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2022-9 Juifs Hongrois 1944

Séance 9

Les Juifs Hongrois

massacrés à l’été 1944

 

Pour non pas terminer mais interrompre, pour cette fin d’année, le cours de mes descriptions, je voudrais maintenant proposer (très brièvement car j’ai donné plus avant toutes sortes de détails… assez morbides!) quelques données concernant le grand massacre des Juifs Hongrois. Je pense pouvoir situer ces données au confluent de mes diverses explications précédentes notamment celles sur la cruauté nazie. L’abominable tuerie des Juifs Hongrois a en effet la sinistre particularité d’avoir précipité dans la mort en peu de temps un nombre considérable de personnes : 430 000 environ. Car elle s’est produite assez tardivement (de mai à juillet 1944) mais impitoyablement. Les malheureux (débarqués à Auschwitz par trains entiers, lesquels se succédaient avec une grande fréquence, même la nuit), ont été souvent aperçus par les détenus esclaves du camp, ainsi que certains rescapés, qui ont donc raconté cela.

Il existe plusieurs photographies de ce désastre absolu. Je dirai un mot d’un album qui a été conservé et présenté à un des procès d’après guerre, à Francfort, en 1963.

1) le contexte hongrois

Pour saisir le contexte social et politique dans lequel ce massacre a été déclenché, on peut se reporter à un article de Rozett Robert, publié par la Fondation pour la mémoire de la Shoah : « La Hongrie et les Juifs. De l’âge d’or à la destruction. 1895-1945 » (article anglais que l’on trouve traduit sur le web… J’en résume ci-dessous l’essentiel - inutile de dire que je ne connais pas grand-chose de l’histoire de ce pays).

Le régime de Miklos Horthy, régent du Royaume, avait déjà pris des mesures de discrimination, avec un premier ministre nommé Béla Imredy : par exemple une loi du 29 mai 1938 interdisait que la proportion des Juifs dans les professions libérales dépasse les 20 %. En fait, dès 1920, des lois de ce type imposaient un numerus clausus pour les étudiants juifs, qui ne pouvaient représenter plus de 6% du nombre total des étudiants, chiffre en rapport avec la proportion de Juifs dans la population du pays. Ensuite une loi du 4 mai 1939, prise par le Premier ministre Pal Teleki, limita de même à 6% le nombre de Juifs dans l’économie, étant entendu qu’étaient considérés comme Juifs les personnes qui se déclaraient tels, ou bien celles ayant un parent ou deux grands parents membres de la communauté (cette loi n’était toutefois pas applicable à ceux nés chrétiens ou bien convertis au christianisme avant le 1er janvier 1939). Dans la même perspective, non pas tolérante bien sûr mais un peu moins violente et raciste que celle des nazis, des exemptions étaient prévues pour les soldats blessés ou médaillés. Enfin, on peut citer une troisième loi, du 23 janvier 1941 (mais promulguée le 8 août) par laquelle un autre Premier ministre, Lazlo Bardossy, imposait cette fois une définition raciale des Juifs et, comme en Allemagne depuis les lois de Nuremberg de 1935, interdisait les mariages mixtes. En 1941, avant cette loi anti-juive, près de 790 000 Juifs vivent en Hongrie.

2) Le contexte nazi allemand

Est-ce que pour autant ces législations étaient agréables aux nazis d’Allemagne ? Non. Car ces deniers envisageaient, depuis 1941 au moins (je l’ai assez dit), de se débarrasser « définitivement » des Juifs, et en particulier de les assassiner pour faire place nette en Europe. Ceci explique pourquoi Hitler insistait pour qu’une procédure d’extermination soit mise en œuvre en Hongrie. Or, les dirigeants hongrois n’étaient pas décidés. Et comme ce pays était allié de l’Allemagne et des nazis, il n’était pas occupé par la Wehrmacht donc conservait un semblant d’autonomie. C’est donc ce qui va changer en 1944... et conduire à la perte des Juifs.

Hitler s’était efforcé de rendre à la Hongrie les territoires qu’elle avait perdus au terme de la guerre de 1914-1918, après la chute de l’Empire austro-hongrois… De son côté, la Hongrie s’était alliée à l’Allemagne dans l’espoir de récupérer une partie de la Yougoslavie. Dans cette perspective, en avril 1941, les troupes hongroises étaient d’ailleurs entrées en Yougoslavie cinq jours avant la Wehrmacht. En juin de la même année, des soldats hongrois avaient envahi l’Union soviétique aux côtés de la Wehrmacht… Cela étant, en 1940 comme en 1941, les Juifs étaient exclus des unités régulières de l’armée et affectés dans des unités spéciales, des unités de travail. En 1942, une seconde armée hongroise arriva sur le front russe, et les unités de travail juives les accompagnèrent. Sur 45 000 personnes mobilisées et présentes sur le front, 20% seulement survivront, d’autant plus que, s’ils étaient fait prisonniers par les Russes, ces Juifs n’étaient pas distingués des soldats hongrois donc n’étaient pas épargnés.

Je précise que l’Armée Rouge a finalement laminé et a presque entièrement détruit les forces hongroises, notamment à Voronej, en Russie, au terme d’un combat qui, en juin et juillet 1942, fit près de 80 000 morts …

Dans un premier temps, Hitler donna à Horthy le choix entre installer un gouvernement favorable aux nazis, ou bien subir une occupation militaire. Alors, Horthy choisit la première solution, d’autant qu’elle était assortie d’une réappropriation des territoires perdus en 1918 (territoires sur lesquels vivaient de nombreux Juifs). C’est alors, en mars 1944, que l’’armée allemande s’installa dans le pays ; après quoi, dès l’été, comme je l’ai dit en commençant, les Juifs furent rapidement déportés et massacrés (Eichmann était à la manœuvre pour organiser les transports en sollicitant divers ministères et services – j’en profite pour signaler sur Eichmann un remarquable article biographique de David Cesarani, publié par la Revue d’histoire de la Shoah, n° 203, en 2015, « Adolf Eichmann : la carrière d’un nazi »).

Du 20 mars au 15 mai, les nazis créent d’abord des ghettos (comme ils l’avaient fait ailleurs), puis ils firent monter dans les trains pour Auschwitz les personnes ainsi regroupées. Pour ce faire, la police hongroise fut sollicitée et se montra très active. Mais quand Horthy refusera de livrer les derniers Juifs, ceux de Budapest, il sera lui-même mis sur la touche (il est mort plus tard, en 1957). Voilà comment la vie des centaines de milliers de Juifs hongrois a pris fin.

Je passe sur le meurtre génocidaire, les faits de l’extermination, puisque je les ai exposés à d’autres propos… N’imaginez rien d’autre que la plus grande cruauté, un incroyable acharnement à massacrer un peuple entier.

3)

Une rescapée hongroise, Lili Jacob, épouse Zelmanovi, a ramené de ces massacres un témoignage étonnant. C’est une série de 193 photos qu’elle a découverte dans le camp de Dora-Mittelbau où elle avait été transférée en décembre 1944 après avoir été envoyée à Auschwitz avec les autres Juifs hongrois. Les photos ont été prises par deux SS, probablement Ernst Hoffman et Bernhard Walter, dans un but de propagande. C’est ce qu’établit un livre de S. Klarsfeld, M. Pezzetti et S. Zeitoun, L’album d’Auschwitz (2005 et 2015, livre dans lequel sont présentées les photographies). Le nom Dora-Mittelbau est d’octobre 1944, quand le camp, qui était avant cela une annexe du camp de Buchenwald, est devenu autonome, mais constituant en fait tout un réseau complexe de plusieurs dizaines de camps.

L’album est désormais à Jérusalem, au musée de Yad Vashem, Mme Jacob ayant suivi la préconisation de S. Klarfeld, qui pensait sans aucun doute à la conservation neutre mais pérenne de ces implacables preuves. Dans un film de de William Karel et Blanche Finger, de 2011, montré à la télévision, on voit aussi ces photos et Lili elle-même. Ce ne sont pas des images de la mise à mort, de l’exécution (il n’en existe pas) mais de tout ce qui a précédé… à partir de l’arrivée des trains sur la fameuse rampe d’Auschwitz.

 

Remarque

Un autre album, de cent photos environ, a été réalisé par le SS Karl Höcker (jugé à Francfort, il était l’adjudant dont le commandant était Richard Baer). Je précise que, pour juger les SS d’Auschwitz, le tribunal de Francfort siégea suite aux efforts du procureur Fritz Bauer, en octobre 1963, et ce pendant 20 mois, jusqu’en août 1965.

Cet album-là a été découvert, dit-on, 40 ans après, après la mort de son auteur et il démontre la fausseté de certaines affirmations des inculpés lors du procès de 1963. Höcker, contrairement à ce qu’il a affirmé, non seulement savait ce qui se passait à Birkenau, mais, en plus, certaines photos révèlent qu' il était présent lors des sélections, à l’arrivée des convois. Jugé une première fois en 1952 il avait été condamné à 9 mois de prison ; mais il n’avait effectué qu’une partie de cette peine à cause d’une loi de 1954. Suite au procès de Francfort, il écopera en 1965 de 7 ans de prison (ce qui n’était pas cher payé... selon moi). ; et en outre il sera libéré en 1970. D’après la loi allemande, le tribunal ne pouvait pas juger le crime d’ accusés qui n’ avaient fait qu’obéir à des ordres. Donc au total, on voit qu’on a intenté des procès importants, mais qui furent conclus par des peines assez légères, suivies de libérations rapides.

 

Je reviens à Lili Jacob. Que faut-il retenir la concernant ? C’est qu’elle a toujours refusé de céder c’est-à-dire de confier à quiconque son album. Dans le film de William Karel et Blanche Finger, la citation d’un interview réalisée en 1986 par Susan Rosenblum et la fondation Spielberg (où on entend des fragments sonores du procès de 1963), montre le net refus de Lili de confier au tribunal de Francfort cet album qui pourtant fournissait des preuves décisives de l’implication de certains SS. Lili était venue de Miami à Francfort, convaincue par un juge du tribunal (Hofmeier) qui s’était déplacé jusqu’aux USA pour la rencontrer. Mais on entend dans l’interview, à plusieurs reprise, des propos de refus très explicites. Elle raconte que lorsqu’elle prit possession de l’album, un haut gradé américain lui proposa de le lui remettre, et elle dit avoir répondu : « je garde cet album, je ne m’en séparerai jamais ». De retour en Hongrie, ayant besoin d’’argent pour émigrer avec son époux aux USA, elle pensa dans un premier temps que l’album pourrait lui servir. Elle engagea alors des tractations en ce sens avec le Musée Juif de Prague. Toutefois, finalement, elle ne put se résoudre à se séparer des photos… notamment, dit-elle alors, parce que sa propre famille devait y figurer. Elle explique aussi  que lorsque sa fille Esther naquit, elle mit l’album « dans son Landau, sous le matelas ». Puis, dans le contexte du Procès, sollicitée par Simon Wiesenthal, sa réponse fut invariablement négative: « Non, je ne pourrai pas vivre sans ».

Quand elle arriva à Francfort le 3 décembre 1964, comment parla-t-elle de l’album et de la "solution finale" ? Elle dit : « l’homme que j’aurais pu tuer de mes propres mains était là ». Il s’agissait du SS Franz Lukas, qui l’avait séparée de sa mère sur la rampe… et lui avait planté un poignard dans le bras alors qu’elle cherchait à rejoindre sa mère. Plus loin, sur Lukas, elle dit à nouveau  ( je me réfère toujours au film de 2011) : « Aujourd’hui encore je pourrais le tuer »  (Et pourtant ajoute-t-elle: « je ne les hais pas » I don’t hate them ». Du coup, lors du procès quand on lui demanda de laisser les photos aux juges, elle déclara à nouveau : « Je ne vous les montre que si je suis présente. Mais je ne vous le laisserai pas. C’est la seule chose qui me reste ».

 

Remarque

On me permettra un commentaire sur ces faits que je ne rapporte pas par hasard. J’ai tout lieu de penser que cette attitude, le très fort attachement de Lili Jacob, ne s’explique que si l’album est devenu pour elle ce que Winnicot aurait appelé un objet transitionnel : autrement dit, un objet ayant deux caractéristiques fondamentales : d’une part il revêt une importance vitale, ce que Lili Jacob dit plusieurs fois (vital comme une trace de la présence maternelle pour le petit enfant) ; et d’autre part c’est, plus qu’un objet, un signifiant grâce auquel un récit non traumatique du trauma peut-être (au moins) amorcé.

On peut aussi dire que ces genres d’objets, bien que signes d’une réalité affreuse, sont conservés comme des reliques (ce qui est pour nous un paradoxe), car ils sont visiblement affectés d’une valeur sacrée, si bien qu'ils sont intouchables. Ce sont de véritables fétiches dont les propriétaires ne veulent se défaire sous aucun prétexte : comme si leur vie en dépendait. De même, l’épouse de Marcel Bercau, un rescapé d’Auschwitz, raconte dans un autre document télévisuel, diffusé en 2000 sur une station FR3, qu’un jour, ayant trouvé le sac rapporté du camp à demi infesté par de la vermine, elle l’a jeté, « balancé », ce qui provoqua après cela une colère cataclysmique de Marcel… Car sans doute ressentait-il dans cette séparation (j’insiste sur le terme), comme Lili avec son album, une déchirure mortelle impossible à réparer. Voir https://www.memoirefilmiquenouvelleaquitaine.fr/films/auschwitz-lutetia (le passage dont je parle se trouve vers 47 mn)A regarder aussi (absolument).

Dans le film dont je parle, sur Lili Jacob à Francfort, un des procureurs, Joachim Kügler, dit avoir eu entre les mains une lettre manuscrite d’Himmler sur laquelle on pouvait lire : « Il est inutile de prendre des précautions pour garder secret ce que nous faisons, parce que si quelqu’un raconte ce qu’il a vu ici, on ne le croira pas ».

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