• 2024-1 Origines de l'enseignement populaire

    séance 1

     

    P our expliquer le choix de mon sujet, voici le texte que j’ai déjà envoyé pour la page de garde de ce Blog :

    Cette année, après la longue interruption mise à profit pour envoyer quelques notes relatives à une étude du nazisme (je n’en ai pas fini avec cette affaire qui s’est soldée par la rédaction de plusieurs ouvrages, non seulement l’essai dont j’ai parlé mais des textes mémoriels concernant ma propre famille juive, ma famille maternelle, persécutée et assassinée pendant la Seconde guerre), je reviens aux sujets d’intérêt principaux de ce Blog : l’histoire de l’école, et de la culture scolaire. Pour (re)commencer, je vais donner lecture, au moins partiellement, du premier livre publié par moi sur ce sujet aux éditions de l’Atelier en 1995 : Naissances de l’école du peuple. 1815-1860. Je pense d’ailleurs faire ici davantage qu’une republication pure et simple, parce que, préparant un autre ouvrage, je me suis laissé entraîner par certains scrupules rédactionnels, et j’ai assez sérieusement réécrit mon livre initial.

    Au moins pourra-t-on bénéficier ici de la gratuité. Je ne me soucie pas des éditions de l’Atelier, car mon contrat est périmé depuis longtemps. En outre cet éditeur catholique s’est comporté envers moi comme un vulgaire escroc (à qui se fier ?) en ne répondant à aucune de mes demandes de bilan et, de surcroît, en ne me versant jamais les droits d’auteur qu’il s’était pourtant engagé à payer. Certes, ces droits, dont j’ignore le montant, sont sans doute modestes (quelques centaines d’euros au maximum), mais quand même… Un bon point cependant : sauf erreur de ma part le stock d’exemplaires (combien, je ne sais pas...) n’a jamais été mis au pilon !

     

     NAISSANCES DE L’ÉCOLE DU PEUPLE (1815-1870)

    (ouvrage publié en 1995 par les éditions de l’Atelier dans la collection Patrimoine).

     

    INTRODUCTION

     

    A l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler l’ « École du peuple », les « écoles populaires », l’« éducation populaire », etc., d’après un vocabulaire gravé sur nos tablettes et ressassé dans nos chroniques, il y a sans doute une volonté de l’État, clairement affirmée entre la monarchie de Juillet et la Troisième République, c’est-à-dire entre ces deux ministres marquants que furent François Guizot et Jules Ferry (en donnant ces repères, je fais écho à plusieurs publications qui, depuis vingt ans au moins, on entendu réévaluer l’apport de cette intéressante période). Mais il y a aussi depuis la Restauration en 1815, toutes sortes d’initiatives émanant de personnes et d’associations liées au mouvement philanthropique. Nulle célébration ne rappelle ces apôtres de la « bienfaisance » à notre bon souvenir démocratique. Pourtant ils fournirent beaucoup d’efforts et ils firent preuve d’une grande ténacité lorsqu’ils résolurent d’ apporter les lumières de l’instruction aux classes ouvrières et en général aux classes « pauvres » qu’ils côtoyaient au carrefours de leurs villes ou aux portes de leurs usines, en se promettant de ne pas les abandonner à leur impuissance sociale.

    Pour savoir qui furent ces philanthropes et comment ils agirent à l’intérieur ou à l’extérieur des institutions publiques, pour comprendre les concepts qui ont réfléchi leur projet et les valeurs qui ont inspiré leur idéal, c’est-à-dire leur souci des pauvres  (ce en quoi consiste leur plus essentielle revendication, dont nous devront d’abord connaître la longue histoire précédente), je me propose de décrire ici les discours et les actes de deux groupes d’entre eux parmi les plus importants : d’une par la Société pour l’instruction élémentaire, créée au moment même de la chute de Napoléon pour répandre l’enseignement mutuel en faveur des enfants pauvres ; d’autre part le réseau des patrons qui, sous la monarchie de Juillet et le Second Empire, en relation plus ou moins proche avec des organismes comme la Société industrielle de Mulhouse ou la Société de protection des apprentis et des enfants des manufactures, ont ouvert des écoles pour les jeunes ouvriers travaillant dans leurs établissements.

    Je n’ai pas considéré a priori qu’une telle entreprise d’acculturation, essentiellement dépendante, je le souligne, des « stratégies » philanthropiques (elles-mêmes rattachées d’une façon particulière et parfois conflictuelle à la vieille tradition chrétienne de la charité), fût le masque des intérêts égoïstes de la bourgeoisie moderne. (J’insiste sur cette importante option méthodologique qui évite de recouvrir les données recherchées par une position critique hâtivement formulée en référence à une politique - d’ultra gauche en l’occurrence. Ce principe est à la base de ce travail). Le discours des philanthropes dont je parle et des élites libérales de cette époque annonce plutôt un désir de partager les bénéfices du savoir avec des individus qui, certes, ne le revendiquent pas toujours et qui de surcroît, à cause de leur condition laborieuse, ne sont guère en état d’en profiter, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais si l’ « éducation populaire » ne garantit pas l’accès aux statuts élevés des cléricatures ou des administrations, contrairement aux différents types d’enseignements secondaires (du moins quand ils sont suivis par des enfants issus de familles fortunées, même si nous ne sommes plus dans une société où règne la vénalité des offices), elle n’a cependant pas pour seul et unique mobile le contrôle, voire la répression, de masses réputées « vicieuses » ou « dangereuses ». Disons, que sur ce terrain, les classes « supérieures » tentent d’accueillir, de civiliser et de moraliser les « classes souffrantes » : peut-être pour les rendre heureuses, et sans doutes pour se rendre heureuses avec elles. Chacun à sa place ? Certes : il en va, pense-t-on, de l’amélioration générale des rapports sociaux.

    Le but de ce livre est donc de rassembler les définitions théoriques et pratiques de la mission éducative que certains « groupes de domination » (expression de Max Weber) ont estimé urgent d’accomplir, et qu’ils ont mis au centre de la tradition post-révolutionnaire où nous puisons aujourd’hui encore les valeurs ultimes au nom desquelles nous demandons à notre système scolaire de corriger les injustices de la société, en nous persuadant qu’il préservera du même coup la paix et le bonheur communs.

    Il reste vrai toutefois que, dans cette perspective, le « peuple » est conduit à l’école en vertu d’une nécessité qui est moins « politique » que « sociale » : les philanthropes, en effet, ne visent pas d’abord à instaurer l’égalité réelle des citoyens (telle que promise dans les débats républicains à partir de la Constituante), car ils espèrent davantage modifier les attitudes, les comportements, bref les mœurs des classes économiquement et culturellement inférieures. Sous cette forme d’ailleurs, le problème de la scolarisation des « pauvres » est posé bien avant le dix-neuvième siècle ; et c’est pourquoi il faudra suivre son élaboration en remontant le temps plus long de l’Ancien Régime. D’une part pour repérer des filiations et des permanences ; d’autre part pour déceler des ruptures à l’origine des évolutions modernes, notamment le passage d’une tradition chrétienne à une tradition laïque de l’«  école pour tous ».  (Cette question sera en fait développée plus tard, en 2005, dans une note d’HDR ; autre livre – non publié celui-là – que probablement j’enverrai ici ultérieurement).

    Ce qui précède mène à penser que l’univers culturel – pour ne pas dire la « mentalité » ou la « conscience collective » des individus et des groupes que nous allons observer ne peut être saisi à partir de ce qui serait un bloc unifié et monolithique de représentations. Si l’on s’intéresse non pas aux « idéologies éducatives » ou aux « réformes scolaires » , mais à des expériences concrètes de scolarisation et d’enseignement [Note : Il y a évidemment bien d’autres lieux sociaux d’« expérience » que ceux que j’ai choisi d’analyser, en particulier ceux de l’Église catholique… que je ne présente qu’en contrepoint – mais qui ont fait l’objet de la longue enquête publiée ici pendant cinq années, de 2015 à 2019]. on doit plutôt décrire les questions et les réponses, c’est-à-dire les systèmes d’argumentation et de représentations que les acteurs produisent in situ afin de s’installer dans l’espace de leur rencontre avec les enfants pauvres. Au lieu d’une histoire des idéologies qui risque de saisir des pensées sans contexte ou d’un histoire des réformes qui risque de saisir des acteurs sans pensée, je propose ici une approche pragmatique qui distingue les deux objets suivants d’analyse.

    En premier lieu, je m’intéresse aux pratiques ordinaires de l’éducation populaire, lesquelles pratiques obéirent souvent à des exigences intellectuelles, techniques, etc. de diverses provenances [Note : S’agit-il d’un contexte ? Je réponds non, en référence à la manière dont Foucault refuse cette notion et lui préfère celle de «  champ adjacent » des énoncés, soit l’« ensemble des éléments de situations qui motivent une formulation et en déterminent le sens » (L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 129). Ceci serait donc plutôt un fondement des significations constitutives de ce qui pourrait apparaître comme un contexte]. Décrire par exemple la méthode mutuelle prônée sous la Restauration suppose de mettre en évidence des normes de scolarisation de l’enfance (domaine de l’assistance), des normes d’organisation des collectivités (domaine de la discipline dans les écoles), des normes de programmation des connaissances élémentaires (domaine didactique), etc., étant entendu que chacun de ces domaines repose sur des concepts issus des discours savants de la philanthropie, du libéralisme et de la philosophie sensualiste…

    Au total, la présente étude voudrait donc ressaisir les points de vue à partir desquels ont été énoncés les concepts et les valeurs de l’éducation populaire, en mettant en évidence la confrontation des points de vue divergents ou opposés. Il s’agit donc d’effectuer une mise en perspective : dont j’ai tenté de faire une règle de méthode…, sans craindre une allure de dictionnaire – ou pire : de catalogue - sans loi et sans fin.

    Ceci explique que je ne cherche pas d’abord à suivre la genèse de certaines « idées » - comme l’idée catholique de l’éducation ou l’idée libérale puis républicaine de l’instruction, de même que je n’isole pas des thèmes apparus et ayant évolué aux différentes époques, comme le thème de l’autorité (dans l’optique progressiste ou dans l’optique conservatrice). Je m’efforce plutôt, dirai-je en espérant être clair, de parcourir des réseaux de termes ou de concepts qui s’associent les uns aux autres, qui sont dérivés les uns des autres, et dessinent en fin de compte des nuages de relations plus ou moins denses [Note : j’emprunte ces notions à l’analyse de discours – voir par exemple les travaux de Jacques Guilhaumou, notamment le livre Discours et événement. L’histoire langagière des concepts, publié aux Presses universitaires de Franche-Comté en 2007].

    En second lieu, je suggère que les évaluations fournies par les acteurs sont des préférences qu’actualisent des choix pratiques [Note : Voir sur cette définition des évaluations et des valeurs, l’ouvrage de Charles Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, La nouvelle rhétorique. Traité de l’argumentation, Paris, PUF , 1958 ; t. 1, p. 99 et suiv., qui notent bien que les valeurs, d’une part attendent non pas un accord universel mais l’adhésion de groupes particuliers, d’autre part permettent « une communion sur des façons particulières d’agir »]. J’ajoute que ce constat n’invite pas à élaborer une psychologie des acteurs, mais qu’il rend sensible aux jugements donc aux décisions qui aboutissent à imposer aux écoles un type de culture, une forme d’apprentissage, un mode de discipline, etc. En outre, si l’on admet que ce qui est valorisé se comprend par différence avec d’autres valorisations et d’autres choix possibles, on comprendra qu’une valeur n’est jamais affirmée que contre une autre (exemple : le mérite et les efforts personnels à la place de la naissance aristocratique).

    C’est dire aussi que la dimension du conflit détermine le fond et la forme des questions que nous pouvons poser à la réalité des processus que nous interrogeons. De ce fait, c’est bien en reconstituant des polarités (qui séparent ce qu’il faut faire et ce qu’il est interdit de faire, ou bien ce qu’on peut penser et ce qu’on ne doit pas penser, etc.) qu’il deviendra possible d’accéder à certaines figures légendaires désignées à l’admiration commune. Je pense aux auteurs mais aussi aux héros des livres de Laurent de Jussieu (Simon de Nantua ou La marchand forain, 1818) ou bien de Mme G. Bruno, Le tour de la France par deux enfants, 1877).

     

    CHAPITRE 1

     L’ENSEIGNEMENT DES PAUVRES DU XVIe AU XVIIIe SIÈCLE

     

    A l’époque de la Renaissance, certains pouvoirs municipaux avaient pris l’habitude d’organiser une ou deux fois par an des processions de gens pauvres, du moins les pauvres officiellement recensés, accueillis et secourus [Note : Voir Marcel Fosseyeux, « La taxe des pauvres au XVIe siècle », in Revue d’histoire de l’Église de France, juillet-septembre 1934, n° 88, p. 423]. À Paris il y en avait une pendant le carême ; à Rouen il y en avait une à la Saint Barnabé, 11 juin,  premier (et censément plus beau) jour de l’été (avant la réforme du calendrier), et une autre à la Saint Thomas, 21 décembre, pour le solstice d’hiver (ce qui dura jusqu’en 1969) [Note  : voir Félix Martin-Doisy, Dictionnaire d’économie charitable, Paris, 1855, t. 2, article « Bureau de bienfaisance », pp. 55 et 71. Cet ouvrage colossal est très précieux pour les nombreuses sources qu’il signale – sans toutefois les localiser, ce qui contraint à d’autres enquêtes...]. Il semble que ces manifestations, dont on trouve trace un peut partout aux époques ultérieures, aient eu leur origine à Lyon. Dans cette ville, le cortège se formait au couvent de Saint-Bonaventure (c’est aujourd’hui le 2ème arrondissement), puis il empruntait la rue Grenette, passait le pont sur la Saône de la rue Saint-Eloi, s’enfonçait dans la rue de la Juiverie (5ème arrondissement) ; arrivait enfin au cloître Saint-Jean (lieu du chapitre cathédral) après avoir emprunté la rue des Changes et la rue Saint-Jean.

    Montrer les pauvres donnait aux organisateurs l’occasion de prouver le bon usage des dons passés ou futurs, de faire en sorte que « les grandes charges, frais, mises et dépenses que l’aumône fait et soutient » soient solennellement « remonstrées ». C’était aussi, du même coup, une manière de solliciter à nouveau la charité des riches et des gens aisés (qui peut-être attendaient de leurs largesses une récompense post mortem [Note : c’est dire que ces processions ne s’apparentent pas à d’autres, aussi anciennes d’ailleurs (qui existent au moins depuis le XIIIe siècle), qui étaient plus spontanées et qu’on a pu analyser comme un phénomène quasi-ambulatoire à vocation eschatologique (Voir Jacques Chiffoleau, « Les processions parisiennes de 1412. Analyse d’un rituel flamboyant », in Revue historique, juillet-septembre 1990, n° 575.] : soyez toujours, leur signifiait-on sans doute, « persuadés au bien », ne détournez pas votre regard, offrez encore votre compassion à ceux qui ne peuvent subvenir à eux-mêmes ni répondre d’eux-mêmes. Quant aux personnes secourues, elles ne pouvaient pas se dérober. À Lyon, une fois les participants arrivés, cinq aumôniers passaient leur groupe en revue, faisant l’appel des noms et prénoms d’après des listes préalablement établies. On pouvait donc, plus tard, sanctionner les absences injustifiées d’une suppressions des aumônes, tandis que les présents étaient gratifiés en fin de parcours d’une distribution spéciale, après qu’un sermon en l’église Saint- Jean eût formellement incité les bénéficiaires à « avoir patience » et à être « de bons pauvres ». À Paris, où le rassemblement s’achevait en l’église Notre-Dame après être parti du cimetière des Saints Innocents (au coeur des Halles actuelles), endroits particulièrement « spacieux », on exhortait les participants à « prier Dieu pour le roy, pour la ville, pour la paix et la prospérité du royaume et de la chrétienté » [Note :  d’après F. Martin-Doisy, Dictionnaire…, op.cit., p. 38, qui cite un texte de 1531].

    On peut penser que, par cette injonction faite d’un côté aux pauvres et d’un autre côté à tous les habitants de la ville, l’acteur municipal, qui organisait les choses, se posait en élément unificateur de la société environnante.

     

    Dans la mise en scène de ce défilé austère, recueilli, d’où montent les vocalises traînantes des chants et des litanies, remarquons avant tout la place des enfants : ils sont en tête. À Rouen, les pauvres sont réunis par quartiers (il y a quatre quartiers) et chaque groupe est précédé d’un enfant qui porte la croix. À Lyon, juste après les prieurs des confréries qui agitent leurs clochettes, un orphelin marche en soutenant une grande croix de bois, devant ses semblables conduits en rang, deux à deux, par leur « maistre d’eschole » - aussi nommé « pédagogue (au plus près dans ce cas de la signification étymologique du mot). Derrière ce petit monde qui chante Filii Dei, Miserere nobis !, viennent les orphelines et leurs maîtresses qui, dans le même arrangement, chantent Sancta Maria .Après seulement arrivent les adultes, hommes et femmes disant leur Heures et priant pour leurs bienfaiteurs, puis viennent les ordres mendiants qui entonnent les litanies, puis « Messieurs de la Juistive », les conseillers, les échevins et leurs officiers, et enfin toutes les autres personnes ayant vocation à se joindre au cortège. [Note : F. Martin-Doisy, ibid. ].

    Que les orphelins, ces pauvres parmi les pauvres, soient emmenés et bien visibles associés à leurs maîtres et à leurs maîtresses, cela montre l’importance que les autorités municipales (d’ailleurs plus ou moins autonomes par rapport aux pouvoirs religieux) accordent à cette sorte de « scolarisation » qui s’intègre à un projet de sécurité collective. Cet intérêt, notons-le, repose sur une conscience nouvelle de la misère qui mobilise la préoccupation éducative émanée de l’humanisme, mais une préoccupation alliée d’une part à la tradition charitable chrétienne (ce qui n’est pas nouveau), et d’autre part à l’obligation économique désormais lancinante de mettre les oisifs au travail [Note : Nathalie Z. Davies a insisté sur cette articulation originale dans « Assistance, humanisme et hérésie. Le cas de Lyon », in Études sur l’histoire de la pauvreté, dir. M. Mollat, Paris, 1974, t. 2, p. 792-793].

     

    Arrêtons-nous sur le vocabulaire de ces déclarations d’intention ; et considérons le fait que les processions elle-mêmes ont été conçues en fonction du « peuple » et du « public ». En premier lieu, « peuple » est une instance quasi physique c’est-à-dire la sorte de personne collective à laquelle les pauvres sont montrés, celle qui a dispensé des ressources et devrait en constater le bon emploi. C’est donc l’ensemble des individus formant une communauté et qu’on dit populus, par différence avec plebs. En second lieu, le mot « public » qualifie davantage une instance symbolique. Ce sont les mêmes gens, la même communauté, mais en tant qu’elle a des droits et qu’elle peut même se regrouper dans des espaces, les rues et les places où elle assiste au défilé des pauvres. Le mot « public » est usité en latin depuis le Moyen âge dans des expressions comme « via publica », « villa publica », « functio publica », ou encore « personna publica »…. Ce terme renvoie par conséquent au pouvoir souverain puisque celui-ci prend en charge les droits de la communauté et qu’ainsi il protège la paix et la justice  [Note : je m’appuie ici sur Georges Duby, « Pouvoir privé, pouvoir public, in Histoire de la vie privée, dir. Philippe Ariès et G. Duby, Paris, Seuil, 1985, t. 2, p. 19 et suiv.].

    Ceci explique pourquoi les écoles des pauvres seront connues au XVIIe siècle comme des « écoles publiques ». Charles Démia, le pédagogue lyonnais bien connu, reprend cette expression plusieurs fois dans ses Remontrances faites à Messieurs les prévots des marchands, de 1666-1668 . Pour les enfants pauvres affirme-t-il par exemple, il est plus nécessaire d’ entretenir « des écoles publiques que des collèges pour les enfants d’honnête famille » [ Note : Cité par Gabriel Compayré, « Charles Démia et les origines de l’enseignement primaire à Lyon », in Revue d’histoire de Lyon, 1905, p. 250.]. Formulation très précieuse pour nous puisqu’elle distingue deux ordres d’enseignement qui sont à la fois ceux réservés à des catégories sociales distinctes mais aussi le réseau primaire (les écoles du peuple) et le réseau secondaire (les collèges devenant lycées au XIXe scle, lesquels ne sont nullement précédés par l’insertion dans des écoles où les élèves apprennent à lire et écrire). La même expression figue également dans un texte ultérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement de Marseille. C’est une délibération du 28 février 1692, qui envisage d’installer des écoles pour les enfants pauvres dans la paroisse Saint Martin [ Note : Cité par Yves Poutet, « La compagnie du Saint-Sacrement et les écoles populaires de Marseille au dix-septième siècle, in Provence historique, 1963, t. 13, p. 352].

    « Instruction publique » sera, en ce sens précis, une expression courante jusque sous la Révolution. Et aux XV et XVIe siècles, le même lexique du « public » permet en outre d’annoncer l’exigence des travaux imposés aux pauvres valides. En 1573, Le livre des monstres et prodiges, d’Ambroise Paré, expose les raisons de démasquer les artifices utilisés par les mauvais pauvres ; et il se justifie en disant que ces derniers ne doivent jamais, en se dissimulant « sous le voile de la pauvreté », dérober « le pain aux pauvres honteux » (notion positive en l’occurrence), moyennant quoi on devrait les bannir « hors du pays »  comme « fainéants » ou les contraindre à exercer « quelque métier nécessaire pour le public » [Note : Cité par Roger Chartier in Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987, p. 281.].

      

    1. La première scolarisation des pauvres (à suivre)


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