• 2020-2 Vichy : "révolution nationale"

    Séance 2

     

    LE RÉGIME DE VICHY ET L’OCCUPATION ALLEMANDE

    (suite)

     

     

    II LA FORMATION DU RÉGIME DE VICHY

     

    J’ai évoqué dans la précédente séance les tours et les détours de la persécution des Juifs en France, pendant la guerre, persécution qui a certainement pour cause la volonté et l’action conjointes des nazis et du gouvernement de Pétain (même si ce n’est pas au même titre dans les deux cas, pas pour les mêmes raisons et surtout les même buts). J’y reviendrai un peu plus loin.

    Maintenant je me propose de fixer et de commenter quelques repères à partir desquels on pourrait parler rigoureusement (scientifiquement si j’ose dire) de la politique vichyste pendant l’Occupation. Il y a quantité d’ouvrages disponibles sur le sujet, qu’il ne faut pas négliger ; et qui sont utiles  pour ne pas se laisser entraîner dans les polémiques qui continuent de se faire entendre sur le « régime de Vichy », la « révolution nationale », et la politique de « collaboration » avec les Allemands. On trouvera quelques références utiles au fil des remarques suivantes.

    J’ai parlé de deux phases distinctes de la recherche historique. Dans un bon ouvrage de synthèse, écrit par Jean-Pierre Azéma et Olivier Wieviorka, Vichy, 1940-1944 (Paris, Perrin, 2000), la première phase est qualifiée d’« approche frileuse » (p. 198) : c’est celle de l’ouvrage de Robert Aron, de 1954 ; tandis que l’autre phase, celle de Robert O. Paxton serait plus rationnelle. Cette dernière approche correspond, en gros, à l’ouverture des archives en France et en Allemagne ; c’est aussi le moment où paraît un ouvrage important mais assez peu lu, celui d’un Allemand, Eberhard Jäckel, qui a spécialement  traité les archives allemandes, dans La France dans l’Europe d’Hitler  (1968).

    Pour ma part, j’entends me tenir, comme la quasi totalité des historiens, à la ligne d’analyse fixée, avec beaucoup de talent de réflexion et d’écriture, par R. Paxton.

    Je dois cependant limiter mon objet d’analyse. Il est bien évident, en effet, que le « régime de Vichy » est une forme politique qui a pris en charge de nombreuses dimensions de la réalité française de l’époque (et, en plus, d’une époque très particulière, celle de l’Occupation allemande), et chacune de ces dimensions demanderait une longue description. Le sujet n’est pas illimité mais il est loin d’être épuisé. On a de bonnes études sur Vichy et l’armée, Vichy et l’administration,  la politique économique de Vichy, sa politique étrangère, etc., et avant tout la « collaboration » (qui affecte les autres dimensions). Puisque j’ai évoqué dans la précédente séance les questions économiques, je signale les études très bien informées et précises de Fabrice Grenard sur les politiques du ravitaillement et du rationnement (cf. La France du marché noir, 1940-1949, Paris, Payot, 2008). Il y a même récemment un livre (très intéressant aussi) sur les nombreuses fêtes inventées par Pétain : Rémi Dalisson, Les fêtes du Marécha. Propagande  festive et imaginaire dans la France de Vichy, Paris, Tallandier,  2007 (on se souvient de l’invention de la fête des mères ; il y en a eu d’autres pour la Patrie, le travail, la famille, les paysans, etc.). Et puis, on peut aussi, en parallèle, s’intéresser à la vie quotidienne des Français pendant l’Occupation, comme l’a fait en son temps Henri Amouroux (un livre « grand public » très bien fait et complet, avec de nombreux témoignages, La vie des Français sous l’occupation, Paris, Fayard, 1961 –10 volumes).  ; il y a bien d’autres références sur ces sujets. Je ne les ai pas toutes parcourues, bien évidemment ! Cela dit, il y a encore beaucoup de choses à faire. Attendons un peu…

    Donc, ne pouvant tout prendre en compte (ce qui, en outre, dépasserait de beaucoup mes compétences !), je suis contraint de choisir une seule entrée, et, en l’occurrence, je l’ai déjà dit, je choisis une entrée cruciale pour analyser ce régime et l’aborder d’un point de vue critique l’entrée dont je viens de rappeler qu’elle n’est pas unanimement traitée par les historiens depuis 50 ou 60 ans : Vichy et la persécution des Juifs (sujet sur lequel j’ai déjà donné des indications). Je vais donc traiter en général du régime de Vichy, mais pour mieux saisir  les pratiques de discrimination et de persécution des Juifs, pratiques dont j’ai dit que, pendant la guerre, elles sont à mettre au compte du gouvernement de Vichy et pas seulement au compte des Allemands. Car en l’occurrence je maintiens l’idée que, lorsque le gouvernement de Vichy a agi contre les Juifs, il a pu le faire de façon indépendante, autonome, même si, souvent, il a agi en réaction (affirmative) aux  demandes des autorités allemandes… Ceci reste une question délicate, objet de confusions et de contradictions : j’ai essayé de démêler cela dans la première séance. Je ne vais donc pas déroger aux principes que j’ai énoncés (puisés, je e répète, dans les travaux de la plupart des historiens spécialistes de la période).

     

    1) La périodisation

    Il faut d’abord admettre que, durant les quatre années de l’Occupation allemande, le « régime de Vichy » subit lui-même des évolutions. En conséquence, ces évolutions doivent être cernées si l’on veut comprendre pourquoi et comment ce régime s’enfonce dans la collaboration avec les Allemands, jusqu’à faire le dos rond devant la quasi totalité des diktats nazis et à agir, avec la Milice (de Darnand),  dans le sens d’une répression de plus en plus forte et criminelle à l’encontre des Résistants et des Juifs notamment. Au sujet de ces évolutions, j’ai indiqué deux hypothèses possibles. Soit on considère qu’elles marquent des ruptures. Et il y en a, en effet, personne ne le nie. Mais dans cette perspective, si Pétain a été plus ou moins mis sur la touche, on accepte peut-être trop rapidement l’idée qu’il aurait été absolument contraint par les événements, si bien que la « collaboration », de plus en plus poussée, ne serait pas de son fait, mais de celui de Laval (qui a effectivement eu un très grand rôle à partir de son retour au pouvoir en avril 1942). Mais le retrait de Pétain du devant de la scène politique, c’est ce dont on peut douter. D’où une seconde hypothèse, pour dire qu’au-delà des ruptures, même si elles sont assez fortes, l’évolution ménage aussi une continuité – en l’occurrence une continuité de la pensée et de l’action collaborationniste depuis 1940 : car c’est bien ce qu’on voit, et qui est essentiel, depuis la signature de l’armistice en juin 1940 et l’entrevue avec Hitler à Montoire pas très longtemps après, en octobre. ». C’est l’hypothèse (nuancée, on le voit) qui m’a parue la plus prometteuse pour les éclairages qu’on attend. Telle est donc l’optique que je défends.

    Mais j’ai déjà dit que je n’invente rien, et que je ne fais que suivre l’option la plus courante chez les historiens. J-P. Azéma et O. Wieviorka, dans Vichy…, op. cit., p. 84, parlent d’une « politique antisémite autonome » , même s’ils admettent, ce que tout le monde admet d’ailleurs, qu’il y a des différences entre les autorités de Vichy et les collabos de Paris (comme Darquier de Pellepoix), qui « adhèrent pleinement aux valeurs hitlériennes ». Pour citer un autre livre important, je renvoie à celui de Denis  Peschanski, Vichy 1940-1944. Contrôle et exclusion (Éditions Complexe, 1997 - un recueil d’articles) : il est tout aussi clair sur les « initiatives » de Vichy dans la persécution des Juifs. Ceci confirme que Paxton a ouvert la voie… 

    Dans cette optique, pour commencer, voici une manière plausible de représenter les évolutions dont je parle. Ce sont les différentes périodes de la vie du « régime de Vichy » (« État français » disent ses soutiens). On en trouve une version par exemple dans un livre de François-Georges Dreyfus, Histoire de Vichy (Paris, éditions de Fallois, 2004 [1990], p. 198).

     

    Remarque.

    L’ouvrage de F-G. Dreyfus est très intéressant, par son grand sérieux historiographique d’une part, mais aussi par l’effort de l’auteur pour ne pas noircir l’étude Robert Aron… et rester à distance de R. Paxton… On trouve notamment dans ce livre un tableau des différents courants antisémites depuis le XIXe siècle, à commencer par les courants socialistes, et aussi, de ce fait, un chapitre sur l’antisémitisme de Vichy, p. 287-308. Cela dit, je ne peux que constater que  F.G. Dreyfus est peu loquace sur l’antisémitisme dans « l’entourage de Pétain ». C’est dire que je reste tout de même perplexe devant certaines de ses analyses, en particulier celle de la « Révolution nationale », qu’il situe dans la ligne du nationalisme jacobin (p. 225), ce qui est tout bonnement absurde car il s’agit bien plutôt d’un nationalisme antirépublicain et d’inspiration fasciste (au passage : il est très important de distinguer deux références à la Nation : la référence républicaine, qui se rapporte à la souveraineté du peuple, et la référence nationaliste de l’extrême droite, qui se fonde sur une idée, illusoire selon moi, de communauté « ethnique »). De même, je trouve sa réflexion sur le statut des Juifs du 3 octobre 1940 très timorée. F-G Dreyfus prétend d’ailleurs que ce statut s’aligne sur le racisme allemand des lois de Nuremberg (1935 : lois « pour l’honneur de la race », qui interdisent notamment les mariages mixtes, etc.), alors que ceci ne fait pas du tout partie des options françaises de 1940 ; et du coup il insiste très peu, p. 294, sur la définition du « Juif » par la race…, reprenant au passage l’antienne d’un Pétain qui a « subi une forte pression des antisémites de son entourage », p. 293 – sous–entendu, lui, Pétain, n’était pas antisémite ou ne l’était que de façon circonstancielle, et il n’aurait jamais voulu se rendre hostile aux Juifs. Ainsi F-G. Dreyfus oublie que dans le cadre de la « révolution nationale » pétainiste, les Juifs figurent en tête des « ennemis » de l’État qu’il faut pourchasser, empêcher de nuire ( !), avec les étrangers, les Résistants et les francs-maçons

    Je profit de cette remarque pour vous à la méfiance envers les stratégies politiques énoncées en termes d’ « ennemis », qui sont toujours lourdes de sens mortifère.

    En fait, F-G. Dreyfus développe (avec d’autres) la thèse du double jeu du gouvernement de Vichy (voir p. 760) : d’un côté satisfaire certaines exigences allemandes mais pour d’une autre côté sauvegarder des intérêt français... (cette thèse du double jeu est critiquée par Paxton, dans La France de Vichy…, op. cit., p. 90 : à lire absolument !)…

    Toujours est donc posée la question (que je rappelais et que j’ai traitée dans la séance précédente), des fondements de  la persécution antisémite : est-elle émanée strictement des nazis ou bien procède-t-elle d’une volonté propre de Vichy ?

     

    Quoi qu’il en soit, voici la périodisation à laquelle il faut sans aucun doute s’adosser (c’est la manière de voir adoptée par F-G. Dreyfus - qui est loin d’être le seul) :

    1. De juillet à décembre 1940, après la défaite et le vote des pleins pouvoirs à Pétain, c’est le temps de la « divine surprise » (terme de Maurras pour qualifier la victoire nazie suivie de l’instauration du pouvoir pétainiste - contre les réalités et les idéaux de la IIIème République et du Front populaire). Durant cette période, Pierre Laval est d’abord vice-Président du Conseil puis il et est contraint (par Pétain) à la démission, en décembre.

    2. De décembre 1940 à avril 1942, un éphémère gouvernement Flandin, puis Darlan est vice Président du Conseil des ministres : c’est « le temps des technocrates » dit F-G. Dreyfus (les technocrates à la place des parlementaires).

    3. D’avril 1942 à l’automne 1943 : « dérive vers le totalitarisme » (formule bienvenue de F-G. Dreyfus). Laval, revient, suite à une pression allemande, et il est « chef du gouvernement ». Il cumule plusieurs ministères : affaires étrangères, Intérieur, information… Un tournant important est effectué lorsque les Allemands envahissent la zone libre ; le 11 novembre 1942, après que les alliés ont débarqué à Alger. La rafle du Vel d’Hiv est plus précoce ; elle est du milieu Juillet 1942.

    4. De l’automne 1943 à août 1944 : « État nazifié ». C’est la période la plus dure de la collaboration avec les Allemands. Darnand (en décembre 1943) est nommé secrétaire d’État à l’Intérieur et il déchaîne ses miliciens (il est secrétaire général de la Milice) contre les Résistants. On parle parfois d’un « état milicien ». Darnand porte l’uniforme SS depuis l’été 1943. Il  sera fusillé peu après la Libération, en octobre 1945.

     

    2)

    Je complète cette périodisation schématique par quelques autres repères chronologiques, qui permettront d’apercevoir le contexte de la formation et de la mise en ouvre de ce régime de Vichy.

    D’abord la guerre. La « drôle de guerre » prend fin avec l’attaque par la Wehrmacht, à l’Ouest de l’Allemagne, le 10 mai 1940. Les Allemands pénètrent d’abord au Luxembourg et en Belgique, puis ils se dirigent vers les Ardennes pour pénétrer en France, à la grande surprise de l’État major et du général Gamelin, qui ont tout misé sur la ligne Maginot, réputée imprenable. Mais les Ardennes sont un pari risqué d’Hitler, car le terrain, très boisé et accidenté, semble impossible à franchir. C’est pourtant ce que la Wehrmacht va faire (avec des véhicules conçus pour cela) ! Cette stratégie a été présentée à Hitler par l’un de ses généraux, von Mansteim. Devant la passivité des forces françaises (l’aviation n’intervient pas alors qu’au sortir des Ardennes les blindés allemands sont bloqués par un immense embouteillage), les Allemands, emmenés par le général Guderian, sont à Sedan le 13 mai, enfoncent le front et passent la Meuse. Le 26 mai, Dunkerque est attaquée à son tour ; mais Hitler arrête ses troupes…, si bien que des dizaines de milliers de soldats peuvent embarquer et gagner l’Angleterre (370 000 dont 130 000 français ; un très bon film récent relate très bien cet épisode)…

    Le 18 mai, le Président du Conseil, Paul Reynaud, a remanié son gouvernement pour la deuxième fois, et il en a profité pour remplacer Gamelin par Weygand ; ce qui n’a pas changé grand chose… Le 17 mai, Pétain est devenu vice-Président du Conseil (il était ambassadeur à Madrid ; et il a déjà été ministre de la Guerre en 1934). Paul Reynaud avait rencontré le colonel De Gaulle en 1934 et il avait adhéré à son option militaire sur l’utilisation des blindés. Le 5 juin a lieu un troisième remaniement ; et c’est le moment où De Gaulle, récemment promu général de brigade, devient sous secrétaire d’État à la Défense. Weygand, qui succède à Gamelin, veut arrêter les hostilités mais dans le cadre d’un armistice, non pas dans celui d’une capitulation. Car la capitulation, pense-t-il, ruinerait l’honneur de l’armée. Pour comprendre la différence entre armistice et capitulation, et les divergences au sein du gouvernement sur ce sujet, voir André Kaspi, Chronologie commentée de la Seconde Guerre mondiale (Paris, Perrin/Tempus, 200 [1990], p. 121-122).

    Le 10 juin, le gouvernement s’enfuit (ou « se replie ») d’abord à Tours, puis à Bordeaux. Et le 14 juin, les troupes allemandes entrent dans Paris, déclarée ville ouverte. 10 millions de Français, pris de peur, sont sur les routes… (deux millions de parisiens). C’est l’Exode…. Les images en sont très connues (outre les films, il y a plusieurs bons livres : je retiens Pierre Miquel, L’exode, 10 mai-20 juin 1940, Paris, Plon-Pocket, 2003 ; et J-P. Azéma, 1940 l’année noire, Paris, Fayard/ Le Seuil, 2010). Les pilotes de la Luftwaffe  font des ravages en mitraillant les populations désemparées. C’est aussi ce que montre un film comme Jeux interdits (évidemment le meilleur film sur la période, avec la lumineuse Brigitte Fossey, alors âgée de 5 ou 6 ans !)

    Le 15 juin, à Bordeaux, a lieu un premier conseil des ministres. Pétain, 84 ans, est sur le devant de la scène. Le 16 juin, il prend la place de Paul Reynaud comme Président du Conseil (il n’était que vice-Président, je l’ai dit). Le 17 juin, il demande l’armistice (je redis : armistice qui n’est pas la capitulation). Le lendemain, 18, c’est l’appel contraire de De Gaulle  - qui avait réfléchi à créer un vaste camp retranché en Bretagne, pour continuer la guerre, de même qu’en positionnant des troupes en Afrique du Nord. Ensuite, tout s’enchaîne : le 22 juin l’armistice est signé avec les Allemands, qui ont fixé des conditions très dures, notamment l’occupation militaire des 3/5 du territoire et l’établissement d’une ligne de démarcation entre zone occupée et zone libre.  Dans le traité, il y a par ailleurs un article particulièrement odieux (et accepté de manière honteuse), le 19ème, qui exige que la France livre à la Wehrmacht les Allemands réfugiés qui avaient tenté de fuir le régime nazi. Le generalfeldmarschall Keitel, qui commande toute la Wehrmacht – en dessous d’Hitler !  (et qui finira pendu à Nuremberg), prétend que les Allemands ne s’occuperont que  des criminels, ce qui est faux. En outre, les Allemands imposent à la France le paiement d’une indemnité colossale : une amende de 400 millions par jour (qui sera ensuite augmentée !), et ils vont faire tourner les usines à leur profit… se livrant à un pillage en règle de toute l’économie française (faisant main basse sur plus de 30 % du produit national français au début de la guerre et plus de 50% à la fin de la guerre). Et les œuvres d’art ne feront pas exception… (cf. J-P. Azéma et O. Wiéviorka, Vichy…, op. cit., p. 96).  On sait que Göring lui-même viendra se servir dans les grands musées parisiens…

    Le 27 juin, Laval est nommé vice-Président du Conseil. Le 1er Juillet, c’est l’arrivée du gouvernement à Vichy. Le retour à Paris était prévu par l’article 3 de la convention d’armistice (une concession allemande ?), mais ça ne s’est pas fait par attentisme des Allemands qui craignaient de se voir observés et trahis au profit de l’Angleterre, qui restait leur ennemi majeur.

    Conclusion : comme on dit souvent, mais il faut toujours le rappeler, le régime de Vichy est une conséquence directe de la défaite, et qui plus est une défaite totale, écrasante et très traumatisante pour tous les Français et pour une armée qui était avant cela réputée la plus puissante du monde, qui semblait invincible… alors qu’elle est complètement écrasée en quelques semaines (raison pour laquelle s’impose alors l’expression de « guerre éclair », Blitzkrieg). Et il ne faut pas oublier que dans ces circonstances, le gouvernement sera théoriquement tenu par les accords d’armistice signés avant sa formation, le 22 juin. Tenu dis-je…Oui, mais justement, le grand problème c’est qu’au fil du temps ce gouvernement ne va pas s’en tenir aux termes de l’accord et il va en fait renforcer la collaboration qui, au départ, était surtout un projet économique.

     

     

    III QU EST-CE QUE LE RÉGIME DE VICHY ?

     

    1)

    Quelques mots tout d’abord sur la composition du gouvernement du maréchal Pétain. L’entourage de Pétain (on trouvera sur Internet ou autre la liste des ministres), choisi par lui avec Laval et certains conseillers, c’est un ensemble de personnes où domine une extrême droite revancharde, très acrimonieuse à l’égard du Front populaire, très rageuse à l’encontre de Léon Blum notamment, et en général désireuse d’en finir avec la République elle-même. C’est l’optique de Pétain ; tandis qu’Alibert, ministre de la Justice  - frange royaliste, monarchiste, liée à l’Action française - lorgne vers l’Ancien Régime c’est-à-dire la monarchie. Et c’est dans ce contexte que les Juifs seront les premiers visés, accusés d’être responsables de la défaite… donc il faut la leur faire payer ! C’est là un thème récurrent (j’ai cité à ce propos l’étude de B. Vergez-Chaignon), un thème qu’il ne faut surtout pas négliger très lié à l’antisémitisme qui s’est fortement développé avant la guerre déjà, dans les années 1930.

    Puisque je  fais allusion à l’antisémitisme et son développement en France dans l’entre-deux- guerres, je recommande un article d’Emmanuel Debono, « Les années 1930 en France : le temps d’une radicalisation antisémite », publié dans la Revue d’histoire de la Shoah, 2013/1 ; n° 198.

    Notons que dans le gouvernement maréchaliste, il y a aussi des transfuges de gauche… C’est le cas de Laval ancien député socialiste avant la guerre de 14, et partie prenante du cartel des gauches en 1924, mais qui a rompu avec ce passé en 1926 et il occupera diverses postes, mais en 1936, le Front populaire se passe de lui. Il est (seulement…) sénateur. L’occasion de prendre une revanche lui est donc offerte par la défaite de juin 40. Entré au gouvernement le 23 juin, le lendemain de la signature de l’armistice, comme ministre de la justice, il va être un des principaux sinon le principal soutien et agent au service de Pétain pour le vote des pleins pouvoirs, le10 juillet 1940 (c’est lui qui a intrigué en faveur du maréchal). Quel est le sens de ces pleins pouvoirs ? On peut dire que l’Assemblée nationale se saborde en votant l’article unique proposé par Laval. L’article énonce : « L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution de l’État Français. Cette Constitution devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie… »). 569 voix pour, 80 contre et 17 abstention ; la liste des 80, qui furent 28 sénateurs et 57 députés, se trouve dans le livre de R. Aron, p. 153. Il fallait être lucide ! Peu le furent, mais ceux qui le furent méritent notre admiration.

    Le Président de la République est alors Albert Lebrun… Après le vote du 10 juillet, Pétain devient « Chef de l’État » : exit Lebrun ! Et Pétain appelle Laval pur diriger le gouvernement et installer son régime autoritaire.

    Mais quelques mois plus tard, en décembre, Laval est remercié (il avait organisé l’entrevue de Pétain avec Hitler, puis une rencontre d’Hitler avec Franco). Lui succède d’abord Pierre Etienne Flandin, mais pour peu de temps, de décembre 1940 à février 1941, 57 jours (il démissionne sous la pression des Allemands). C’est ensuite l’amiral Darlan qui arrive. Il a dans les mains le ministère de L’Intérieur, celui des Affaires étrangères et celui de la Marine. Après sa mission, il voudra rompre avec Vichy en passant  à Alger pour rejoindre De Gaulle et Giraud ; mais il va être là-bas assassiné – ce crime n’a pas été totalement élucidé : on connaît le meurtrier qui a été arrêté, mais on ne sait rien sur ses motivations et ses commanditaires éventuels.

     

    2)

    Qu’est-ce qui va alors caractériser le régime de Vichy, l’« État Français », depuis sa formation jusqu’à sa mort ? Sans négliger la périodisation et la question de la continuité ou discontinuité à travers les quatre années de l’Occupation, je propose de retenir trois éléments : 1. la « révolution nationale » ; 2. la « collaboration » ; 3. l’exercice limité de la souveraineté  dans le contexte de la division entre « zone occupée » et « zone libre » (division qui dure jusqu’en novembre 1942).

     

    1ère caractéristique : la « révolution nationale ». Le maréchal Pétain et ses proches ont voulu créer un État nouveau propre à engager cette « révolution nationale » que l’on peut facilement associer à une inspiration de type fasciste. Mais cette qualification reste à discuter et à nuancer. On emploie plus volontiers le qualificatif  « autoritaire » (c'est le cas d'Eric Alary, dans un bon livre récent, Nouvelle histoire de l'Occupation, Paris, Perrin, 2019, p. 134; mais je trouve ce qualificatif un peu faible). Côté fasciste typique, il y a bien  un pouvoir anti-parlementaire… Mais ne figurent pas dans le projet et la pratique et le principe du parti unique, ce qui fait quand même une différence importante avec les régimes fascistes (en Italie ou Espagne).

     

    Voici une image de propagande vichyste assez connue dont l’observation est très éloquente : une maison France qui vacille, et une autre qui se tient bien droite : voyez les fondements dans les deux cas… Pour la maison qui vacille : radicalisme, parlement, capital… juiverie, etc… Et pour la belle maison : travail, famille, patrie ! Toutes choses qui se passent de commentaires !  

        

    2020-2 Vichy : "révolution nationale"

     

    Que signifie donc « révolution nationale » sur le plan de la stratégie politique ? Que les vichystes se sont fixés un but ambitieux, créer cet État nouveau, destiné à changer le visage et la nature de la France  - le grand fantasme de l’extrême droite jusqu’à aujourd’hui : une France débarrassée des étrangers, débarrassée des institutions de la démocratie représentative (Parlement), débarrassée des partis d’opposition, unie autour de son chef, respectant des valeurs de discipline, etc., toutes choses que ni l’armistice ni les Allemands ne demandaient. C’est pourquoi Paxton a raison de parler d’un « péché originel » de ce régime… J-P. Azéma, dans De Munich à la Libération 1938-1944, (Paris Seuil,  1979, p. 81) dit que le but premier du régime de Vichy était «  d’effacer la IIIème République ». C’est tout à fait vrai. Retenons également que ceci rend bien compte de la volonté vichyste de supprimer le fonds de droits humains sur lequel reposait la République. Cet État, dit aussi J-P. Azéma (p. 91) voulait « apurer les comptes » de la République, et d’abord supprimer le suffrage universel (d’où la mise en sommeil des deux assemblées par les pleins pouvoirs accordés à Pétain). Ainsi est littéralement démolie la Constitution républicaine de 1875 et son appui sur les droits de l’homme en général.

    A nouveau, j’insiste sur le fait que, dans « révolution nationale », le mot national prend un sens nouveau, purement « ethnique » et non lié à un ensemble politique constitué seulement par une loi commune : l’ensemble des citoyens (attention aux usages spéciaux et spécieux du terme « national » !).

    Notons au passage que ces buts des vichystes supposent que ces derniers ne se sont pas contenté d’administrer le territoire français en fonction des accords d’armistice qu’ils avaient signés, éventuellement pour surveiller leur application dans le sens qu’ils avaient accepté mais que les nazis pouvaient vouloir outrepasser.

     

    Comment la mise en œuvre de la « révolution nationale » a–t-elle été possible ? Par de nouvelles lois constitutionnelles qui ont créé de toute pièce, à la place de la République, l’« État français ».

    L’esprit dans lequel sont conçues les nouvelles lois constitutionnelles était clair, je le répète : anti-républicain. C’est l’esprit de ces lois préparées par Laval et décidées par Pétain, à qui l’Assemblée nationale (les députés + les sénateurs)  a accordé les pleins pouvoirs le 10 juillet. Il y aura au fil du temps une douzaine  de lois constitutionnelles (en l’absence de Constitution en bonne et due forme). Ces lois furent donc conçues pour déclencher le vaste processus de réforme collective de la « révolution nationale » qui est elle-même résumée par la nouvelle trilogie « Travail, Famille Patrie » (formule qui n’est pas forcément de Pétain, mais, peut-être, de son ministre de la Justice, Alibert. Cf. A Kaspi, Chronologie…op. cit.,, p. 163. F-G. Dreyfus indique de nombreuses sources républicaines de la formule, mais… c’est là un argument dérisoire, car on ne peut oublier que cette formule était destinée à abolir la trilogie républicaine « liberté-égalité-fraternité !

    Dès le 11 juillet, 3 actes constitutionnels essentiels (il y en aura d’autres) sont édictés : 1. abolition de la présidence de la République : Pétain se déclare chef de l’État ; 2. A lui reviennent des pouvoirs absolus, législatifs et exécutifs (y compris la nomination et la révocation des ministres) ; 3. non pas la suppression du Sénat et de la Chambre des députés mais leur ajournement (ce qui revient au même) « jusqu’à nouvel ordre ». 4. Rétablissement du delphinat (le dauphin nommé est Laval).

     

    (à suivre)  

     

     


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