Dans le même esprit, Dannecker enseigne dans une école de cadres de la Gestapo, la SD-Schule, de Bernau, en 1937 et 1938 (voir sur ces question S. Klarsfeld, Le calendrier..., op. cit., p. 208). Dannecker a prononcé plusieurs conférences et a traité des aspects juridiques de la situation des Juifs en Allemagne. On connaît de lui notamment un écrit sur  « Organisation et traitement pratique de la question juive ». Il y développe des orientations pratiques très sévères, une sorte de calcul de la brutalité. En 1939, avec l’invasion de la Pologne en septembre, il est affecté en Pologne, à à Nisko, pour créer un camp, une réserve destiné à recevoir les Juifs viennois déportés, près de la frontière soviétique et entre la Vistule et le San. Quelques temps plus tard, à la fin de l’année 1939, il est rappelé à Berlin pour élaborer et faire fonctionner des dispositifs de persécution dans les pays occupés. Un office est alors créé dans le nouveau cadre du RSHA (cf séance 4, 2020), le service IV B 4 (le IV est la Gestapo et le IV B 4 a remplacé le II B 4 qui était à la Gestapo avant la création du RSHA). On estime à une centaine le nombre de SS employés par ce bureau, sachant par ailleurs que les activités de ces services étaient entourées d’un grand secret, si bien qu’on ne dispose pas à leur sujet de données vérifiées. Voilà en tout cas le service que dirige Eichmann (lui qui s’est illustré dans l’évacuation de 100 000 Juifs d’Autriche), et qui se ramifiera en France, à Paris, rue des Saussaies, l’antre tristement célèbre de la Gestapo parisienne. En même temps, Avec Eichmann, Dannecker travaille au projet dit Madagascar, un autre projet de déportation c’est-à-dire de « déplacement » (le mot est faible) d’un million de Juifs, sur 4 ans, dans cette île conquise grâce à la défaite de la France. C’est dans cette optique qu’Eichmann a séjourné en Palestine, et qu’il en a tiré l’hypothèse de la déportation des Juifs au moyen orient…

    Ce projet sera abandonné plus tard, quand les nazis choisiront le crime génocidaire (comme on dira plus tard) : exterminer un peuple entier et tenter de faire disparaître toutes les traces de son existence antérieure ; le rayer de la mémoire. Non seulement exterminer les personnes, mais parvenir à les exclure même de l’historie passée, afin que tout se passe comme si elles n’avaient jamais existé. C’est pourquoi le crime nazi est le plus monstrueux jamais imaginé et jamais commis. Soyons clairs : la déportation fait aussi bien mourir les gens, mais elle ne commence pas par les tuer…, c’est la toute la différence, pour un résultat qui est tangentiellement le même . Imagine-t-on le sort des personnes qu’on prive de tout, absolument tout, et qu’on envoie peupler une terre démunie et hostile ?

    Le 20 avril 1940, Dannecker est élevé au grade d’Hauptsturmführer, capitaine  (avant cela, il était Untersturmführer, lieutenant - mais les grades de la SS sont un peu différents de ceux de la Wehrmacht), et c’est en septembre 1940 qu’Eichmann fait de Dannecker son représentant en France. C’est pourquoi, un an plus tard, à la fin août 1941, Dannecker arrive à Drancy, au moment où le camp, qui a eu d’autres fonctions, devient ce camp de représailles spécialement destiné aux Juifs. Lorsque Dannecker fera irruption dans le camp, de temps à autre, ce sera d’abord pour prélever des otages à fusiller, puis, à partir du printemps 1942, pour superviser la formation des convois de déportation vers Auschwitz.

    Selon Laurent Joly (voir « Le cas Anette Zelman et le début de la ‘Solution finale’ en France (mais-juin 1942 )», in Vingtième siècle. Revue d’histoire, juillet-septembre 2013, p. 34), Dannecker a en fait de grands pouvoirs, car la SS s’est libérée de la tutelle des forces d’occupation (question cruciale, je l’ai dit l’an passé, celle de savoir qui a autorité sur le maintien de l’ordre en France occupée). Dans ce contexte, Dannecker se fait très bien obéir, et il obtient ce qu’il veut des Allemands mais aussi des Français, à Vichy en zone libre et évidemment en zone occupée à Paris. Et c’est sur son ordre que le 22 mai 1942 Annette Zelman est arrêtée à son domicile. Cette jeune personne, dénoncée par son futur beau-père, ne reviendra pas.

    Deuxième phase. Du 1er juillet 1942 au 1er juillet 1943, le camp de Drancy, qui voit arriver, avec les hommes, des femmes et des enfants, car c’est le moment où se déroule la grande rafle du Vel’ d’Hiv, est désormais sous la férule d’Heinz Röthke, qui dirige à son tour le service des affaires juives de la Gestapo, le IV J, et qui est donc le nouveau Judenreferent . Röthke est sous les ordres d’Helmut Knochen, responsable de la Sipo-SD, et de Karl Oberg, officiellement « chef suprême des SS et de la police allemande en France ».  Röthke est très jeune lui aussi, 28 ans en 1942. C’est un juriste, qui a aussi étudié la théologie à Berlin pendant une année, avant de renoncer, d’abjurer sa foi et de s’affilier - ou dirait même se convertir - au nazisme. A Drancy, il délègue la surveillance des départs à son adjoint Ernst Heinrichsohn autre très jeune garçon (20 ans seulement). Mais cette fois, en 1943, la police française est réticente – sans doute, comme je l’ai expliqué, parce que l’opinion publique, notamment catholique, a dépassé le stade de l’indifférence et se montre assez hostile aux rafles massives et devenues très visibles à Paris et en Province (voir sur ce sujet M. Laffitte et A. Wieviorka, A l’intérieur du camp de Drancy, op. cit., p. 219). Du coup, Röthke demande des renforts qu’Eichmann lui accorde.

    Troisième période, après juillet 1943, arrive Aloïs Brunner, le plus virulent, le plus violent (il fallait le faire!) avec sa douzaine de SS autrichiens On aura alors Brunner sur le terrain et Röthke comme administrateur bureaucrate. Contrairement à Röthke, qui a ses chefs à Paris, Brunner ne reçoit d’ordres que d’Eichmann et du IV-B-4 de Berlin. Né en 1912, il a donc 31 ans en 1943. On est bien dans une tranche d’âge comparable aux deux précédents. Ce sont de jeunes illuminés de l’antisémitisme. Brunner a adhéré au parti nazi autrichien en 1931. Comme le remarquent M. Laffitte et A. Wiéviorka, les SS en poste en Autriche joueront un grand rôle dans la mise en œuvre de la « solution finale » : on peut citer dans la même catégorie Ernst Kaltenbrunner, successeur d’Heydrich auprès d’Himmler, Eichmann, Franz Stangl, le commandant de Treblinka, et Odilo Globocnik, le Chef SS de la police de Lublin, principal dirigeant qui mettra en œuvre l’extermination des Juifs de Pologne.

    Donc, de juillet 1943 à août 1944, le camp de Drancy est dirigé par Aloïs Brunner, SS-Hautpsturmführer, qui a été nommé le 9 mai par Eichmann. L’important à cette phase, c’est le fait que les Allemands, et à leur tête un petite groupe de SS, prennent seuls la direction du camp, donc se dispensent de la police et des gendarmes français, relégués à la surveillance extérieure du camp. En plus, les SS s’efforcent de capturer la totalité des familles et des proches de ceux qui sont déjà entre leurs mains.

    II LES JUGEMENTS CONTRE LES SS

    Ceci étant rappelé, qui est la nervure centrale de la persécution nazie en France, j’en viens aux jugements proprement dits. N’oublions pas que les SS dont les noms suivent ont sous leurs ordres des centaines d’hommes, policiers et soldats. Je présente ces honteux personnages dans l’ordre hiérarchique.

    Karl Oberg (1897-1965). SS-BrigadeFührer, général de brigade, en 1942. Il n’a pas fait d’études supérieures ; il s’est engagé en 1914 dans l’armée. En mars 1942, il est nommé par Hitler Höhere-SS und Polizeiführer, HSSPF, Chef supérieur de la SS et de la police en France, après avoir exercé des fonctions comparables en Pologne. A ce poste, il est chargé à la fois de la « question juive » et de la lutte contre la Résistance. Il prend ses fonctions le 5 mai 1942, accompagné d’Helmut Knochen, et son installation, ai-je dit, est supervisée par Heydrich, venu à Paris pour l’occasion. Karl Oberg gîte au 57 Bd Lannes ; il sera surnommé « le boucher de Paris ». Après guerre, arrêté par les américains, condamné à mort par les tribunaux alliés puis par un tribunal français, il sera gracié, incarcéré à Mulhouse, et sa peine sera commuée en détention à perpétuité, avant qu’il soit finalement libéré par le général De Gaulle en 1962, sans doute dans la perspective de la signature prochaine (en 1963) d’un traité de coopération franco-allemand…

    Helmut Knochen (1910-2003). SS-Obersturmbannführer, lieutenant-colonel, puis Standartenführer, colonel. Il a fait des études d’histoire et d’anglais et a obtenu titre de docteur après un travail de thèse sur le dramaturge anglais George Coleman. De 1937 à 1939, Knochen sert dans le SD, au sein du bureau II-1 1, qu’il dirige et où il s’occupe plus spécialement de la presse  étrangère. Son service inclut la section des affaires juives, le II 1 1 2 de Hagen, Dannecker et Eichmann (Voir M. Laffitte, Juifs dans la France allemande, op. cit., p. 127). Knochen a 31 ans en 1940. En 1941, il a trempé dans les attentats contre les synagogues parisiennes (qui ont blessé des soldats allemands), et cette affaire lui a valu de très graves reproches de la part de l’administration supérieure de la Wehrmacht. Cependant, soutenu par Heydrich à Berlin, Knochen n’a pas été vraiment inquiété. On ne l’a pas démis de ses fonctions. A Paris, Knochen est commandant du Sipo-SD, exactement « Délégué du Chef de la Police de la Sûreté et du SD », si bien qu’il couvre toute la police puisque le Sipo-Sd inclut la Gestapo. Il est assisté d’un policier de la Gestapo, autre commandant SS, Karl Bömelburg (voir Patrice Arnaud et Fabien Théofilakis, Gestapo et polices allemandes, France, Europe de l’Ouest, 1939-1945, CNRS Editions, 2017, p. 20). De 1942 à 44, il sera le chef du Sipo-SD de Belgique et de France donc son autorité s’étend à la Belgique. Condamné à mort pour crime de guerre par un tribunal britannique en 1946, extradé en France en 1947 où il est à nouveau jugé et condamné à mort, il sera également gracié, et sa peine ensuite commuée en prison à vie ; par la suite, il sera libéré de la prison de Mulhouse avec Oberg (par décision, je le redis, de De Gaulle), en 1962.

    Herbert Hagen (1913-1999) Sturmbannführer, est à Paris directeur du cabinet d’Oberg donc son plus proche collaborateur. Il était déjà sous ses ordres en Allemagne où il dirigeait la section II-112, du SD sur les affaires juives, où étaient présents et actifs Eichmann et Dannecker, chacun dirigeant une sous-section. On a souvent dit, ce qui semble exact, que Hagen était la vraie tête pensante d’Oberg, lequel, promu très rapidement, n’avait sans doute pas de grandes qualités intellectuelles. C’est du reste Hagen qui s’est efforcé de développer la connaissance des situations juives européennes, entraînant Eichmann et Dannecker sur ce terrain ; d’où les conférences anti-juives prononcées devant les cadres nazis de la police et de l’armée au premier semestre de l’année 1938. D’où, également, le voyage en Palestine et en Egypte en octobre 1937, avec Eichmann. Hagen est arrivé en France en juillet 1940 dans l’équipe de Knochen, après quoi il s’est consacré d’abord à l’installation du Sipo-SD à Bordeaux, avant de devenir, deux ans après, l’adjoint d’Oberg, ce qui explique sa présence aux côtés d’Oberg lors de la rencontre fameuse avec René Bousquet en 1942. Hagen a lui-même pour adjoint Kurt Lischka. Hagen sera inculpé en Allemagne en 1980 (avec d’autres) lors du procès de Cologne, et il sera condamné à douze ans de prison, mais… libéré en 1985, il n’en tirera donc que cinq .

    Kurt Lischka (1909-1989). SS-Obersturmbannführer, lieutenant-colonel a fait des études de droit. C’est un ancien de la Gestapo à Berlin, où il était déjà affecté aux « affaires juives ». A Paris, comme adjoint de Knochen, il est à la tête du Sipo-SD, et c’est donc lui qui est censé contrôler l’activité de Dannecker. Il a ses bureaux au 11 de la rue des Saussaies, adresse de sinistre mémoire, je l’ai dit. Parmi les Allemands, Lischka  est le principal organisateur de la rafle du Vel d’hiv. Après la guerre, il échappe à diverses condamnations, mais il sera retrouvé par Beate Klarsfeld à Cologne en 1971, poursuivi et mis en joue par Serge Klarsfeld… qui ne tirera pas. Au terme du procès de Cologne, il sera condamné à dix ans de prison, mais n’en effectuera que cinq lui aussi, car il sera libéré en 1985 - quatre ans avant sa mort, à 80 ans, dans une maison de retraite. Combien de Juifs auraient atteint cet âge vénérable s’il ne les avait fait assassiner dans leur jeunesse et même dans l’enfance ?

    Théodor Dannecker (1913-1945), dont j’ai déjà abondamment parlé, joue un rôle central dans le processus de capture, séquestration et déportation des Juifs. Selon M. Marrus et R. Paxton (Vichy et les Juifs.., op. cit., , p. 239) : Dannecker avait apprécié la loi du 4 octobre 1940 sur les Juifs étrangers incarcérables… Je redis que Dannecker s’occupe spécialement du camp de Drancy jusqu’en juin 1942. Il communique alors directement avec Eichmann à Berlin, même s’il passe par son supérieur Knochen (donc aussi son adjoint Lischka) pour les questions importantes. Dannecker avait intégré le SD en 1935. En 1937, il était intégré au QG du même SD, où on lui confie une sous-section de la section des « affaires juives », la sous-section des Juifs assimilés ; alors qu’Eichmann, auquel il restera attaché, est chargé de l’autre sous-section, celle sur le sionisme. Dannecker arrive donc à Paris en août 1940, un peu après les commandos du SD, car il est nommé à la tête de la section IV J de la Gestapo (J comme… Juif). Il est Judenreferent ai-je dit, et, de ce fait, se consacre à l’examen et au contrôle de l’application des premières mesures anti-juives. Si Dannecker, souvent présenté, à juste titre, comme un fanatique antisémite, est envoyé en France à l’été 1940, c’est aussi parce que, spécialiste des Juifs assimilés, il a repéré que la moitié des juifs vivants en France sont assimilés. Ceci révèle bien la volonté de détruire ces Juifs français autant que les Juifs étrangers, étant donné que les juifs français assimilés sont perçus par les nazis comme une grave menace. Dannecker développe alors une activité antijuive inlassable, passionnée pourrait-on dire, prenant de nombreuses initiatives, sollicitant pour ce faire ses chefs et exerçant des pressions sur les représentants du gouvernement de Vichy, en particulier la Préfecture de Police à Paris. Parmi ses titres de gloire figurent les rafles. C’est à lui qu’on doit la commande du « fichier juif » que le service d’Andé Tulard à la Préfecture de Police va réaliser ; c’est lui qui appelle de ses vœux la création du Commissariat général aux questions juives, CGQJ (que son supérieur Lischka va approuver aussi) ; c’est lui, de même, qui exige la fusion des organismes de secours juifs dans un organe unique, l’UGIF. Rappelé à Berlin en août 1942, il est ensuite envoyé sévir dans d’autres pays : Bulgarie Grèce, Italie, Hongrie. En décembre 1945, arrêté par les américains, il se suicidera avant de rendre des comptes…

    Heinz Röthke (1912-1966). Ancien étudiant en théologie ayant changé son fusil d’épaule pour adhérer au message racial de son Führer. Très jeune aussi, à 28 ans, il sera le remplaçant de Dannecker, après avoir été son adjoint. Responsable du camp de Drancy entre 1942 et 1943. Il y précède un autre fou dangereux, l’horrible Alois Brunner. Röthke ne sera pas inquiété après la guerre.

    Röthke a eu lui-même pour adjoint Ernst Heinrichsohn, qui, lui, subira en 1979 et 1980, avec Lischka et Hagen, le procès de Cologne. A ce moment, Heinrichsohn est un élu municipal que ses administrés apprécient assez pour se cotiser afin de payer sa caution (200 000 DM!), ce que le tribunal refusera par crainte qu’il ne s’enfuie et échappe à la justice. Né en 1920, il était, à l’époque de Drancy, un tout jeune homme, un adolescent de 20 ans, mais qui se comportait dans le camp de façon particulièrement odieuse, comme une vraie petite terreur. Ancien étudiant en droit, il avait acquis à Drancy un pouvoir de vie et de mort sur des milliers de personnes. Plusieurs fois il ordonna que soit inscrite sur la liste des « partants » pour Auschwitz telle ou telle personne dont il voulait se débarrasser. Il fut condamné à mort par contumace, en 1956 ; puis à 6 ans de prison (seulement!) au procès de Cologne en 1980 ; mais il est mort (tranquillement?) en 1994.

    Il faut savoir que ces procès sont tardifs parce que jusqu’en 1971, en vertu d’un accord de 1955, l’Allemagne ne jugeait pas et n’extradait pas les anciens nazis.

    Je termine par Aloïs Brunner : jamais jugé ! Il se réfugiera après la guerre en Syrie, où il bénéficiera de la protection gouvernementale d’ Hafez el Assad (autre tyran, le père de l’actuel Bashar el-Assad), non sans avoir été atteint, mais pas de façon létale, par les services secrets israéliens : il perdra un œil et plusieurs doigts d’une main suite à un colis piégé. On croit savoir qu’il a été finalement jeté en prison à Damas, où il serait mort en 2001. Il était né en 1912.


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