Séance 3
LE RÉGIME DE VICHY ET L’OCCUPATION ALLEMANDE
III QU EST-CE QUE LE RÉGIME DE VICHY ?
(suite)
2) Les caractéristiques du régime de Vichy (suite) :
J’ai assez exposé les attendus idéologiques de la « révolution nationale ». Maintenant, je retiens également, pour simplifier, et sans trop réduire je l’espère, trois clauses pratiques (au moins trois…) de cette politique pétainiste (il est facile de trouver sur chacune toutes sortes d’études spécialisées).
a) 1ère clause pratique : l’encadrement de la jeunesse. Pétain a créé en ce sens, en zone non occupée, les « chantiers de jeunesse » (Voir A. Kaspi, Chronologie…, op. cit.,, p. 169). Décidés le 30 juillet 1940 pour les jeunes de 15 à 20 ans, ces « chantiers de jeunesse » étaient une sorte de substitut du service militaire (impossible à cause de l’Occupation), et ils devaient retenir les garçons pour une période de huit mois. D’abord destinés à la classe d’âge 1940, mobilisée en juin, ils furent ensuite imposé à tous les garçons de la zone libre en âge d’accomplir leurs obligations militaires (loi du 18 janvier 1941). En réalité, cette pratique de substitution fut de plus en plus perçue comme une contrainte désagréable, à mesure que la collaboration de Vichy avec les nazis devenait visible et se renforçait. En février 1943, quand les chantiers de jeunesse, qui étaient prévus pour tous les garçons nés de 1920 à 1922, furent appelés à servir de base de recrutement pour le Service du Travail Obligatoire, nouvellement instauré pour fournir de la main d’œuvre aux usine allemandes, leur impopularité fut très élevée.
b) 2ème clause pratique de la révolution nationale : agir en direction du monde ouvrier en restaurant, sur un modèle de France d’Ancien Régime, des corporations de métier. Pour ce faire, Pétain instaura, à la place des syndicats (supprimés en même temps que le droit de grève) des sortes d’associations professionnelles (sans pouvoir). Le 4 octobre 1941 une « charte du travail » organisait ainsi, d’une part des corporations par branches d’activité (corporations que l’État pouvait contrôler et auxquelles il imposait le montant des salaires), d’autre part une « Corporation ouvrière » (réplique de la « Corporation paysanne » -voir un bon article sur ce sujet en ligne dans Wikipedia), organismes dont il attendait qu’elle travaillent à un accord fondamental entre ouvriers et patrons, donc à l’éradication de la lutte des classes (c’était un des grands acquis de la Révolution française que d’avoir supprimé les corporations ce qui mettait fin au monopole que des individus et des groupes pouvaient exercer sur certains métiers).
c) 3ème clause pratique de la révolution nationale : l’établissement de liens serrés avec l’Église. C’était une autre conviction majeure des représentants du régime de Vichy que d’aller dans le sens antimoderne (et antirépublicain) voulu par les catholiques. En juin 1941, l’Assemblée des cardinaux et des archevêques, qui voulaient en particulier prendre une revanche sur les grandes lois laïques, prêtait officiellement allégeance à Pétain.
C’est ainsi que la laïcité scolaire fut affaiblie. Le 3 septembre 1940 fut abrogée l’ancienne loi de juillet 1904 qui interdisait aux prêtres et aux congréganistes d’enseigner dans toutes les écoles, aussi bien publiques que privées. Les congrégations pouvaient à nouveau ouvrir des écoles… (elles ne seront plus interdites par la suite, après la guerre). Une loi du 18 septembre supprime les écoles normales d’instituteurs. C’est dans cet esprit également que l’enseignement religieux est ensuite réintroduit dans les écoles, à certaines conditions toutefois : le 6 janvier 1941, il est décidé que cet enseignement est réintroduit, mais optionnel ; il sera ensuite retiré par le ministre Carcopino… toute une frange d’extrême droite étant en effet hostile au « cléricalisme »…
Cela étant, il ne faut pas négliger le fait que par la suite quelques prélats et une partie de l’opinion catholique vont se détacher de Pétain et de la révolution nationale, notamment au moment où les Allemands décident le port obligatoire de l’Étoile jaune, et après les grandes rafles de l’été 1942, à l’occasion desquelles les victimes ont été mises dans des situations catastrophiques. Pétain va voir dans ce début de retournement un signal d’alarme inquiétant – lui qui entendait se ternir très précisément informé des évolutions de l’opinion française (d’où la surveillance du courrier et du téléphone).
Voilà par exemple ce qu’écrit (et fait lire en chaire) Monseigneur Saliège, informé sur les événements survenus en août 1942, y compris dans son diocèse de Toulouse et dans les camps de Noë et Récébédou:
« Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine, qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme ; ils viennent de Dieu. On peut les violer…Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer. / Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle » (cité in Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France. 1942, Paris, Fayard, 1983, p. 354).
3) La 2ème dimension caractéristique du régime de Vichy, c’est son choix de la collaboration avec les Allemands. Un choix franc et net. Comme disent J-P Azéma et O. Wiéviorka (Vichy…, op. cit., p. 53) : la collaboration est un « aboutissement naturel » du régime instauré par Pétain. Le mot « collaboration » ou du moins une expression très proche, se trouve dans l’un des articles des accords d’armistice : zusammen arbeiten », soit : « travailler ensemble. Dans un premier temps la collaboration est surtout une exigence économique des Allemands qui voulaient, je l’ai dit, puiser dans les ressources françaises. Mais ensuite, Pétain et son gouvernement vont donner à ce principe une application plus étendue, plus politique, qui va amplement satisfaire les Allemands (qui a priori ne demandaient rien de tel). Par là s’explique la mise en œuvre d’une collaboration policière dont les Juifs vont faire les frais notamment jusqu’en 1942 ( comme les Résistants).
A propos de cette collaboration dans la répression, je cite le chef des SS en France, K. Oberg, qui a déclaré lors de son procès après la guerre :
« Conformément à l’accord que j’avais établi avec Bousquet [ en juillet 1942, juste avant la rafle du Vel d’Hiv], la police française agissait de façon indépendante, dans une ligne de conduite commune avec la police allemande… » (cité par D . Peschanski, « Exclusion, persécution, répression », in Le régime de Vichy et les Français, dir. J-P Azéma et F. Bédarida, Paris, Fayard, 1992, p. 224). Remarquons l’idée, très importante, d’une indépendance avec en même temps une ligne d’action commune.
Et c’est un fait que Pétain, et surtout Laval, sont acquis à cette pratique de la collaboration, car ils pensent que les dés sont jetés et que l’Allemagne va dominer l’Europe pendant longtemps, moyennant quoi il faut s’accorder avec les nazis. Grave erreur que De Gaulle, précisément, ne commet pas !
Laval, qui est à la manœuvre dès l’été et à l’automne 1940, puis qui va être mis sur la touche en décembre, mais qui reviendra, imposé par les Allemands, en avril 1942, pense que l’Angleterre sera rapidement vaincue, et qu’il faut donc s’entendre avec Hitler. Toujours cette erreur d’appréciation. Mais ce n’est pas une simple erreur de jugement : c’est aussi un penchant antirépublicain. Par ailleurs, Laval connaît bien l’ambassadeur Allemand Otto Abetz, qu’il fréquentait avant la guerre (Abetz a résidé à Paris), et qui lui fournit un Ausweiss pour venir à Paris. Laval a donc toute latitude pour organiser la fameuse rencontre de Pétain avec Hitler à Montoire, qui aura lieu en octobre 1940… (rencontre qu’on peut considérer comme une des grandes hontes nationales de la période, puisque le vaincu fait allégeance au vainqueur : il devient son vassal).
Les choses, cependant ne sont pas si simples, car, je viens de le rappeler, en décembre 1940 Laval est écarté par Pétain, qui ne supporte pas son amitié avec les Allemands et qui se sent de ce fait privé d’initiative. Ensuite, après un éphémère cabinet Pierre-Etienne Flandin (de décembre 1940 à février 1941), l’amiral Darlan va diriger le gouvernement de février 1941 à avril 1942 (je l’ai dit : à la fin de l’année il s’enfuit à Alger… où il est assassiné en décembre). C’est donc sous cette présidence du Conseil que les principales mesures et les principales actions de persécution contre les Juifs ont été prises.
Pour préciser un peu le contexte, il faut dire que Darlan, en même temps, en avril 1941, a déclenché un vaste remaniement de la police au terme duquel a été créé une police unifiée, véritablement nationale (Oberg y fait allusion dans la phrase que je cite ci-dessus). Auparavant, l’essentiel des forces de police était sous le contrôle des municipalités donc des maires. Et c’est dans ce nouveau cadre « national » qu’une prestation de serment envers la personne du Maréchal deviendra obligatoire non seulement pour les hauts fonctionnaires mais aussi pour les policiers, à quelque grade qu’ils se trouvent.
Donc il y a bien eu, comme le suggère D. Peschanski, (Vichy 1940-1944, op. cit. p. 25) une « année Darlan », laquelle année se caractérise par la mise en œuvre à grande échelle de cette politique de collaboration politique (et policière)… que Laval, nettement pro-allemand (c’est lui qui a dit le 22 juin 1942 souhaiter la victoire de l’Allemagne en Union soviétique !) va ensuite poursuivre et amplifier. Je n’ai pas besoin de m’étendre beaucoup sur ce triste aspect de l’action gouvernementale pendant l’Occupation. Je souligne avant tout la participation de la police à la répression de l’ « anti France »….
Parmi les décisions antirépublicaines du régime de Vichy, n’oublions pas la création des « sections spéciales » auprès des cours d’appel et des tribunaux militaires. Pour plaire (ou simplement obéir ?) aux Allemands, il fallait juger les auteurs de troubles et d’attentats communistes et, au besoin, rejuger des hommes déjà condamnés pour des délits moins importants, mais dont on voulait aggraver la peine, jusqu’à les condamner à mort (donc en bafouant le grand principe de la non-rétroactivité des lois). Ceci donnait lieu à des procès sans possibilité d’appel.
Sur le registre collaborationniste, les autorités françaises allèrent même jusqu’à passer des accords militaires avec les Allemands. En mai 1941, Darlan rencontra Hitler à Berchtesgaden, et il accepta de fournir un soutien logistique à la Wehrmacht en Afrique et au Proche Orient. Ainsi le haut commandement militaire français en vint à prendre fait et cause pour le combat des Allemands contre l’Angleterre, en fournissant aux Allemands une base aérienne en Syrie, à Alep, et en livrant des véhicules …
Lorsque Laval est de retour le 18 avril 1942 - comme chef de gouvernement cette fois, fonction créée par l’acte constitutionnel n°11 (Pétain est lui-même « chef de l’État »), il a des pouvoirs très étendus. Il détient le ministère de affaires étrangères, le ministère de l’Intérieur, et le ministère de l’information. Or la politique de collaboration est son credo. Lui aussi espère par ce moyen préserver un rôle intéressant pour la France dans l’Europe allemande. C’est alors qu’il invente la « relève » : chaque fois que trois travailleurs partiraient dans les usines allemandes, un prisonnier pourrait revenir en France… Mais ce système ne fonctionnera pas, faute de volontaires, qui furent quelques milliers seulement au lieu des 350 000 espérés par les Allemands. Du coup, ceux-ci vont contraindre à créer autre chose : ce sera le STO, en septembre 1943. C’est alors que l’impopularité de Laval, réputé « collabo », ne cesse de croître.
Surtout, Laval poursuit ou laisse accomplir par les Allemands la politique antijuive (déjà mise sur pied par Darlan notamment avec la création du Commissariat Général aux Questions Juives, CGQJ). Et c’est sous la direction de Laval qu’auront lieu la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942 et en juin l’obligation du port de l’étoile jaune (en zone occupée). A ce moment, René Bousquet est secrétaire général de la police, et Darquier de Pellepoix est le chef du CGQJ (il a remplacé Vallat).
Si j’évoque cette longue série de faits de la politique de Pétain et Laval, c’est parce qu’elle confirme le constat d’une continuité essentielle de la politique collaborationniste et raciste, décidée et mise en œuvre, certes sous l’influence allemande, mais avec l’accord des autorités de Vichy, qui sont mues par un choix de soumission à l’égard des Allemands (quelles qu’en soient les raisons et les justifications, je le répète). Pour vérifier cette hypothèse de la continuité du régime par delà ses accentuations, ses accélérations ou ses ralentissements, liés aux changements de personnels, je pense qu’il suffit de rester attentif aux dates que j’ai indiquées. Avec D. Pechanski (Vichy…, op. cit., p. 23), on peut en conclure que Pétain a bel et bien dépassé les limites dans lesquelles étaient tenus les accords d’armistice du juin 1940. Pétain s’est engagé et il a engagé la France dans une collaboration politique qui n’était pas exigée par les Allemands, lesquels se seraient contentés, comme je l’ai précisé à plusieurs reprises, de la collaboration administrative et économique c’est-à-dire du pillage des ressources françaises afin de soutenir leur effort de guerre. Bref, même si Pétain voulait donner des gages aux nazis dans l’espoir, entre autres, de faire rentrer en France les centaines de milliers prisonniers des stalags… il n’en demeure pas moins que le régime de Vichy et la révolution nationale ont supporté et se orientés dans un sens qu’on ne peut qualifier autrement que comme une politique défaitiste et d’abaissement national…
Remarque : sur Pétain, encore.
Pétain, à partir de 1942 et du retour de Laval, était-il sénile, inactif et dépassé par les événements ? On le dit parfois. Mais on peut en douter si l’on sait par exemple que, de février à avril 1942, lui qui avait créé en Juillet 1940 une Cour suprême, a fait préparer le fameux procès de Riom qui était intenté aux soi-disant « responsables de la défaite ». Un épisode très satisfaisant pour les Allemands qui appréciaient que les Français s’entredéchirent et règlent des comptes avec le Front Populaire. Accusés, Léon Blum et Edouard Daladier vont cependant très bien se défendre et démontrer la responsabilité du Haut commandement militaire français dans l’écrasement de l’armée. Le procès restera inachevé, mais Pétain, qui s’est octroyé un pouvoir de jugement (d’après l’acte constitutionnel n° 7, promulgué en janvier 1941), décider une peine d’emprisonnement à vie pour cinq des accusés, dont Blum, Daladier et le Général Gamelin (mais pas pour P. Reynaud et G. Mandel – ce dernier sera remis aux Allemands et assassiné par la Milice en 1944).
Il est vrai que Pétain a modéré ou tenté de freiner Laval dans son option pro-allemande, par exemple en lui imposant le refus des nouvelles dénaturalisations des Juifs demandées par les Allemands à l’été 1943. M. Cointet, dans sa Nouvelle histoire de Vichy, op. cit., p. 635, parle clairement d’un « freinage [par Pétain] de la politique antisémite ». Paxton lui-même reconnaît qu’on a « mieux respiré » en zone libre (Vichy et les Juifs, op. cit., , p. 24)… Mais il est très plausible que Pétain agissait par pur calcul tactique, pour ne pas heurter une opinion, notamment catholique, qui commençait de lui échapper. On peut se dire en outre, avec Eric Alary (Nouvelle histoire de l’Occupation, Paris, Perrin, 2019, p. 136), que Pétain n’avait pas de réels moyens d’agir… et qu’il se basait sur une illusion de souveraineté (la zone libre) tandis que d’autres que lui, les « collaborationnistes » purs et durs si j’ose dire, oeuvraient afin d’aller au-delà c’est-à-dire créer une France Allemande - c’est dans cette catégorie qu’il faut ranger Laval. Mais ceci ne doit pas conduire à penser que Pétain a été supplanté et mis au rancard par Laval. Comme je viens de le suggérer, cette interprétation est faible, peu admissible au regards des faits.
Une autre manière d’exonérer Pétain de ses péchés ( !) fascistoïdes consisterait à affirmer que l’option collaborationniste du régime de Vichy a plutôt été celle des ministres. C’est ce qu’on comprend par exemple à lire un ouvrage de la première génération - disons celle de Robert Aron, l’ouvrage d’ Henri Michel, Vichy, année 40 (Paris, Fayard, 1966), où l’auteur commence par dire que la politique de collaboration a été admise unanimement par les ministres. Par parenthèse, remarquons que cette thèse vaut aussi contre l’idée qu’il y aurait eu des divergences, ce qui aurait pu disculper certains ministres (ensuite cet auteur explique qu’il y a eu deux temps dans la politique de Vichy : 1) dans un premier temps, le gouvernement conçoit la collaboration comme une application des accords d’armistice… 2) dans un deuxième temps, ce sont les Allemands qui transgressent les accords (voir notamment la fermeture de la ligne de démarcation, l’indemnité d’occupation qui augmente, l’annexion de l’Alsace Lorraine, etc.). Mais là encore, cette manière de voir s’écarte assez sensiblement de la réalité.
Au cours du temps, pendant l’Occupation, la collaboration avec les Allemands a été développée et s’est renforcée. Laval et Darnand ont fini en janvier 1943 par créer la Milice, alliée à la Gestapo dans la traque de Résistants. Avant la Milice, Darnand a d’abord fondé le S.O.L., Service d’ordre légionnaire, qui se voulait servir la « révolution nationale », et, à ce titre, avait l’approbation de Pétain. Darnand finira par porter l’uniforme allemand des Waffen SS ; il sera fusillé à la Libération, en octobre 1945. La Milice avait des options antisémites très clairement affichées dans son programme… Et c’est seulement quand elle se rendra coupable de nombreux crimes, qu’elle sera désavouée par Pétain…
Pour finir sur ce point, je rappelle les grands axes de la collaboration policière avec les nazis, pendant la période Darlan-Laval, 1941-1942 (cf séance 1) et même avant cela.
- à la préfecture de police, dès l’automne 1940, transformation du service des étrangers en « service des étrangers et des affaires juives ». Service très important par la suite pour établir les fiches et soutenir les différentes vagues de recensement des Juifs.
- Création du Commissariat Général aux Questions Juives le 29 mars 1941, auprès du ministre de l’Intérieur, donc à Vichy, mais avec des bureaux et une forte équipe à Paris (des centaines d’employés). Vallat en est le chef à partir du 3 septembre.
- création de la Police aux Questions Juives (PQJ ; 19 octobre 1941), d’abord rattachée au ministère de l’intérieur, puis, sous Laval et Bousquet, remplacée par la Section d’Enquête et de Contrôle, SEC, associée au CGQJ et dotée de capacités de police que n’avait pas la PQJ.
- D’autres équipes de policiers, à Paris toujours, sont chargées de surveiller et d’appréhender donc de traquer les Juifs. En fait à la Préfecture de Police, il y a trois directions, et chacune s’est dotée d’une équipe de « bouffeurs de Juifs ». Chacune sera très active : on leur doit des centaines de captures suivies d’envois dans le camp de Drancy
- En plus, les commissariats de quartier se sont également dotée de petites équipes chargée de surveiller le respect par les Juifs des ordonnances allemandes les concernant. On voit très bien l’une de ces équipes en actions dans l’étude qu’Ivan Jablonqua a consacré à ses grands parents (juifs émigrés de Pologne : voir Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, Paris, Seuil, 2012).
- Et je ne parle pas des nervis des partis d’extrême droite (officiellement collaborationnistes) et finalement de la milice de Laval et Darnand, suivie et regardée avec bienveillance par Pétain en 1943.
Je rappelle simplement les deux statuts discriminatoires du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941… Et il y a bien d’autres lois. Le 17 juillet 1940, loi sur les « relèvements de fonction ». Cette loi vise tous les étrangers : pour travailler dans quelque poste que ce soit de l’administration, il faut avoir un père français. Toute personne née d’un père étranger peut être est révoquée- (exception pour les anciens combattants étranges en 14 et 39). Le 22 juillet est installée une commission pour la révision des naturalisations (plusieurs milliers de Juifs seront déchus de la nationalité française, environ 8000). Le 13 août : interdiction des sociétés secrètes, avant tout les francs-maçons. Le 27 août, abolition de la loi Marchandeau du 21 avril 1939 qui entravait les expressions antisémites dans la presse.
Tout ceci donne des internements en masse dès 1941.
4) 3ème caractéristique du régime de Vichy. Pour comprendre l’Occupation et la politique de collaboration avec les Allemands, il faut enfin tenir compte de la différence entre zone occupée (la moitié Nord de la France, donc Paris bien évidemment) et la zone libre (dont Vichy). Car c’est principalement, et logiquement, en zone occupée que la politique de collaboration va trouver ses plus virulents défenseurs parmi… les fonctionnaires de Vichy, de l’ « État français ».
Remarque
Au passage : si l’on veut se faire une idée précise du fonctionnement de l’ « État français » jusque dans ses moindres rouages, il faut consulter le livre essentiel, très important, de Marc-Olivier Baruch, Servir l’Éta]t français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.
Sur ce point, comme sur tout les autres, s'impose peut-être, au préalable, la consultation de la somme de Raoul Hilberg, l'indépasssable et indispensable ouvrage de référence, La destruction des Juifs d'Europe, Paris, Fayard, 1988 [1985]. P. 525 en l'occurrence, Hilberg précise que chaque ministère vichyssois s'était doté d'un délégué spécial à Paris, ce qui, j'ajoute, permet de comprendre beaucoup de choses sur le plan de la technique institutionnelle.
Jusqu’en novembre 1942, la puissance occupante se contente de ce découpage (il y a 3 autres zones en fait). Puis, lorsque les alliés débarquent en Afrique du Nord, les Allemands envahissent toue la France, craignant une éventuelle attaque surgie par la méditerranée. Et à Paris, plus qu’à Vichy probablement, des pro-nazis sont souvent en poste dans les services officiels de l’État français. Certes, il y aussi, à Vichy même, des serviteurs dévoués des Allemands ; par exemple René Bousquet, secrétaire général de la police institué par Laval au printemps 1942. Mais si on prend l’exemple fameux du Commissariat Général aux Questions Juives, on voit que ses chefs successifs sont très en phase avec le racisme nazi. C’est le cas de Vallat puis de Darquier de Pellepoix.
Vichy gère théoriquement les ministères et l’administration correspondante dans les deux zones : par exemple ministère de l’intérieur, les polices, idem pour l’économie, la justice, etc. Mais en réalité, si le gouvernement a les mains (un peu) libres, c’est en zone libre seulement, car en zone occupée, il doit aussi s’entendre avec les Allemands, en vertu des accords d’armistice, pour le moins. Autrement dit, l’ensemble des institutions et des services de l’État, y compris en zone occupée, sont d’un côté sous l’autorité et la responsabilité de Vichy, mais également liés à la volonté et aux diktats des Allemands qu’il faut exécuter, dans certains cas, le plus exactement possible.
Comment donc se passent les choses dans ces conditions ? Pour répondre, je me penche à nouveau sur la persécution anti-juive. Prenons les grandes rafles. A Paris, zone occupée, la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) est mise au point avec la police municipale. C’est dire que les nazis, les SS du SD et de la Gestapo, s’adressent aux responsables parisiens (la préfecture de police va se mettre en ordre de bataille), et se dispensent de solliciter les ministres en poste à Vichy… Autre exemple, un an plus tôt, en août 1941, la rafle du XIème arrondissement (qui conduit plus de 4000 Juifs à Drancy). Eh bien comme dans le cas précédent, le ministère de l’Intérieur n’est pas même prévenu. D’où, d’ailleurs, la réaction du préfet Ingrand, qui représente le ministre de l’Intérieur en zone occupée : il se tourne vers son ministre, Pucheu, pour lui demander de veiller au grain… afin, dit-il, que les Allemands n’en fassent pas à leur tête.
Mais dans d’autres situations, lorsque les Allemands veulent étendre leur dispositif à la zone libre, là où Vichy exerce sa souveraineté, ils entament des échanges avec les ministres - et leurs représentants en zone occupée (exemple Legay, délégué de Bousquet pour la police en zone occupée). C’est une autre manière, plus insidieuse sans doute, de procéder : et le projet de rafles en zone libre fait bien partie des accords passés entre Bousquet et Oberg, le chef des SS, au début de juillet 1942, accord au terme desquels aura bien lieu la rafle du Vel d’hiv, avec l’appui de plusieurs milliers de policiers français, mais à condition (condition pas toujours respectée) d’épargner les Juif français- ce qui, de toutes façons, n’amoindrit en rien l’ignominie de l’action et le caractère odieux de la complicité française (malgré des policiers qui choisirent de ne pas appliquer les consignes)
En conclusion, ne nous faisons pas d’illusions sur Pétain et le régime de Vichy : les Juifs sont parmi les premiers exclus de la « révolution nationale », et ceci comporte de nombreuses et dramatiques conséquences, que ne compensent pas quelques propos soi-disant bienveillants – des propos jamais suivis d’effets sensibles, institutionnels (hormis quelques rares protections individuelles).
Il ne faut jamais passer sous silence les tactiques (j’y reviens) de Pétain et de son gouvernement pour ménager l’opinion française, et, de manière générale, rassurer en même temps les Allemands et cette opinion lorsqu’elle évolue dans un sens anti-allemand. Ménager la chèvre et le choux…
Veut-on se faire une idée de l’ « ambiance « régnant à Vichy au début de l’Occupation ? Je pense à un rapport envoyé le 4 octobre 1940 par le nonce apostolique au cardinal Maglione, secrétaire d’État au Vatican (cité par R. Tournoux, idem, p. 172) : « Pour imiter les pays totalitaires, et aussi parce que, comme c’est malheureusement hors de doute, les juifs ont contribué autant qu’ils ont pu au déclenchement de la guerre, leur statut est en préparation… » (j’ai évoqué plus haut le thème aussi répandu qu’aberrant du Juif responsable de la guerre… et qu’il faut châtier à ce titre…).
Ajout de juin 2020 après relecture du texte de Léon Poliakov, Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Paris Calmann-Lévy, 1951 – préface de Mauriac).
Je relis ce livre parce que Mr. Alain Michel assure que Poliakov a pris une position comparable à la sienne selon laquelle les Juifs Français auraient bénéficié d’une protection par le gouvernement et l’administration de Vichy (voir l’article de Wikipédia sur A. Michel - probablement rédigé par lui). Je soutiens que c’est une affirmation pour le moins douteuse et qu’elle ne correspond pas du tout à l’esprit dans lequel a travaillé L. Poliakov. La preuve : p. 58, Poliakov, traitant de la France et des mesures antijuives prises simultanément par les nazis et les autorités françaises, cite un propos d’Helmut Knochen, le SS chef du SD en France, qui commente l’attitude des autorités françaises en expliquant (dans un rapport du 12 février 1943 – donc après l’été 42 et la rafle du Vel d’Hiv) : « Des Juifs de nationalité française, arrêtés pour n’avoir pas portés d’étoile ou pour d’autres infractions, devient être déportés. Bousquet déclara que la police française ne se prêterait pas à cette mesure. A notre réponse que celle-ci serait effectuée par des forces allemandes, la police française répliqua en organisant une rafle et en arrêtant 1300 Juifs étrangers [sur les rafles de l’été 1942 en zone libre, voir R. Poznanski, Les Juifs…, op. cit., p. 334 et suiv. ]. Ces Juifs furent remis à la police allemande avec l’indication de les déporter à la place des Juifs français. Il va sans dire qu’en l’espèce, les deux catégories de Juifs vont être déportées ».
Faisons bien attention à cette dernière phrase, cynique… Donc : oui, les autorités de Vichy refusent a priori la déportation des Juifs français ; mais, conformément à leur point de vue essentiellement xénophobe, et sans renoncer leur antisémitisme fondamental, ils donnent des gages aux nazis en leur livrant des Juifs étrangers (donc ils commettent un crime atroce !), tandis que les nazis, tout compte fait, déportent tous les Juifs qu’ils ont sous la main, français compris –ce à quoi les autorités françaises n’ont rien à opposer et n’opposent rien, ce qui démontre assez les limites de leur soi-disant bienveillance !
Et Poliakov conclut, juste après la citation ci-dessus (p. 58) : « Observons pour conclure que dans les limites mêmes de sa doctrine, le concours prêté par Vichy aux Allemands fut essentiel… »