• 2013-11

    séance 11

    (suite et fin du chapitre IV, partie II)

     

     

    B) Quelques conséquences sociopolitiques de la démocratisation et de la massification scolaires

     

    La situation actuelle, qui a fait disparaître l’ancienne ségrégation, qui a supprimé la  séparation des deux ordres, et qui a donc engendré la massification de l’enseignement secondaire, se caractérise bien  par le fait  que la population scolaire a été attirée voire aspirée par l’enseignement secondaire, et ce, bien au-delà de l’obligation jusqu’à à 16 ans, qui n’est donc plus une limite pour la majorité des enfants. D’où la prolongation générale des études, au lycée, puis, désormais, à l’Université.

    Dois-je assurer que,  lorsque j’emploie le terme de ségrégation, je parle bien sûr d’une situation de fait, une séparation sociale objective et non forcément d’une volonté explicite qui serait l’expression d’un élitisme sciemment antidémocratique ? Simplement, il s’avère que, jusque sous la Troisième République, l’expansion de l’école et la conquête du peuple par l’instruction n’est jamais comprise, ou du moins jamais globalement comprise comme devant mettre fin à la séparation entre l’école communale du peuple c’est-à-dire l’enseignement primaire, et le lycée, l’enseignement secondaire pour les notables. Cette hiérarchie scolaire et culturelle (voilà la ségrégation objective) n’est pas dénoncée, ou très peu. Ce qui revient à dire que les progrès de la scolarisation du peuple sont prescrits, organisés et effectués de telle façon que ce peuple ne franchisse que très peu les barrières qui entravent son accès à la scolarisation des élites. Dans ce cadre, tout projet d’instruction et d’éducation respecte les distinctions sociales existantes. Si bien que, lorsqu’on a voulu promouvoir une élite par la sélection scolaire, et c’est ce qu’on appelle la méritocratie, c’était une élite, certes nouvelle puisqu’issue du peuple, mais qui d’une part était cantonnée à certains emplois réservés aux classes populaires, et qui d’autre part ne concurrençait pas et n’abolissait pas l’ancienne élite, issue des classes dirigeantes. Il y avait bien dans ce cas une ascension sociale des classes populaires par l’école, mais une ascension qui s’effectuait dans une sphère sociale limitée. Le modèle de cette méritocratie était alors offert par les meilleurs élèves sortant des écoles primaires, qui passaient à l’EPS puis à l’Ecole normale et qui devenaient … instituteurs (ou dans certains cas, professeurs). Le « système » école primaire–EPS-Ecole normale, si l’on peut dire, avait trouvé là un fonctionnement social optimal. On peut bien évoquer le passage au lycée par le concours des bourses (puisque le lycée était payant), mais cela ne concernait qu’un tout petit nombre d’enfants, et donc cela ne constituait que de petites exceptions à la règle de la séparation des classes sociales (voir Marcel Pagnol, fils d’instituteur, qui deviendra académicien ; ou Albert Camus, encouragé et soutenu par son maître – en Algérie – et qui sera prix Nobel de littérature).  

    Note vision d’aujourd’hui est bien différente. Elle est démocratique et égalitaire : non seulement nous avons fait effort pour envoyer les enfants du peuple dans le secondaire, mais nous avons du même coup exigé que les anciennes élites sociales fréquentent à leur tour l’école communale, en abolissant les classe primaires des lycées, qui leur étaient réservées (jusqu’en 1945). Notre passion de l’égalité a travaillé notre vision de l’école sur le principe de l’égalité des chances…

    Mais alors, que se passe-t-il dans cette école unifiée, faite pour tous les enfants sans distinctions, et où tout élève peut, en droit, gravir successivement tous les degrés d’un système pyramidal, qui mène continument du primaire au secondaire et du secondaire à l’Université ? Réponse : les sociologues nous ont depuis longtemps appris qu’il y a deux modes et deux faces distinctes de cette démocratisation. La première est dite « démocratisation quantitative » au sens où tout le monde accède au secondaire (d’où la massification, et l’allongement consécutif du temps des études). La seconde est dite « démocratisation qualitative », au sens où cet accès généralisé doit permettre l’ascension sociale des classes populaires, une mobilité sociale qui est effective quand les enfants obtiennent grâce à l’école des positions supérieures à celles de leurs parents dans la hiérarchie des emplois et des statuts sociaux. Un brassage des conditions sociales, à chaque époque, pour chaque génération. Or, c’est là que le bât blesse. Toute le monde le sait – le problème est crucial aujourd’hui : cette démocratisation qualitative est très incomplète, les résultats de l’unification du système scolaire sont très décevants, 50 ans après les grands réformes qui l’ont organisée (sauf une courte période dans les années 1970). Sans entrer dans l’analyse de la répartition sociale des élèves dans les différentes filières scolaires, je cite une seule donnée  (d’après Maria Vasconcellos, « Les défis de l’enseignement de masse. Les lycées : évolutions et réformes », in Cahiers français, n° 285, op. cit.,, p. 31) : en 1980, la moitié des élèves préparant le bac C (actuellement bac S) sont issus de familles aisées (cadres supérieurs, professions libérales, enseignants), tandis que pour le bac G (secrétariat, etc.), ces familles ne sont que 7%.

    De là nos constats attristés sur l’échec scolaire massif des classes populaires, sur les élèves « décrocheurs » (comme nous disons plus récemment), élèves presque toujours issus de ces mêmes milieux sociaux, phénomènes que de nombreuses mesures gouvernementales essaient d’endiguer depuis les années 1980 (à commencer par la politique des zones d’éducation prioritaire).

    En réalité,  lorsque tout le monde fréquente les mêmes établissements, est scolarisé dans les mêmes institutions,  la sélection s’effectue non pas au départ (dans le fait d’accéder à  tel type de scolarité plutôt qu’à telle autre, école primaire jusqu’au certificat d’études contre lycée jusqu’au bac), mais en cours de route, tout au long de la scolarité. La sélection n’est plus sociale et a priori, mais elle est scolaire et a posteriori : c’est l’école elle-même, dans son fonctionnement, qui organise la sélection. Alors, ce « système » nouveau, ce système unifié, fonctionne avant tout comme une vaste gare de triage (l’image n’est pas de moi mais d’A. Prost), un immense dispositif d’orientation et de sélection. François Dubet et Danilo Martucelli, dans A l’école (Paris, Seuil, 1996) insistent aussi sur cet aspect, et, p. 40, dans un paragraphe sur la massification, qui est considérée comme le phénomène essentiel, ils disent exactement : « la sélection ne se fait plus en amont par un tri social préalable à l’inscription même dans les études, mais elle se réalise dans le flux même des parcours scolaires, selon des processus plus immédiatement scolaires que sociaux ». De plus, il y a deux éléments très importants à prendre en compte.

    1.Si, en apparence, le tri s’effectue en fonction du mérite scolaire, cependant, dans la réalité, ce qui est vécu, comme je le laisse entendre à l’instant, c’est une sélection par l’échec, car les meilleurs élèves, les plus méritants, vont dans les filières les plus valorisées, les plus prestigieuses, les plus rentables, tandis que les moins bons élèves vont vers les filières les moins valorisées, les moins prestigieuses, les moins rentables. Et par conséquent un clivage sévère s’institue entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent, entre les différentes performances qui conduisent au lycée ou qui n’y conduisent pas. Le système unifié, démocratique, se présente ainsi  comme une pyramide difficile à gravir, ou mieux : c’est une course d’obstacles. Il faut même dire que, plus c’est démocratique (sans sélection sociale a priori), et plus c’est hiérarchisé et sélectif (sélection scolaire a posteriori). Plus c’est socialement égalitaire, et plus c’est scolairement inégalitaire.

    2. Dans ces conditions, si nous avons supprimé la ségrégation, on peut légitimement se demander si les choses ont réellement changé, puisque la sélection aboutit à reproduire la même division sociale : fondamentalement, on retrouve toujours en masse les enfants issus des catégories sociales dites « défavorisées » dans les filières scolaires les moins valorisées. Qu’est-ce qui a changé effectivement? Le simple fait, je le répète, que ces enfants soient sélectionnés à l’intérieur de l’école, après avoir subi une trajectoire d’échec. Le paradoxe ultime est donc le suivant : quand le « peuple » était cantonné dans les écoles communales jusqu’au certificat d’études, il ne subissait pas la pression de la sélection scolaire, et au fond, les meilleurs élèves passaient l’examen, alors que les autres ne le passaient pas, mais tous sortaient au même âge, avec la quasi certitude de trouver un emploi et accéder ainsi à une socialisation professionnelle durable. C’est pénible à dire, mais tout le monde trouvait son compte (en termes de rentabilité de l’école, bien sûr). Comme le dit F. Dubet, dans un article intitulé « L’exclusion scolaire », in L’exclusion, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1996, p. 498, 500 : l’école était ségrégative mais intégrative. Aujourd’hui, on est dans un système démocratique et méritocratique, mais cette méritocratie, c’est-à-dire la promotion d’une élite sur la base de conditions qui s’imposent à tous également, produit un stress permanent, qui tient dans une menace tout aussi permanente d’exclusion « interne » (être relégué au fond de la classe, orienté dans une filière dévalorisée, vers des diplômes sans prestige, ou… poussé vers la sortie).

    Cette remarque ne doit pas conduire à regretter la situation ancienne ; mais elle ne peut que nous faire réfléchir sur les difficultés inhérentes à la situation actuelle, que nous ne parvenons pas encore à surmonter.

    Pour montrer à quel point ces constats sont répandus chez les spécialistes, je cite également A. Prost, « L’échec scolaire, usage social et usage scolaire de l’orientation », in L’échec scolaire, nouveau débats, nouvelles approches, dir. E. Plaisance, Paris, CNRS, 1985, qui explique : tel que notre système (de masse) est construit, l’orientation est nécessairement une sélection par l’échec. Bien sûr, dans l’idéal, on voudrait que l’orientation soit absolument positive, que l’élève choisisse en fonction de ses aspirations, de ses goûts et de ses capacités ; mais dans la réalité, il est orienté en fonction de ce qu’il a été décrété incapable de suivre, à savoir les filières les plus valorisées.

     

    C) Deux remarques complémentaires

     

    1) A propos du travail de Jean-Michel Chapoulie. Pour finir ce chapitre, et afin que les explications qui précèdent ne fassent pas oublier l’amélioration en quoi consiste l’allongement général des scolarités, donc la hausse du niveau culturel moyen des  Français (eh oui, il faut des nuances en toutes choses !), je voudrais revenir sur le récent livre de Jean-Michel Chapoulie, L’école d’Etat conquiert la France, op. cit. Ce livre est l’occasion d’insister sur les diverses dimensions donc sur la complexité du phénomène de la scolarisation. Une complexité bien mise en lumière, et de façon très précise et complète, par l’auteur. J.-M Chapoulie nous a révélé la manière dont, aux XIXe et XXe siècles (je le cite dans la conclusion de l’ouvrage) : « l’Etat a mobilisé une fraction toujours croissante du temps de la population  présente sur le territoire français ». Son objet principal, comme je viens de le rappeler, c’est le fait qu’un nombre de plus en plus grand d’enfants passe un temps de plus en plus long à l’école. Et pour éclairer cela, pour observer non pas simplement les progrès de la scolarisation, mais plus profondément la particularité des processus de scolarisation qui aboutissent à un allongement constant du temps de la scolarité, J.-M. Chapoulie a étudié, au-delà du nombre d’établissements et des effectifs d’élèves, le rôle spécifique de l’enseignement « intermédiaire », donc la progression de certains secteurs comme les EPS, les CC, l’enseignement technique, etc. Ainsi nous a-t-il fait découvrir une réalité empirique qui avait été sous estimée voire négligée par les historiens. Trois thèses fortes soutiennent cette recherche : 1) l’idée que, pour expliquer l’allongement des scolarités, les filières  de « second rang » sont plus importantes que ce qu’on pensait, par rapport aux filières d‘excellence. 2) L’idée que, du coup, sont aussi importants les « arrangements institutionnels », les initiatives de tous ordres que les acteurs, dans des contextes locaux, sont capables de prendre. Il y a là un point de vue intéressant, qui nous décentre du national au profit du local, au profit du « terrain » si l’on peut dire, et de tous les acteurs qui agissent en créant des places d’élèves. Chapoulie cite notamment les « entrepreneurs d’école », les pédagogues, les hauts administrateurs, les dirigeants politiques, des administrateurs de niveau moyen, les syndicats, certaines fractions du patronat, les spécialistes de sciences sociales après 1945, etc. Enfin, 3) l’idée que les indices de base de la scolarisation (niveau d’étude, âge des enfants, « classes » fréquentées), ne sont que des construits et pas des essences invariables et inhérentes à tout système scolaire, quel qu’il soit.

    D’autres référence sur ce sujet : J.-P. Briand et M. Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation : une perspective d’ensemble », in Revue Française de Sociologie, vol. XXXIV, 1993, article qui s’intéresse à toutes sortes d’acteurs, exemple au XIXe siècle : du côté de l’offre, les pouvoirs municipaux, les congrégations (qui en plus négocient entre elles et visent des publics assez précis) ; et du côté de la demande : les familles qui choisissent un type d’école de préférence à une autre, etc.

    Voir aussi, d’A. Prost, un article sur la scolarisation républicaine, « Pour une histoire ‘par en bas’ de la scolarisation républicaine, Histoire de l’éducation,  1993, n°  57,  p. 59-73. Et Jacques Gavoille : « Les types de scolarité : plaidoyer pour la synthèse en histoire de l’éducation », Annales ESC,  1986, 41 (4), p. 923-945.

     

    2) Autre remarque, pour remonter à nouveau dans le temps, et retrouver la période dont je voulais traiter principalement  : sur la composition sociale des publics scolarisés jusqu’à la Troisième République.

    Avant l’école démocratique et unifiée de notre époque, il y avait, ai-je dit et répété, deux « ordres », séparés, ségrégés. L’un pour le peuple, progressivement mais lentement accueilli en totalité, et l’autre pour les classes supérieures, l’enseignement secondaire, une petite élite. Ceci est exact et très important ; je n’y reviens pas. Toutefois, il faut y ajouter certaines précisions et, une fois de plus, des nuances. Car il y a eu, dans les collèges d’Ancien Régime, et jusqu’au milieu du XIXe siècle, un relatif mélange social dans les établissements secondaires. A cette époque et dans cette situation, voici, en effet, une chose inattendue pour nous.

    Certes, la situation de l’Ancien Régime est bien caractérisée par la distinction entre un réseau de petites écoles et un autre, de collèges pour l’essentiel, avec les grandes différences quantitatives et pédagogiques qu’on a dites entre les deux. Cependant, dans ces deux cas, les publics qui fréquentent ces diverses institutions sont assez mélangés. Ils présentent une sorte de mixité sociale  - relative, certes, mais… quand même ! Ces institutions ne connaissaient pas les barrières d’aujourd’hui. En premier lieu, au XVIIIe siècle en général, et jusqu’au début du XIXe à la campagne, les enfants des classes supérieures, de « bonne naissance », fréquentent l’école communale. Cette habitude s’estompe ensuite jusque dans les années 1930, lorsque ces enfants sont accueillis dans les lycées et collèges publics ou privés. Réciproquement si l’on peut dire, les écoles de charité, destinées aux pauvres, accueillent pourtant des élèves tout à fait au-dessus de l’indigence. Il s’agit alors d’une clientèle aisée d’artisans, de marchands, de bourgeois des villes. Un témoignage (cité par Ph. Ariès dans L’enfant et la vie familiale… op. cit., p. 343), dévoile qu’à Paris, un syndic des maîtres écrivains dans son factuel du 7 juin 1704, dit même que les maîtres, les frères lassaliens en l’occurrence, assignent ces enfants aisés à des places séparées dans la salle d’école. Même chose encore au début du XIXe siècle en Auvergne, à l’école des frères, à Ambert, d’après le récit autobiographique d’A. Sylvère  (Toinou, Plon, 1980). Ici les diverses catégories sociale se côtoient mais sont soigneusement distinguées par les maîtres, qui, en plus de cela, n’hésitent pas à réserver un  traitement de faveur aux enfants riches, tandis que les rudesses de leur discipline s’abattent sur les fils de paysans exclusivement.

    Pour ce qui concerne les collèges de l’Ancien Régime, le constat est le même. Leur recrutement n’est pas autant aristocratique et  bourgeois qu’on pourrait le croire. Certes, dès le XVIIe siècle, les collèges offrent l’éducation qu’attendent les bourgeoisies citadines (les bourgeois, à cette époque,  ce sont ceux qui vivent  en ville et de leurs rentes), comme les nouvelles bourgeoisies d’échevinage et d’offices (les offices sont des charges publiques, soit de justice, soit de finance, comme les greniers à sel, les baillages, la maîtrise des eaux et forêts…), au moment où l’imprimerie soumet la diffusion de la culture écrite à une croissance exponentielle. Mais en même temps, entrent au collège des catégories de population assez diverses, surtout s’il s’agit d’établissements installés dans des petites villes, et qui s’insèrent dans un environnement rural. Alors on voit des fils d’artisans ou de commerçants, voire, en plus  petit nombre, quelques fils de paysans aisés, côtoyer des fils de familles nobles, des fils de membres des professions libérales (médecins ou avocats), et des « officiers ». F. de Danville, dans L’éducation des jésuites (op. cit., p. 281), à propos du collège de Rodez entre 1671 et 1692, explique que, si on considère le recrutement des populations locales, on voit apparaître des nobles d’alentour qui sont les fils du marquis de Roquelaure et de Triadon, du chevalier de la Roque, et ensuite des enfants de magistrats, des fils de Conseillers, d’avocats ou de notaires, puis une petite bourgeoisie de fils de médecins, chirurgiens, apothicaires, marchands – et apparaissent hôtelier, tapissier, tanneur, chapelier (en plus il y a des élèves venus de plus loin, Saint-Affrique ou Espalion par exemple, qui sont  logés chez l’habitant). Le recrutement populaire des élèves des collèges est aussi noté par Ariès, toujours dans L’enfant et la vie familiale (op. cit…, p. 344). Ariès cite les catalogues d’élèves (sortes de dossiers que tenaient les jésuites), d’après lesquels, au Mans, en 1668, dans la classe des physiciens, sur 41 élèves, 11  sont des fils d’artisans.

    Pour avoir une idée chiffrée des proportions de ces catégories sociales et de leurs variations, voir l’ouvrage de R. Chartier, M.-M. Compère et D. Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, op. cit., p. 193.  A Avallon, les catégories aisées (toujours les mêmes : nobles, officiers, professions libérales, marchands) sont trois fois plus nombreuses que les autres. F. de Dainville fait un constat encore plus marquant sur ce plan (L’éducation des jésuites, op. cit., p. 70). D’après ses relevés, à Aurillac entre 1620 et 1625, artisans et paysans constituent 44 % de l’effectif, les fils de nobles, 4,5 %, et les fils d’officiers,  9,4%. D’après le même auteur, à Châlons-sur-Marne, entre 1618 et 1736 : la proportion des artisans et des laboureurs varie entre 20 et 35 %. Et comme c’est un grand collège,  cette proportion est faible.

     

    Transportons-nous maintenant dans la seconde moitié du XIXe siècle, et dans la phase de la généralisation de la scolarisation élémentaire. Là, on voit  que cette coexistence sociale a presque entièrement disparu. On a ce que j’ai exposé à plusieurs reprises : d’un côté, pour le peuple, le primaire des écoles communales, jusqu’à 13 ans (puis 14 ans sous le front populaire), et d’un autre côté pour les catégories aisées, un recrutement très minoritaire, le secondaire des lycées et collèges qui s’adresse à des enfants des milieux bourgeois, lesquels ne côtoient donc pas les enfants des catégories populaires. Et c’est sur cette structure sociale ségrégative que s’organise l’école de la Troisième République. Celle-ci achève de généraliser la scolarisation de masse par l’obligation scolaire de 1882 (J. Ferry), mais en même temps, cette scolarisation s’établit sur la séparation rigide, étanche, entre les différents types d’institutions et les publics qui y sont accueillis, soit dans le primaire soit dans le secondaire (et quand on aménage un degré intermédiaire, ce primaire supérieur, décidé jadis par Guizot et  recréé – avec succès en effet -  par les républicains de l’époque J. Ferry, - il s’agit de répondre aux besoins spécifiques de la nouvelle classe industrielle, donc quelque chose qui fonctionne toujours sans mixité sociale).

    Il faut donc bien comprendre comment a évolué le recrutement social de l’école. Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, la scolarité élémentaire généralisée implique la formation d’un réseau étatique et donc public d’écoles communales ; et c’est bien ce qui engendre un processus de répartition sociale. Les enfants des classes supérieures quittent les écoles communales, les enfants du peuple quittent peu à peu les collèges. D’où l’architecture de l’école en ordres distincts, ségrégés ai-je dit. Et ce d’autant plus que, depuis le XVIIIe siècle, une idée de la formation des élites est concurrente d’une idée d’enseigner le peuple. Ariès explique en ce sens que les collèges ruraux (il dit, p. 346 : « ces collèges de paysans »), ont commencé à disparaître dès le XVIIIe siècle, quand on a finalement regardé comme inutile voire dangereux l’accès à l’enseignement secondaire des enfants du peuple, ainsi détournés de leur condition laborieuse. Les réformateurs chrétiens du XVIIe siècle voulaient moraliser les gueux, donc les éduquer ; mais, après eux, l’accès des classes populaires à l’instruction dispensée par l’école latine a été jugé condamnable, et c’est ce qui aboutit « à une spécialisation sociale des modes d’enseignement d’où naîtront nos degrés modernes, primaire et secondaire » (Ariès, idem, p. 349).

    Je vous laisse méditer sur ceci, qui, au fond, laisse l’histoire tout à fait ouverte.

     

    *****

    Bientôt l’été et les vacances…

    Le programme prévu au début de la session 2013 est loin d’être achevé…

    A suivre, pour clore la série, un bref bilan et quelques indications prospectives.

     

     


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