• 2024-2 Origines de l'enseignement populaire (suite)

    Séance 2

     

    CHAPITRE 1

    (suite)

     

    J’ai mis au paragraphe ci-dessous une couleur bleue, comme à d’autres, pour signaler que c’est un texte ajouté à ceux primitivement publiés dans le livre que je présente ici. Les modifications de vocabulaire, ou de style, nombreuses, ne sont pas indiquées...

    Que faut-il retenir dans les remarques de la dernière fois ? J’ai dit que l’expression « instruction publique » est d’usage courant aux XVII et XVIIIe siècles [Note : cf. Jean de Viguerie, L’institution des enfants, Paris, Calmann-Lévy, 1978, p. 90]. Je vous propose donc de vous pencher avant tout sur l’idée du « publique » dans l’expression que je viens de dire, ou bien dans l’expression équivalente d’« écoles publiques ». Il faut bien comprendre que dans ces formules, la notion du « publique » désigne d’une part les écoles pour les enfants pauvres (c’est l’objet de ma recherche, différente en ce sens des histoires qui rangent tous les phénomènes de scolarisation dans la catégorie unique de l’« éducation » ou de « l’école en France »  ; bref je tente de déplier la spécificité pour ne pas dire l’originalité de la scolarisation des pauvres), où, en plus, en recevant des leçons de catéchisme (nous allons le voir), on n’apprendra qu’à lire - et peut-être un peu à écrire mais ce n’est pas le cas le plus fréquent ; d’autre part des écoles créées grâce aux subsides des habitants et à la volonté, suivie de mesures précises, éventuellement pécuniaires, des pouvoirs municipaux et des pouvoirs religieux (je vais également préciser cette dualité). Pourquoi insister sur ces faits ? Parce que ceci pourrait permettre de prendre de la distance avec certains discours actuels qui donnent à croire que depuis toujours l’idée d’école publique est une notion égalitaire et étatiste. Non : c’est l’inverse ! En fait, historiquement, cette notion du « publique » est parfaitement différentialiste et non étatiste...

    Je redis que je ne m’intéresse ici qu’à la solarisation des pauvres, donc je ne traite pas des autres formes de scolarisation qui s’adressent aux familles aisées, les pensions et les collèges.

    Ceci étant rappelé, reprenons la lecture de l’ouvrage que j’entreprends de relire et dont je souhaite réviser l’écriture… (davantage que je ne le pensais en commençant à vrai dire).

     

    1. La première scolarisation des pauvres

    Indépendamment des anciennes institutions cléricales que furent les écoles monastiques ou les écoles cathédrales (dont les règlements ont longtemps fourni la matière d’une vie singulière pour les enfants), une forme de scolarisation très originale, destinée aux enfants pauvres, est née sous l’Ancien Régime et même un peu avant : depuis la Renaissance essentiellement. Cette forme a d’abord été instituée dans le cadre de deux grands organismes qui assurent l’exercice de la charité, conformément à une injonction chrétienne fondamentale : d’une part les hôpitaux ; d’autre part les « Bureaux des pauvres » (ou « Aumônes générales »).

    Au XVIe siècle, les hôpitaux forment un réseau dense et étendu jusqu’à de petites villes. Multipliés à partir du Moyen âge, notamment depuis le XIIe siècle, ils ont accueilli une population mêlée de mendiants, de vagabonds, de pèlerins ou de malades ; puis ils se sont plus ou moins spécialisés et, à coté des léproseries par exemple, les hôtels-Dieu ont plutôt donné refuge aux malades, aux enfants et aux femmes enceintes ; et les hospices aux pèlerins et à d’autres nécessiteux. [Note : Sur ces questions voir Jean-Pierre Gutton, La société et les pauvres en Europe, XVIe – XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1974 ; ainsi que Jean Imbert « L’assistance et les oeuvres », in La France et les Français, dir. Michel François, Paris, Pléiade, 1972.].

    Par suite, certains établissements hospitaliers ont été destinés aux enfants pauvres ou aux orphelins. Alors, logiquement, ces établissements ont organisé un temps d’enseignement relativement long. Des lettres patentes d’août 1545 nous apprennent ainsi qu’à Paris, l’hôpital du Saint-Esprit recueillait des orphelines et des orphelins nés de « loyal mariage » (donc des enfants légitimes) et que ceux-ci étaient non seulement « couchés, levés vêtus, chauffés, alimentés et gouvernés de toutes choses à eux nécessaires » mais aussi qu’ils étaient « introduits et appris à l’école, tant de l’art de la musique que autrement [Note : on peut supposer que l’enseignement de la musique vise à former des enfants de choeur pour la messe] et après mis à aucun métier pour pouvoir savoir et gagner honnêtement leur vie au temps à venir. » [ Note : Cité par F. Martin-Doisy, Dictionnaire…, op. cit., introduction du t. 1.]. De même, à l’hôpital de la Trinité, réservé celui-là aux enfants pauvres des familles de la ville (enfants légitimes encore une fois), filles et garçon bénéficiaient d’une « pitance », un pain d’une livre aux trois repas et « six onces de chair crue qui reviennent à quatre onces cuites avec du potage ; on leur donnait aussi pour uniforme une robe de drap bleu, un bonnet, un petit haut de chausse et des bas de serge blanche « avec souliers » ; et enfin ils recevaient une instruction avant d’être mis en apprentissage. [Note : F. Martin-Doisiy, idem, t. 4, article « Enfants », p. 472. Sur ce point voir aussi Maurice Capul, Internat et internement sous l’Ancien Régime, Paris, Ctnerhi, 1984, t. 3, p. 65 et suiv., qui cite un texte intitulé « L’institution des enfants de l’hôpital de la Trinité... ». L’association d’un apprentissage à l’instruction est à remarquer ; elle est au coeur de cette stratégie charitable, qui entend combattre l’oisiveté ». Nous y viendrons plus loin].

    Mais dans ce domaine de l’enseignement charitable, des initiatives ont été prises également par les Bureaux des pauvres, qui sont des organismes municipaux de secours à domicile (à Paris, l’hôpital de la Trinité est lui-même dépendant du Grand Bureau des pauvres). A vrai dire, ces organes développent une pratique nouvelle ou du moins différente des modes d’aumône traditionnels, qui reposaient sur les distribution de secours par les Chapitres des évêchés ou bien par le pouvoir royal ; des distributions qui avaient lieu soit de façon continue mais espacée, soit uniquement à l’occasion de certaines fêtes. A Lyon, en 1531, par l’Aumône générale, comme à Rouen en 1534 par le Bureau des pauvres valides, ou encore à Paris en 1554 par le Grand Bureau des pauvres [Note : Pour citer les informations dont je dispose : cf. Camille Bloch, L’assistance et l’État en France à la veille de la Révolution, 1764-1790, Paris, 1908, p. 44.], les pauvres reçoivent divers secours au terme d’un processus qui a deux caractéristiques originales : d’une part il est mis en œuvre par les habitants, disons la bourgeoisie des villes (qui s’occupe aussi de l’administration des hôpitaux, à coté des ecclésiastiques - à Paris, ce Bureau est composé de vingt sept notables, parmi lesquels plusieurs membres du Parlement, conseillers ou avocats) ; d’autre part, en plus des dons et legs habituels il bénéficie de ressources fiscales c’est-à-dire de taxes. À Lyon par exemple, le 5 novembre 1544, les échevins (sortes de conseillers municipaux) commandent aux marguilliers des paroisses de dresser des rôles pour recenser les personnes susceptibles de payer, si bien qu’ensuite, le 15 décembre puis le 31 at de l’année suivante, 1546, deux arrêts du Parlement chargent des commissaires ad hoc de faire exécuter les décisions prises [Note : cf. Marcel Fosseyeux, La taxe des pauvres…, loc. cit., p. 407 et suiv., où l’on trouve d’autre cas : Dijon en 1569, Abbeville en 1565, Dôle en 1571 (la taxe y est payée par 322 foyers). Il semble que ce mouvement, européen, de création des Bureaux des pauvres, ait commencé à Ypres, dans l’actuelle Belgique – voir Bronislaw Geremek, La potence ou la pitié, Paris, Gallimard, 1987, p. 81 et suiv., ainsi que R. Chartier et H. Neveux, « La ville acculturante », in Histoire de la France urbaine, dir. G. Duby, Paris, Eyrolles, 1981 ; t. 3, p. 233 et suiv.].

    Il faut savoir que la création des Bureaux des pauvres a répondu à une certaine urgence dans la mesure où elle a été effectuée dans un contexte où de grands malheurs sociaux, des disettes et des épidémies, poussaient vers les villes une masse de population misérable en quête de refuge. En 1545 à Paris, arrivent de nombreux mendiants de Picardie et de Champagne : ils fuient la peste. Vers 1530 à Lyon, des affamés débarquent, nous dit-on, à pleins bateaux, pour finalement mourir « par les étables, par les rues et les fumiers ». [Note : M. Fosseyeux, « La taxe… », idem, p. 415, qui cite sur ce sujet le texte de 1578 d’un chroniqueur de l’époque, Guillaume Paradin, Mémoire sur l’histoire de Lyon.]. Ceci toutefois n’empêchait pas les bureaux des pauvres de se préoccuper des pauvres autochtones. C’est ainsi qu’à Lyon, après 1530, l’Aumône générale fit ouvrir deux hôpitaux pour les orphelins et les enfants trouvés – qui devaient jusque là quitter l’hôtel-Dieu à sept ans.

    De là viennent les divers projets d’instruction, à commencer par la pure et simple création d’écoles. A Lyon notamment, tous les enfants pauvres légitimes sont adoptés par les recteurs (des sortes de fonctionnaires de l’Université)  ; puis, à l’Hôpital de la Chanal (ou la Chana), près du château de Pierre Cize (c’est l’actuel quartier de Saint-Paul), ils sont nourris, vêtus , chauffés et confiés à un « mistre d’eschole » ou « pédagogue » qui a pour tache de leur enseigner la lecture, l’écriture et les bonnes mœurs [Note : d’après J-P Gutton, La société et les pauvres...op. cit., p. 277, qui cite un texte de 1539, La police de l’Aumône ; voir aussi F. Martin-Doisy, Dictionnaire…, op. cit., t. 4, p. 469.]. De même à Rouen, en 1555, une ordonnance du Bureau fait ouvrir quatre écoles où les enfants pauvres apprennent à « craindre et louer Dieu, leur créance et commandement de la Loi, à lire et à écrire, et principalement les bonnes mœurs ». Remarquons à nouveau l’intérêt accordé aux « bonnes moeurs », ce qui commence de se nommer la « civilité ». Mais le plus important dans la perspective charitable est évidemment le catéchisme, spécialement inventé pour contrer le protestantisme et qui, à l’origine, un savoir pour des élèves de tous âges, y compris des adultes. Les classes, s’il est permis d’employer ce néologisme, se tiennent dans plusieurs maisons acquises dans ce but, et elles sont dirigées par quatre prêtres auxquels le Bureau consent logement et salaire, sur la base du legs de 7000 livres tournoi (une ancienne monnaie, chaque livre valant 20 sous) d’un conseiller au Parlement (instance juridique régionale), Guillaume Tulles. Plus tard, d’autres dons permettront d’organiser un enseignement plus étendu, en sorte que les enfants seront préparés à divers emplois dans la ville, en particulier ceux de teneur de livres, de secrétaire ou de maître d’écriture [Note : d’après F. Martin-Doisy, Dictionnaire…, idem, article « Bureau de Bienfaisance », t. 2, p. 54].

     

    2. les écoles des pauvres aux XVIIe et XVIIIe siècles

    Je rappelle d’abord qu’au XVIIe siècle existent plusieurs modalités d’apprentissages solaires (ce dernier terme étant parfois un peu excessif par rapport à la compréhension moderne qui est la nôtre).

    Il y a d’abord un groupe d’institutions en perte de vitesse. Ce sont en premier lieu les échoppes des maîtres écrivains, où l’on apprend essentiellement à écrire (un art encore proche du dessin) et à calculer, donc au total à tenir des livres de compte, chose avant tout utile aux négociants (une enseigne comme celle que ces commerçants apposaient en hauteur sur leur façade dans la rue est visible à Paris, au musée Carnavalet). Il y a aussi les manécanteries, issues des écoles capitulaires du Moyen âge, qui forment les enfants de chœur pour servir la messe. Il y a enfin en troisième lieu les écoles de catéchisme, qui sont de simples regroupements d’enfants par des marguilliers (celui qui s’occupe spécialement des aspects matériels et financiers de la vie d’une paroisse, étant à ce titre membre du conseil de la « fabrique »), ou des curés, dans les paroisses qui peuvent procéder à cette mobilisation, afin de transmettre aux futurs fidèles les notions de base de l’histoire sainte et de la théologie chrétienne. L’initiative à l’origine des écoles de catéchisme est sans doute italienne ; c’est en ce sens par exemple qu’a agi Charles Borromée (1538-1584), archevêque de Milan, neveu du pape Pie IV, et fondateur des Confréries de la Doctrine chrétienne et des premières écoles dites de la Doctrine chrétienne...  (qu’il ne faut pas confondre avec les écoles des Frères des écoles chrétiennes, la congrégation fondée par Jean-Baptiste de La salle un siècle plus tard – et dont il sera question plus loin). Remarquons qu’aucune de ces formes de scolarisation ne se consacre spécifiquement aux rudiments et est installée dans des locaux spéciaux, indépendants, à l’abri dirai-je de la vie sociale et culturelle, autrement dit qu’elles sont sans rapport avec ce que nous appellerions aujourd’hui (après les travaux de Guy Vincent dans les années 1980 et 1990), la « forme scolaire ».

    Plus proches de cette « forme » que nous connaissons sont les écoles de charité qui prennent place à la fois dans le réseau scolaire et dans le réseau de l’assistance, parce qu’elles sont à la fois destinées aux pauvres et gratuites. En fait, si les écoles de charité se distinguent des écoles de catéchisme, elles s’en déduisent néanmoins - si l’on peut dire [Note : Sur les écoles de charité il existe de nombreux travaux d’historiens. Voir Jean Hébrard, « La solarisation des savoirs élémentaires à l’époque moderne », in Histoire de l’éducation, n° 38, mai 1988 (un article essentiel pour qui veut maîtriser cette question). Voir également Yves Poutet (un frère des écoles chrétiennes de notre temps) : « L’enseignement des pauvres dans la France du XVIIe siècle », in Dix-septième siècle, 1971, n° 90-91. Et, pour citer les historiens canoniques, voir François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire, Paris, Minuit, 1977, t. 1, p 81 et suiv. ; Philippe Ariès, L’enfant et le vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris Seuil, 1973, chapitre 7 ; ainsi que (avec une mention spéciale parce que ce livre est entièrement consacré à la question précise qui m’occupe)... R. Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia, L’éducation en France, XVI-XVIIIe siècle, Paris SEDES, 1976, p. 58 et suiv., qui citent en outre plusieurs personnages mémorables dans ce contexte.]. Certes, le mot « école » est lui aussi trop fort dans ce cas, puisque la pratique correspondante ne consiste qu’à réunir à un moment donné dans la semaine, notamment le dimanche, un certain public qui, comme je le disais à propos du catéchisme, n’est pas composé uniquement d’enfants. Mais il suffit que, sous la houlette d’un curé ou d’un évêque, ces réunions deviennent régulière, puis qu’elles se tournent vers la population pauvre pour que naissent des écoles qu’on appellera donc « écoles de charité ». Cette déviation est donc, comme le suggère une heureuse formule d’Yves Poutet, moins le fruit d’une cléricalisation de l’enseignement profane que d’une sécularisation de l’enseignement religieux [Note : Yves Poutet, « L’enseignement des pauvres... », loc. cit,  p. 95.].

    Mais les établissements (ce dernier terme est probablement lui aussi à prendre avec précaustion) les plus significatifs de l’expansion scolaire de cette époque sont sans doute les « petites écoles », dirigées par des régents ou des maîtres patentés qui dépendent en général d’un « écolâtre » diocésain. A Paris, ce superviseur en chef est un chantre de Notre-Dame [Note : Ce fait est signalé par Jospeh Leif et Georges Rustin dans leur Histoire des institutions scolaires, Paris, 1954, p. 82.]. De toutes manières, ces maîtres demeurent sous la juridiction de l’évêque qui peut seul les autoriser à exercer. Il faut toutefois comprendre que les petites écoles, qui se multiplient suite aux préconisations du Concile de Trente (réuni de 1545 à 1563) et de la Contre Réforme catholique, ont le plus souvent un statut paroissial dans le Nord de la France, et un statut municipal donc moins religieux ou en tout cas moins dépendant de l’Église dans le Sud [Note : Sur la combinaison des exigences cléricales et des valeurs séculières, voir, François Lebrun, Marc Venard, Jean Quéniart, Histoire de l’enseignement et de l’éducation, II, 1480-1789, Perrin, 2003 [1981], p. 275 et suiv.] Notons qu’une déclaration royale de Louis XIV le 13 décembre 1698, elle aussi en application de la contre-Réforme, exige, pour lutter efficacement contre le protestantisme, qu’on organise un enseignement élémentaire dans toutes les paroisses de France…

    Revenons aux écoles de charité. Au cœur du XVIIe siècle, elles sont crées par des associations d’un genre nouveau, les Compagnies de charité, où se regroupent des laïcs (pieux, cela va sans dire), désireux de développer leurs bonnes œuvres (cette dernière expression est en réalité d’apparition plus tardive) en direction des pauvres afin de les christianiser donc, du même coup, de les moraliser. C’est dire que la visée charitable est totalement intégrée à la visée religieuse.  Nous sommes, comme dit Alphonse Dupront, «  à l’apogée d’une religion de la gloire » [Note : Alphonse Dupront, « Vie et création religieuses, dans la France moderne (XIVe-XVIIe siècles) », in La France et les Français, op. cit., p. 509.]. La plus fameuse et la plus puissante de ces associations de charité intéressée à l’instruction des pauvres fut sans conteste la Compagnie du Saint-Sacrement, formée dans la première moitié du siècle. À Marseille, où elle créa des catéchisme paroissiaux entre 1639 et 1650, son efficacité atteignit un degré tel que la paroisse de Saint-Martin, en 1653, put grâce à elle se doter d’un bureau de six recteurs de catéchisme chargés d’assurer diverses taches de gestion, de subvenir aux frais indispensables, et surtout de désigner le prêtre auquel on confierait l’enseignement projeté. Parallèlement, la Compagnie fit admettre deux de ses membres, un prêtre et un laïc, dans l’administration des hôpitaux, comme on le voit à l’hôpital général de la charité, ce qui lui permit d’introduire des règlements conformes à ceux des écoles et d’exercer sa propre surveillance sur l’éducation dispensée.

    Les fondations d’écoles de charité furent nombreuses ensuite, dans les années 1680 [Note : Ceci est retracé par Y. Poutet, dans son article «  la Compagnie du Saint-Sacrement…, loc. cit.], à Rouen, Grenoble, Paris ou même Lyon. C’est d’ailleurs à Lyon que la Compagnie du Saint-Sacrement ouvrit en 1667 la première école pour garçons pauvres que dirigea Charles Démia (à qui l’autorité ecclésiastique confiera cinq ans plus tard la direction de toutes les écoles de ce type dans cette ville).

    A côté des ces groupements importants et ramifiés on devrait évoquer les Associations d’Amis (les « A.A. ») composées en majorité de prêtres qui oeuvrent à la conversion des âmes ; ou bien encore des compagnies plus modestes, plus locales et disséminées mais qui ont parfois joué un rôle important dans les créations d’écoles. Nombre de ces compagnies ont pris modèle sur les Confréries de charité de Vincent de Paul (qui s’étaient vouées à partir de 1617 à la visite des malades ; et dont la congrégation des Sœurs de la charité, très connue sous le nom de Sœurs grises, se consacra à l’éducation de fillettes trouvées et recueillies dès le sevrage.

    En réalité, à la même époque, de nombreuses congrégations prennent en charge l’instruction des petites filles [Note  : Nous disposons sur ce point d’une belle étude de Pierre Zind, « Les doctrines d’inspiration catholique », in Histoire de la pédagogie du XVIIe siècle à nos jours, dir. Guy Avanzini, Toulouse, Privat, 1981.

     

    3 La formation des maîtres.

    Les progrès de la scolarisation tels qu’évoqués ci-dessus, appelaient évidemment une réflexion sur les maîtres et leur formation. Conscients de l’existence de lacunes plus ou moins graves, sur le versant de la religion comme sur celui de la lecture et de l’écriture, les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement ouvrirent à Paris, vers 1659, en liaison avec le séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, un séminaire d’enseignants. Démia lui aussi, à Lyon, dit vouloir atteindre cet objectif dans ses Remontrances à Messieurs du clergé et aux personnes zélées pour la gloire de Dieu… [Note : Voir G. Compayré, Ch. Démia..., op. cit., p. 328]. De ce fait, en 1681 (la création des Frères de Sait-Charles est de 1666), Démia fonde un petit séminaire destiné à augmenter le bagage des clercs qui enseignent déjà ou qui s’apprêtent à le faire en même temps qu’ils se pparent au sacerdoce. Il est probable que dans ses Remontrances, cet auteur ne faisait que poursuivre ses interrogations et la prévision de ses règlements pour les écoles. Mais il organisa aussi des retraites spirituelles où plusieurs exercices religieux étaient pratiqués : et c’est dans cette orientation qu’eurent lieu entre 1675 et 1689 des réunions mensuelles de maîtres, toujours conclues par des procès-verbaux - qui nous sont parvenus.

    Sur ce plan de la formation de maîtres qui doivent ou devraient enseigner les rudiments aux enfants pauvres, la création la plus marquante, qui a lieu à la fin du XVIIe siècle, est sans conteste celle de la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes par Jean-baptiste de La salle. Celui-ci, à l’origine, dirigeait une communauté d’enseignantes pour les filles, les Sœurs du Saint Enfant Jésus, fondée à Rouen en 1666 par le père Barré. Or dans ce cadre, La Salle rencontra Adrien Nyel qui s’occupait de plusieurs écoles pour enfants pauvres, écoles pour lesquelles il recrutait des maîtres. Et c’est ainsi que Nyel et La Salle projetèrent d’étendre la scolarisation des garçons (les pauvres, toujours), et que, dans cette optique, en 1681, ils parvinrent à ouvrir cinq écoles. À  la suite de cela, en 1687, Jean-Baptiste de La Salle créa le séminaire de maîtres qui évoluera vers une forme communautaire pour aboutir à la congrégation bien connue des Frères des écoles chrétiennes, officiellement reconnue par lettres patentes trente ans plus tard, en 1724 [Note : Pour connaître cette histoire, nous pouvons nous appuyer sur Georges Rigault, Histoire générale de l’institut des Frères des écoles chrétiennes, Paris, 1937.].

    Avant et après cette étape, l’essor des Frères est constant. La congrégation est présente dans 22 villes en 1719, et dans 116 en 1789 (pour environ 35 000 élèves) [Note : Je trouve ces chiffres dans R. Chartier, M-M. Compère, D. Julia, L’éducation en France…, op. cit., p. 78-79]. Plus précisément, de 1719 à 1751, la congrégation, avec le Frère Timothée à sa tête, a ouvert 57 écoles et s’est assez bien implantée dans toute la moitié Nord et le Sud-Est de la France. Constatons donc que, grâce à cette congrégation, les conditions pour que se propagent les écoles des pauvres sont à peu près toutes réunies dès la fin du XVIIe siècle et que de ce fait tout fondateur d’une école dans une ville plus ou moins importante peut espérer résoudre assez facilement l’un des problèmes cruciaux de son entreprise, à savoir le recrutement des enseignants. A Paris, en 1765, il y a 74 écoles pour les pauvres, soit 29 pour les filles (il ne faut pas négliger cette spécificité – quoique nous soyons encore très loin de la norme de la mixité, qui émergera -lentement - au XXe siècle, et à laquelle l’Église est très fermement opposée) et 45 pour les garçons. Sur ces dernières, 10 sont dirigées par des laïcs, et 35 par des prêtres ou des frères [Note : Chiffres donnés par M. Fosseyeux in Les écoles de charité à Paris sous l’ancien régime et dans la première partie du XIXe siècle, Paris, 1912, p. 53. Cf. aussi Bernard Grosperrin, Les petites écoles sous l’Ancien Régime, Rennes, Ouest France-Université, 1984, p. 66.]. Les fonds ne manquent pas et la charité va son train qui consiste selon les cas dans le don d’une maison (où se tiendra l’école) ou bien d’une rente (pour payer – je n’ose dire salarier - la maîtresse ou le maître), voire même les deux, mais plus rarement à vrai dire. Quant aux bienfaiteurs, ils sont la plupart du temps ecclésiastiques – à Paris ce sont surtout des curés et des vicaires [Note : cf. M. Fosseyeux, Les écoles de charité…, idem, p. 39. R. Chartier, M-M. Compère , D. Julia, dans L’éducation en France…, op. cit., ont dénombré à Reims, entre 1705 et 1787, 12 ecclésiastiques contre 27 laïcs, le volume des dons des premiers étant en général plus important que celui des seconds]. Normalement, la compagnie paroissiale reçoit les dons et les legs (après leur reconnaissance officielle, les frères peuvent recevoir les dons nommément, en exhibant une simple procuration de leur supérieur) et elle désigne les maîtres – du moins jusqu’à ce que ce rôle revienne aux curés, qui de toutes façons surveillent l’enseignement et spécialement le catéchisme, pièce maîtresse de la Contre-Réforme.

    Un bel exemple de fondation d’une école des frères vers 1730 est connu grâce à un témoignage restitué par Georges Rigault, celui de Louis-Joseph d’Argy, curé de Mézière, dans la Meuse. Au début, une pieuse demoiselle, Nicole Colas du Velly, décide de verser aux Frères des écoles chrétiennes dans leur noviciat de Saint-Yon un fonds qui leur permettrait de venir dans son bourg, Braux-sur-Meuse, enseigner à des enfants qu’elle-même à commencé d’instruire et catéchiser. Or malgré l’accord immédiat des congréganistes, les habitant de Braux rechignent et freinent l’opération pour trois raisons. D’abord ils demandent que la tenue d’une école ne leur coûte rien, donc ils exigent que la demoiselle achète, loue ou construise une école à ses frais. Ensuite ils craignent que la présence des Frères ne soit perçue comme le signe d’une importance que leur village n’ a pas, ce qui se traduirait par une hausse de la taille (l’impôt prélevé par le seigneur sur les paysans de son ressort). Enfin il avancent qu’un magister déjà en place pourrait subir une concurrence fatale (c’est en effet souvent le cas puisque les Frères, nous le verrons, d’une part sont très efficaces, d’autre part offrent en plus l’instruction gratuitement). Face à ces objections, Nicole Colas du Velly insiste dans un premier temps. Mais ensuite, apprenant par le Frère Barthélémy, premier Supérieur de la Congrégation, venu de Reims à Mézière, que là-bas quelques « honnêtes gens » seraient très heureux de bénéficier de ses largesses et semblent tout à fait disposés à accueillir les frères…, elle change son fusil d’épaule . Et c’est ainsi que les villageois de Braux sont abandonnés à leurs réticences et que la congrégation arrive à Mézière. Dans cette ville, on accorde à deux frères un logement (gratuit) avec jardin, tandis que la municipalité accepte de subventionner un troisième congréganiste, et le 21 août 1931, un an à peine après la première proposition à Braux, le Frère Barthélémy, muni d’une procuration de son successeur, le Frère Timothée, reçoit la donation. A Mézière, la population pavoise et, nous dit-on, le jour où la demoiselle donatrice arrive par le bateau qui remonte les méandres de la Seine (elle est précédée du Frère Barthélémy qui vient pas la terre), tout le monde est là pour la fêter, avec les échevins à l’hôtel de ville. Dans ce contexte raconte le curé de Mézière (sans doute très motivé par un récit laudatif!), tous :

    « louèrent beaucoup le zèle de ladite demoiselle : chacun offrait de lui prouver, par tout ce qu’il pouvait, la plus parfaite reconnaissance (…). Comme elle demandait d’âtre logée à portée de l’église paroissiale, on lui donna à cet effet un logement commode... » [Note : G. Rigault, Histoire générale…, op. cit., t. 1, p. 266.].

    Cela dit, il n’est pas certain que la population des enfants « pauvres » (dont on a vu qu’elle admettait les orphelins et les mendiants) ait été systématiquement accueillie dans les écoles des frères. C’est un vaste problème que celui de savoir si l’espoir d’entraîner vers les écoles cette catégorie d’enfants a été suivie d’effets. Dans les hôpitaux issus du Moyen-âge, l’enseignement mis en place à la Renaissance et au XVIIe siècle, s’adressait à un public quasi indigent qui n’attendait rien de cette sorte, pourrait-on dire, et donc que personne ne disputait à ces établissements. En revanche, les écoles chrétiennes, à cause de la gratuité et aussi de la très bonne réputation des frères (j’y ai fait allusion plus haut ; et il ne faut pas oublier que l’efficacité des frères s’explique aussi par le fait qu’ils enseignent la lecture en français et non plus en latin, ce qui est une très importante innovation pédagogique que nous pouvons considérer comme un signe majeur d’entrée dans la modernité – même si leur visée est autre), ont très vite attiré des familles un peu différentes, située au dessus du niveau de la pauvreté proprement dite, à savoir une population d’artisans et de boutiquiers qui n’hésitaient pas à placer leurs enfants dans les nouvelles écoles, qu’ils appréciaient. C’est en ce sens que les habitants de Braux-sur-Meuse ont dit craindre que l’arrivée des frères ne tarisse les ressources du magister local ! Et c’est un fait : les frères des écoles chrétiennes, comme d’autres congrégations au XVIIe siècle, ne s’implantaient dans les villes, sous l’égide des compagnies de charité et des Bureaux des pauvres, qu’en empiétant sur les activités des maîtres écrivains et des éventuels magisters (ou régents) en exercice. Les maîtres écrivains surtout, centrés, comme je l’ai dit, sur les apprentissages de l’écriture et du calcul, ont très souvent rué dans les brancards à l’arrivée des Frères. Les conflits occasionnés ont duré près de 30 ans et ne se scont conclus qu’après 1724 lorsque la congrégation lassallienne a bénéficié d’un reconnaissance officielle par lettres patentes. A partir de là, les maîtres écrivains comme les régents des petites écoles sous la juridiction de l’écolâtre, ne purent plus opposer d’obstacles à l’installation des écoles chrétiennes.

    Bien sûr, d’après leur statut, les frères des écoles chrétiennes devaient s’interdire d’enseigner les enfants autres qu’indigents et venant de famille incapables de payer les services d’un maître. Et n’oublions pas que les écoles et les maîtres de ces époques (je parle toujours d’une instruction qu’on n’appelle pas encore primaire et qui se limite le plus souvent à la lecture) ne vivent que du prix que payent les parents quand on enseigne les rudiments à leur progéniture (dans des conditions matérielles et morales sans équivalent avec ce que nous connaissons aujourd’hui). La limitation (qui est aussi une abstention pécuniaire) des frères est par exemple rappelée le 19 février 1718 par le bailliage (une circonscription fiscale) du siège de police de Chartres à l’occasion d’une action des régents contre les frères. Dans ce cas, les frères ont d’ailleurs un argument de poids, car ils objectent qu’il est abusif de mettre dans la catégorie des élèves payants les enfants dont les parents sont soumis à la « taille des pauvres », qui est un impôt très faible, de huit sols et huit deniers, qui ne touche que de modestes artisans. L’argument sera finalement admis, si bien que les frères obtiendront gain de cause l’année suivante après quoi les maîtres qui leur faisaient procès arrêteront de se plaindre. Un procès du même genre, intenté cette fois par les maîtres-écrivains, se produisit à Paris en 1698 et 1699, après l’ouverture de deux écoles chrétiennes, l’une rue Saint-Placide et l’autre sur « les fossés de Monsieur-le-Prince, près de la porte Saint-Michel. Un curé présidait aux destinées des deux écoles et il était soutenu par Mme de Maintenon qui était alors l’épouse morganatique de Louis XIV et qui intervint auprès du Parlement… sans résultat apparemment. Mais on sait par ailleurs qu’un arrêt du 5 février 1706 ordonna la fermeture des écoles et signifia aux frères qu’ils seraient rappelés seulement s’ils se décidaient à n’ « admettre aux écoles que pauvres enfants et non autres. » [Note : Cf. M. Fosseyeux, Les écoles de charité…, op. cit., p. 36-37. Et pour une synthèse de ces genres de conflits au XVIIIe siècle, voir B. Grosperrin, Les petites écoles…, op. cit., p. 63.]. Les querelles déclenchées à l’encontre des frères étaient même parfois assez vives pour ameuter la rue. C’est ainsi qu’en 1656, à Paris, une procession de 300 garçons et 60 filles organisée par les écoles chrétiennes de Saint-Nicolas du Chardonnet se fit au passage insulter par les maîtres des petites écoles [Note : D’après M. Fosseyeux, Les écoles de charité…, idem, p. 30.].

    En réalité, les historiens nous apprennent que, d’après les relevés dont nous disposons, les frères ont très souvent eu pour élèves des enfants issus d’une population de niveau social très modeste, voire proche de l’indigence. Il faut cependant bien insister sur le « très souvent » parce que parfois, l’enseignement des frères attirait dans les villes des parents moins pauvres, les artisans et les boutiquiers dont j’ai parlé. Cela étant, la plupart du temps, les enfants n’étaient admis qu’avec un certificat de leur curé, qui les connaissait bien, ce qui pouvait d’ailleurs faire pression sur les familles pour qu’elles envoient leur petits à l’école, des familles qui, à l’évidence, ne souhaitaient pas déroger à l’obligation faites aux frères d’enseigner exclusivement les enfants pauvres. A Reims, entre 1776 et 1779, , au moins 80 % des élèves des trois écoles chrétiennes de Saint-Etienne, Saint-Jacques et Saint-Timothée étaient effectivement issus de familles dans l’incapacité de payer un régent. De même à Lyon, entre 1697 et 1705, dans les écoles dirigées par Charles Démia (qui lui n’est pas membre de la congrégation), sur environ 800 pères dont les professions sont connues, on ne dénombre que 2 % de « bourgeois », autrement dit des marchands ou des personnes occupées à une activité libérale. A l’opposé, dans le lot, il y avait à peu près 200 élèves issus de milieux véritablement pauvres que les écoles de charité espéraient atteindre. Il s’agissait en l’occurrence de travailleurs de peine et d’ouvriers ou d’artisans liés au travail de la soie [Note : D’après R. Chartier, M-M. Compère et D. Julia, L’enseignement en France…, op. cit., p. 82-84.]. En revanche, à Amiens, en 1769, 58 % des effectifs d’élèves des frères provenaient de familles dont les pères étaient de petits officiers (ceux qui s’activaient dans un « office »), de marchands ou d’artisans nettement au dessus du niveau de l’indigence et qui auraient été en état de payer un maître [Note  : Haney Chisick, « L’éducation élémentaire dans un contexte urbain us l’Ancien Régime : Amiens aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1980-1981.]. Même chose à cette époque dans l’Ouest, où les écoles gratuites étaient surtout fréquentées par la bourgeoisie locale [Note : Voir J. Quéniart, Culture et société urbaine dans la France de l’Ouest au XVIIIe siècle, Thèse, Université de Paris I, 1975 ; ainsi que F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire..., op. cit., t. 1, p. 92.].

    Philippe Ariès, dans L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1973), déduit de constats similaires l’idée que les écoles charitables n’ont pas atteint leur but, donc qu’on ne saurait y voir l’origine d’un enseignement du peuple au sens où nos l’entendons aujourd’hui. Je suggère quant à moi que cette affirmation d’Ariès est trop tranchée et qu’elle pourrait sous-estimer le développement réel de l’école charitable, incluant les Frères des écoles chrétiennes. Car il n’est besoin que de lire les textes de Jean-Baptiste de La Salle pour saisir à quel point son entreprise est arc-boutée sur l’accueil de la pauvreté : il ne cesse de répéter qu’il faut aimer les pauvres, qu’il faut chaque joue instruire les enfants pauvres et qu’il faut pour cela vivre comme eux, en conformité avec eux, «  dans un dégagement de toutes choses », etc. [Note : J.-B. De La Salle, Cahiers lassaliens, Rome, Maison généralice des frères des écoles chrétiennes, n° 12, p. 88 ; et voir Y. Poutet,  « Les peines de la vie et l’éducation des mentalités par Bossuet, Fénelon La Salle et Montfort », in Actes du 102è Congrès national des Sociétés savantes, Limoges, 1977, Paris 1978, t . 1, p. 248-249]. Cela nous autorise à penser que l’admission dans les écoles, à coté des pauvres, de quelques enfants issus de familles plus aisées, était peut-être le moyen de pourvoir à l’éducation des seconds contact des premiers. Bien sûr cela n’aboutissait pas à surmonter des discriminations comme celles que souhaitaient maintenir les riches, ainsi que nous l’apprend cette réponse des curés de Paris à un projet du Grand chantre au milieu du XVIIe siècle :

    «  Les pères et mères riches ne souffriraient as que l’on meslât les pauvres gueux, garçons et filles, avec leurs enfants,lesquels les auraient à mépris et leur saleté et leur haillons » [Note : Texte cité par J. Leif et G. Rustin, Histoire des institutions scolaires, op. cit., p. 82. N’oublions jamais ce que nous rappelle cette citation, à savoir que, aux yeux des riches, les pauvres sont répugnants - ne serait-ce que par leur aspect physique, forcément délabré].

    En fait un relatif mélange des populations scolaires est un fait typique de l’Ancien Régime (ce qui vaut également et avant tout pour les collèges), quoique ceci n’ait rigoureusement rien à voir avec nos intentions démocratiques. D’autant qu’au XIXe siècle les populations s’unifieront... mais dans un sens parfaitement anti-démocratique, lorsque la disparition des petits collèges ruraux et le développement de l’internat, comme le remarque Ph. Ariès, aura rejeté les élèves les plus modestes vers les écoles primaires, qui deviennent à ce moment municipales [Note  : Ph. Ariès, L’enfant et la vie familiale…, op. cit., p. 338 et suiv. Sur le recrutement des collèges d’Ancien régime, voir la remarquable étude de W. Frijhoff et D. Julia, Ecole et société dans la France d’Ancien Régime. Quatre exemples : Auch, Avalon, Condom et Gisors, Paris, Armand Colin, 1975, p. 11 et suiv. ; ainsi que François de Dainville, L’éducation des jésuites, Paris, éditions de Minuit, 1978, p. 81.].


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