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    Séance 10

     Chapitre II

     ORGANISATION DE LA VIE ET DU TRAVAIL

     DANS LES ANCIENS COLLEGES

     

    Au moment de commencer ce chapitre qui me conduira, sinon au centre du moins à proximité, sur les bords de l’objet de mon enquête (les pratiques d’enseignement et leur évolution), je ressens l’intérêt d’une sorte d’avertissement, pour ne pas dissimuler certaines difficultés que j’ai éprouvées et que tout lecteur un peu scrupuleux éprouvera sans doute comme moi, confronté aux études savantes dont je me sers. J’ai déjà annoncé que, pour avoir une connaissance suffisante des collèges de l’ancienne France, je n’ai pas fait un travail personnel d’archives : ce n’était pas indispensable puisqu’un tel travail a été fait par de nombreux historiens ou autres spécialistes des collèges et des jésuites, souvent avec minutie et en mobilisant une grande masse de documents relatifs à la vie et aux personnes ayant agit à l’intérieur des établissements ou à l’extérieur, en rapport avec ces établissements. Je me suis donc mis dans la position d’un amateur (que je suis sur ce plan !), qui fait crédit par principe à ses prédécesseurs bien plus savants. Ceux-ci ont d’ailleurs travaillé soit dès la deuxième moitié du XIXe siècle (comme Jules Quicherat en 1862 sur le collège de Sainte-Barbe, ou Camille Rochemonteix en 1889 sur le collège de La Flèche), soit dans la première moitié du XXe (comme Henri Fouqueray de 1910 à 1925, ou bien André Schimberg en 1913), soit encore, pour les plus récents, dans la deuxième moitié du XXe, c’est-à-dire depuis cinquante ou soixante ans (comme Ph. Ariès, D. Julia ou M.-M. Compère et les autres que j’ai cités). Ce qui signifie d’ailleurs que les moins anciens, même quand ils investiguent de nouvelles sources, lisent aussi et s’appuient sur les plus anciens, qu’ils prennent, ainsi que je l’ai fait moi-même, pour des sources secondaires (voir à ce sujet les bibliographies consignées dans les ouvrages de référence).

    A quelle sorte d’embarras fais-je allusion ? A ceci : quand on pénètre dans le détail des ouvrages utiles, on s’aperçoit qu’il y a ici ou là des différences entre eux (parler de divergence serait trop fort car la plupart du temps, il ne s’agit pas de phénomènes globaux donc cruciaux). Ce sont des différences d’interprétation ou même des différences dans la nomination et la description de certains faits par les historiens dont je parle. J’ajoute immédiatement que ces différences ne tiennent pas à une faiblesse ou à une incertitude des enquêtes effectuées ; car c’est la réalité historique elle-même qui se présente dans une grande diversité : d’un collège et d’une institution à l’autre, d’une ville ou d’une région à l’autre, et, qui plus est, d’une époque à l’autre, les variations sont très sensibles à tous les niveaux des institutions et des pratiques, malgré une logique ou une rationalité dominante. Du coup, voilà le problème, il est très difficile, et pour moi quasiment impossible, de trancher dans un sens plutôt que dans un autre. On se souvient par exemple de la distinction entre collèges d’humanités ou petits collèges, et collèges de plein exercice ou grands collèges. On admet le plus souvent que les seconds comprennent sept classes, depuis la Cinquième jusqu’à la Rhétorique (soit la Première), puis les deux années de philosophie ; tandis que les premiers s’arrêtant à la rhétorique, ne comportent que cinq classes. Or, d’une part, il se peut qu’une huitième classe, une classe de petits, la Sixième donc, soit ajoutée à l’un ou à l’autre de ces collèges ; et d’autre part ils se peut même que certains « petits collèges » ne soient pas des collèges d’humanités en ce sens, étant donné que leur limitation consisterait non pas à se priver des deux années de philosophie mais au contraire à se dispenser de tout ce qui précède ces deux années. Tel est l’avis de Boris Noguès dans Une archéologie du corps enseignant, op. cit., p. 17. Cet auteur évoque la situation de collèges qui ont conservé leur ancienne vocation de lieux d’hébergement tout en ayant introduit quelques enseignements en leur sein : c’est donc bien là une variante parmi d’autres… Rien n’est simple.

    Bref : ne négligeons pas cette variabilité et cette complexité qui, en conséquence, empêchent (et c’est ce que je veux exprimer avant tout) de formuler un schéma simple, qui livrerait une idée unique du collège et de ses transformations du XVe au XVIIIe siècle. Et ce d’autant moins que, comme l’avouent souvent les historiens très documentés et informés que je consulte, il n’est pas possible de tout savoir, il n’est pas possible de combler certaines lacunes relatives à la vie et au travail des maîtres et des élèves dans les anciens collèges. Dans ces conditions, puisqu’en outre je ne cherche pas à effectuer une synthèse complète, exhaustive, des travaux sur ces anciens collèges (ce serait une entreprise colossale ; et s’il s’agit de lui donner à un tel projet des limites raisonnables, on dispose, par exemple, de l’excellent petit ouvrage de M.-M. Compère, Du collège au lycée…, op. cit.), et puisque ce qui m’intéresse, c’est, non pas les collèges comme tels, comme institutions, mais les modes pratiques d’enseignement repérables dans ces contextes scolaires (je ne parle des collèges en général que pour donner des informations que j’estime utiles sur l’environnement des pratiques), je me propose de prendre pour points de repère certains établissements typiques et dans ces établissements les situations les plus caractéristiques des données et de l’évolution que je cherche à saisir. Je n’ose employer l’expression d’ « idéal type », mais c’est un peu cela qu’il faudrait dégager.

    Ce que je viens de dire me dispense également de scrupules lorsque je suis conduit à privilégier les collèges jésuites… Je le redis, les pratiques d’enseignement ne sont pas très ou pas trop différentes d’un secteur à l’autre ; elles demeurent assez indépendantes, ou du moins la logique qui les anime reste assez indépendante, elle, des multiples variations que j’évoquais, car ces pratiques constituent un phénomène de mœurs qui s’impose à tous. Avec le recul historique, nous savons bien, c’est une évidence, que les maîtres, quels qu’ils aient été, ont épousé la même tradition humaniste, et n’ont pas dérogé aux habitudes scolaires qui commençaient d’être prises par tous les collèges et tous les maîtres, les jésuites comme les autres. Il pouvait certes y avoir là aussi, d’un établissement et d’une corporation à l’autre, des nuances de forme, des nuances sur telle ou telle manière de faire, sur telles ou telles finalités ; mais pour saisir mon objet, je peux passer outre. J’espère que les remarques qui suivent vont confirmer cette façon de voir…

    En fait, si l’appui sur un schéma d’analyse simple est peu envisageable, c’est pour la raison de l’adaptation des collèges aux réalités locales, y compris les collèges instaurés par les jésuites… Pour illustrer cette proposition, on pourrait prendre l’exemple de Poitiers, parmi bien d’autres (exemple traité par Joseph Delfour, Les jésuites à Poitiers (1604-1762), 1901 ; voir son Introduction). Car à Poitiers, à la fin du XVIe siècle, il y a eu pas moins d’une dizaine de collèges, tous surveillés par la Faculté des Arts, mais avec toutes les variantes qu’on imagine, certains réputés et prospères, mais d’autres nettement médiocres et en difficulté à tous les niveaux.

     

     

    I) L’ORGANISATION

     

     

    Comme pour le niveau des rudiments dont j’ai traité l’an passé, je vais dire un mot (un peu plus en l’occurrence, cette fois) de l’organisation des établissements scolaires qui m’occupent maintenant, les collèges, avant d’en venir aux manières d’enseigner et d’apprendre, le travail des maîtres et des élèves, dans ce cadre d’organisation.

     

    1) Les collèges dans le paysage scolaire

    Je reviens en premier lieu sur la distinction des collèges d’humanités, qui s’arrêtent après la rhétorique, et des collèges de plein exercice, qui comprennent en plus les deux années de philosophie, donc mènent aux études des facultés supérieures, le droit, la médecine et la théologie. En fait, cette distinction se formule de plusieurs manières. La dénomination de « petits collèges », pour ceux qui s’arrêtent après la classe de rhétorique (sauf la situation signalée plus haut), s’applique aux « régences latines », ou « collèges d’humanités », ou encore « collèges mineurs », alors qu’elle désignait au Moyen Age ces sortes de pensions qui n’offraient que le gîte et le couvert, et envoyaient les enfants suivre les classes des grands collèges.

    Une autre manière de voir (nous sommes bien dans les variations dont je vous ai averti en commençant) est celle de M.-M. Compère et D. Julia qui, dans leur répertoire des Collèges français, op. cit., p. 4, mentionnent : les « régences latines » (avec un seul régent de latin), ensuite les « petits collèges » (avec deux régents de latin), puis les « collèges d’humanités » (avec trois régents de latin) et enfin les « collèges de plein exercice », comportant tous le cursus y compris  les deux années de philosophie - avec la métaphysique et des sciences, dont, surtout, la logique.

    A Paris, à la fin du XVIIIe siècle, le collège jésuite de Louis-le-Grand est un parmi 38 établissements parisiens, dont 10 sont des « Grands collèges » ou collèges « de plein exercice » au sens que je viens de dire. En plus, durant toute la période, il existe, en rapport étroit avec les collèges, de nombreux pensionnats extérieurs, établissements qui accueillent les élèves sans dispenser d’enseignement. Ce sont des « collèges sans exercice » disent également M.-M. Compère et D. Julia, idem. Ces internats peuvent être aussi des collèges de boursiers, qui font penser aux origines médiévales de l’institution.

    Mais tout ceci n’éclaire pas encore l’organisation et, disons, la structure des fonctions assumées par un personnel adulte dans les collèges. Or un élément particulier signale bien cette structure du collège dans son évolution comme établissement d’enseignement, jouant un rôle éducatif nouveau. Cet élément, un élément clé, c’est la présence d’un personnage lui-même nouveau, le Principal. M.-M. Compère cite un texte lyonnais de 1540 où il est question d’un « homme de bonne  mœurs, ayant un sens commun et jugement sans suivre ses privées affections », et qui montre aussi « de bonnes lettres pour savoir discerner la qualité de ses régents… » (Du collège au lycée, op. cit.,  p. 33). Ceci montre que le Principal a la charge de recruter les maîtres de l’établissement qu’il va diriger et surveiller. Lorsqu’il s’agit d’un collège communal comme le collège de Guyenne à Bordeaux (et il s’en crée beaucoup aux XVIe et XVIIe siècles) les autorités municipales, qui sont à l’initiative (et non les autorités des Universités), au moment de procéder à la fondation qu’elles ont décidée, commencent par engager un Principal et passent avec lui un contrat au terme duquel ce dernier va choisir des régents pour les différentes classes prévues.

    Principal se dit aussi Primarius, ou Principalis, parfois aussi Provisor, ou encore Rector. Ce dernier terme prévaudra chez les jésuites… A la Sorbonne ou au collège des bernardins, on l’appelle Magister studentium. C’est lui, le  Principal, qui fait la tournée des chambres, des classes et des dépendances, pour si possible voir, disons même surprendre le comportement des élèves et de ses subordonnés, les maîtres ou régents (je tire ces renseignements du Père Gabriel Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des jésuites, le« Modus parisiensis », Rome, Institutum historicum, 1968 – autre ouvrage formidablement érudit, et téléchargeable sur Internet).

     

    2) A l’intérieur : les classes

    Le second élément d’organisation, très important, qu’il faut prendre en compte pour saisir le genre de vie institué dans les collèges, élément qui ne surprendra personne tant il est visible, et d’ailleurs il est clairement apparu dans les remarques précédente, c’est la liste et la spécialisation des classes. Dans les collèges, depuis au moins le XVIe siècle, on l’a vu, la classe de niveau est devenue la norme d’organisation fondamentale. J’ai expliqué, plus encore, dans le cours de 2013, que les collèges sont même à l’origine de cette pratique (voir cours 2013, les séances 2 et 4, et la référence admise aux Frères de la Vie Commune). J’ai à nouveau indiqué cette année que cette histoire de la classe scolaire est retracée par Ph. Ariès dans le chapitre III de la deuxième partie de L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960). Je vais un peu revenir sur cette évolution, pour qu’on comprenne la diffusion de cette norme.

    La norme de la classe a été fixée à Paris, dans l’Université et les collèges de la Faculté des Arts. C’est ce qu’on a appelé la « manière de Paris », le modus parisiensis. Tous les spécialistes nous expliquent que les jésuites ont repris et appliqué ce mode d’organisation (avec quelques améliorations que je décrirai). L’analyse la plus complète du modus parisiensis se trouve dans le livre de G. Codina Mir, que je viens de citer, p. 100 et suiv. (bien plus détaillé que le court chapitre de Ph. Ariès).

    Le modus parisiensis, mis au point dans le contexte de diffusion de la culture humaniste, est une organisation qui repose avant tout (mais pas seulement) sur un découpage du temps scolaire dans les sept ou huit étapes dont j’ai parlé, de la Sixième ou de la Cinquième à la Philosophie. Trois ou quatre classes, donc, pour l’acquisition du latin (retenez bien ceci, que j’ai déjà dû souligner : c’est bel et bien une seule matière qu’on enseigne pendant toutes ces années initiales !) ; puis la poésie, pour la classe d’humanités (ou Seconde), puis la classe de rhétorique (la Première), et enfin les deux années de philosophie. C’est ce que prévoient les statuts de la Faculté des Arts en 1598 ; c’est aussi ce que reprend le Ratio studiorum des jésuites en 1599. Il y eut davantage de niveaux donc de classes dans d’autres collèges. Au XVIe siècle toujours, le collège de Guyenne, où étudia Montaigne, fondé en 1533, en a compté dix. Cela étant, rien ne dit que les élèves ne restaient qu’une seule année à un niveau donné. Chez les jésuites, au XVIIIe siècle, ceux des élèves qui passaient deux années dans la même classe (ce qui était une cause supplémentaire de la disparité des âges), étaient nommés les « vétérans ». Aujourd’hui, ce seraient des redoublants.

    Le mot classis apparaît vers le milieu du XVIe siècle. Il semble que l’ajout d’une classe en début de cursus, cette sorte de classe préparatoire, la 6ème, consacrée à l’apprentissage des rudiments du latin, donc aussi au simple apprentissage de la lecture, ait eu lieu plus tard, au XVIIe siècle, dans les grands collèges (comme à la Flèche, à Louis-le-Grand, à Rouen, à Rennes, etc. voir C. Rochemonteix, Un collège de jésuites… La Flèche, op. cit., p. 3). Ceci permettait en outre d’affronter la diversité des niveaux entre les élèves, lesquels pouvaient être au demeurant fort nombreux, des centaines parfois (et cent ou deux cents dans une seule classe).

    La classe, la norme de la classe pour regrouper des élèves plus ou moins proches en âge et situés à un même niveau d’acquisition, est donc entrée dans les mœurs à la Renaissance. Mais il est certain qu’une pratique de ce genre remonte plus haut. Elle est probablement issue des divisions des lectiones établies dès le Moyen Age. Ces divisions s’appliquaient aux livres que le maître avait pour tâche de lire, en s’adressant pour ce faire à des groupes d’élèves distincts. C’était là une première division des tâches d’enseignement et donc aussi des statuts des écoliers.

    G. Codina Mir (idem, p. 101), affirme que la première mention claire d’une partition des élèves en classes se trouve en 1509 dans le programme du collège de Montaigu. Ce collège, qui était situé à Paris juste à côté de l’actuelle place du Panthéon comme le collège de Navarre, était l’un de ceux constituant la Faculté des Arts. Il est alors question de sept classes (le mot utilisé est regula ou lectio), chacune ayant un programme de connaissance spécifique, que les élèves doivent posséder avant d’accéder au niveau suivant. Je cite ce point parce que, là encore, c’est une donnée nouvelle par rapport aux études que j’ai déjà parcourues ici, notamment le chapitre de Ph. Ariès. Si cette pratique, fermement assurée à Montaigu, est nouvelle, il faudra cependant encore du temps pour qu’elle soit généralisée aux autres collèges. Un témoignage issu du collège de Sainte Barbe, en 1538, déplore ainsi que de nombreux maîtres se contentent toujours d’enseigner sans mettre aucun ordre dans leur matière (Codina Mir, idem, p. 102). Un peu comme aujourd’hui ces émissions d’histoire à la radio ou à la télé, où on parle un jour de ceci à telle époque, le lendemain ou la semaine suivante de cela à une toute autre époque, etc., sans qu’il y ait de rapports ni de continuité : pas de souci de progression, donc. Mais si le dispositif des classes a gagné, assez rapidement en fin de compte, les collèges de Paris, c’est parce qu’il existait dans l’Université cette ancienne tradition de rigueur dans la gestion des élèves (exemple : les boursiers) et dans la prévision et la distribution des matières. C’est pourquoi les classes de grammaire ont été les premières  à emboîter le pas du collège de Montaigu. Au collège de Navarre, en 1530, il y a dix-huit régents, donc autant de classes (classis, ordo, regula, lectio), certaines en double, assurément ; dans ces mêmes années, il y en a une dizaine à Saint Barbe. C’est alors qu’on commence à utiliser un  numéro pour les nommer (la Troisième, la Seconde, la Première…) comme au collège de Montaigu.

    L’organisation des établissements sous forme de classes n’est évidemment pas un élément accessoire concernant les pratiques d’enseignement, parce que celles-ci, très tôt donc, s’en trouvent dynamisées. Ce regain d’efficacité est remarqué, à juste titre, par Luce Giard, dans son article introductif à l’ouvrage Les jésuites à la Renaissance..., op. cit., : « Le devoir d’intelligence ou l’insertion des jésuites dans le monde du savoir », p. LIX . On peut comprendre que la classe entraîne et justifie un découpage très fin du temps quotidien des études, ce qui permet par ailleurs une gestion collective du travail des élèves, qui elle-même suppose réalisée une autre condition (on va le voir) : l’accroissement du nombre des régents et du personnel des adultes…

    Concernant le découpage, il faut savoir que c’est dans ce curant d’évolution qu’on calcule la progressivité des matières, autrement dit qu’on se rend attentif à la manière d’apprendre pour les enfants. Le programme de Montaigu prescrit jusqu’au nombre de vers de tel texte que l’élève devra savoir à chaque degré, selon un ordre strict, tandis que les régents ont interdiction de se lancer dans l’explication d’un chapitre si le précédent, étudié avec un autre régent, n’est pas terminé, etc. Du coup, un « contrôle » des acquisitions - comme nous disons aujourd’hui, devient possible, ce qui va aussi donner lieu à de véritables examens de passage (Codina Mir, idem, p. 107). Nous ne savons pas avec certitude selon quelle périodicité et à quels moments ces sessions avaient lieu à Montaigu, mais il semble que le moment de la rentrée, le 1er octobre, ait été le jour propice pour les affectations dans les classes, ce qu paraît très logique.

    J’ai donc restitué la thèse de G. Codina Mir, selon qui le collège de Montaigu a pu jouer le rôle moteur dans la généralisation de la norme de la classe avec toutes ses conséquences pédagogiques.

    Ce qu’il faut retenir pour résumer, et qui est assuré, c’est que le principe de la classe et de la gradation des classes détermine une prévision rationnelle de l’éducation. Dès le XVIe siècle, on admet qu’il doit y avoir un ordre des matières, donc une succession réglée des textes à lire, des auteurs à étudier et des exercices à effectuer en rapport. Tout cela, qui n’est donc pas une invention pédagogique des jésuites, sera cependant leur point fort. C’est à ce niveau qu’ils vont exceller et donc imposer leurs propres normes. Les jésuites, les fondateurs des collèges après Ignace de Loyola, auront une conscience aiguë de la nécessité d’éviter que les objets intellectuels soient présentés dans n’importe quel ordre et indifféremment aux différents âges des enfants. Contre cette confusion toujours possible, donc, les jésuites vont reprendre le principe des classes le plus répandu, du XVIe au XIXe siècle, avec les cinq années ou plutôt les cinq niveaux que j’ai cités à plusieurs reprises : les trois classes de grammaire, Prima, Secunda et Tertia, Cinquième, Quatrième, Troisième, pour l’apprentissage de la langue latine, écrite et parlée (je rappelle qu’à l’origine, on parle latin en classe), ensuite la classe d’humanités, ou Seconde, ou « classe de la poésie », puis, au sommet, la classe de rhétorique (la Première). J’en analyserai plus loin les programmes de lecture. On peut dire que la gradation ainsi ménagée, et qui est devenue la norme intouchable, est une norme cognitive : passer de la grammaire aux humanités puis à la rhétorique, c’est aussi énumérer, puis décrire, puis interpréter (comme le suggère F. de Dainville, dans La naissance…, op. cit., p. 85 et 106). Du moins est-ce le cas du « collège d’humanités » dont je parlais, celui qui, chez les jésuites toujours, ne se poursuit pas par le niveau supérieur, les deux (parfois trois) années de la philosophie.

     

    Je reviens pour finir à un propos plus général. Je renvoie à ce que j’ai dit dans la séance 7, lorsque j’ai évoqué l’origine des collèges. C’est en effet à ce processus d’évolution qu’il faut renvoyer les particularités de l’organisation nouvelle. Souvenons-nous de l’élément de base dans cette évolution : le déplacement des enseignements vers ces collèges qui étaient à l’origine de simples maisons destinés à l’accueil et l’entretien des étudiants pauvres, auxquels les fondateurs du collège donnaient un statut spécial, de boursiers. Souvenons-nous en, car, une fois qu’on a compris ce fait, on peut tirer une conséquence immédiate très sensible, à savoir que tous les enseignement qui, autrefois, au XIVe siècle encore, étaient dispersés en plusieurs lieux (la grammaire c’est-à-dire le latin dans les monastères et les petites écoles, notamment les écoles de la célèbre rue du Fouarre ; ou bien la théologie dans les couvents et dans deux collèges de séculiers, celui de Sorbonne et celui de Navarre ), tous ces enseignements disais-je, viennent désormais se concentrer dans les collèges ; moyennant quoi les écoles de la rue du Fouarre vont décliner et ne plus servir qu’aux actes et cérémonies des examens, comme la déterminance (le bac). C’est alors que certains de ces collèges deviennent très réputés et courus : les collèges de Sorbonne et de Navarre, ensuite de Sainte Barbe et de Montaigu, notamment. Dans ces collèges, dits de « Lettres humaines », s’active alors un encadrement spécial, « professionnel » (si on me permet ce néologisme) : des régents, des chapelains, des Principaux… (lesquels sont à l’origine élus par les boursiers). Chez les jésuites, on verra en plus des « préfets » s’occuper des études et de la discipline. Mais n’en déduisons pas que les collèges, qui font partie de l’Université, de la Faculté des arts (on a vu le problème que cela pose aux jésuites), obtiennent dans ce processus une sorte d’indépendance. Ce n’est pas du tout le cas, au contraire. On le voit au fait que la réforme de 1452, à Paris toujours, a instauré des censeurs ou visiteurs de l’Université, qui exercent un droit de regard sur l’administration mais aussi la discipline et même l’enseignement des collèges.

    Il est clair que ces évolutions concernent les élèves également. Par exemple, même s’ils ne sont pas très nombreux, les boursiers, étant donné qu’ils sont pensionnaires, sont contraints par une discipline nouvelle très stricte, qui, progressivement, les prive d’autonomie. D’ailleurs, quand on regarde la composition du public des collèges des XVI et XVIIe siècles, les différents types d’élèves, on s’aperçoit de l’importance grandissante, au cours de ces évolutions, du régime de l’internat, disons de quelque chose qui s’en rapproche, et qui promeut une fixation de la vie entière des élèves à l’intérieur des collèges. Restons totuefois nuancés sur ce point. Quand on s’intéresse aux collèges jésuites, des XVIIe et XVIIIe siècles, on constate en effet qu’il y a très peu d’internats associés à ces établissements. Il est probable en outre que, lorsqu’on crée des internats, ce soit autant pour des raisons de discipline que pour améliorer le travail scolaire proprement dit. F. de Dainville, dans La naissance…, (op. cit., p. 268-269), évoque à ce sujet le cas des collèges de Paris, Lyon, Toulouse, Douai, etc. Mais alors (idem, p. 348), l’internat est dissocié de l’établissement, ce qui signifie que les élèves internes viennent, sous la houlette d’un Principal, s’agréger aux externes pour suivre les classes. Un tel système n’était pas une pièce rapportée, puis qu’il fit l’objet de règlements précis dès la fin du XVIe siècle.

    La durée moyenne des leçons, dans les collèges importants, bien sûr, dès le XVIe  siècle, est de 6 heures par jour, soit deux fois trois heures, matin et soir, sans récréations (avec toutes les variations d’un collège à l’autre). Au centre des activités d’enseignement  il y a des leçons-lectures, les lectiones, nous verrons cela de très près. Elles se tiennent de 8 h à10 h le matin et de 3 h à 5 h  le soir. Juste après, il y a une heure de quaestiones et disputationes relatives aux leçons qui ont précédé (on verra aussi plus tard de quoi il s’agit exactement). Il faudrait encore distinguer les « leçons ordinaires » et les « leçons extraordinaires », qui ne traitent pas des mêmes matières. Certaines leçons extraordinaires, pour les artistes, ont lieu avant la messe, de 5 à 6 h du matin. De plus, il est difficile de distinguer les leçons au sens strict, les lectures, et certains exercices effectués sous la direction  des maîtres comme les quaestiones, les disputationes, les reparationes. Ces dernières du reste, les reparationes ou repetitiones, ont lieu après les repas, midi et soir. Pour les petits élèves, les grammairiens, il existe aussi parfois une « petite classe », de 6 h à 7 h.

    Ceci vaut à titre indicatif… car à nouveau, il faut admettre que nous sommes face à une pluralité de dispositifs pratiques, à partir desquels il est difficile de se faire une idée d’ensemble unique.


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