• 2021-12 SD et RSHA

    Séance 12

    INSTITUTIONS ET MILICES DE LA GUERRE NAZIE (5)

     

     

    Pour le dernier envoi de cette année, je termine le tour d’horizon par lequel je voulais définir et situer les principales instances nazies (polices, organes d’espionnage et de sécurité, milices et autres groupements agonistiques) ayant été consacrées à la guerre contre la population allemande et les groupes ou personnes inassimilables par la « communauté raciale populaire » des Allemands (la Volksgemeinschaft). Voici donc quelques points de repère d’abord sur le SD, le Sicherheitsdienst, le Service de « sécurité » (ou « sûreté ») (…) du parti nazi, ensuite sur le RSHA, le Reichssicherheitshauptamt, Office central de la sécurité du Reich. Je poursuivrai plus tard par les Einsatzgruppen, les équipes spéciales autrement nommées par Raul Hilberg les « équipes mobiles de tuerie » (dans La destruction des Juifs d’Europe…, op. cit.), ce qui nous fera entrer dans le dur le plus sordide des pratiques nazies génocidaires.

    Je rappelle un élément de contexte essentiel : quand Himmler est nommé chef de la police d’État pour tout le Reich, en 1936, il fusionne la police d’État avec les SS. Les SS entrent dans la police et les fonctionnaires de police sont admis dans la SS - sauf les policiers sans qualification. Alors les camps de concentration passent sous le contrôle des SS, tandis que la Gestapo, dominée par les SS, se développe dans toute l’Allemagne (même avec des effectifs réduits).

    Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, Himmler est devenu préfet de police à Munich et il a placé Heydrich à la tête de la section politique de cette préfecture. Puis Himmler est nommé responsable politique au ministère bavarois de l’Intérieur (toujours le Land où se trouve Munich : la Bavière. Il y a 16 Länderpolizeien en tout) et chef de la police politique. Il est alors secondé et représenté par Heydrich. A ce moment, le nombre de prisonniers envoyés à Dachau ne cesse d’augmenter ! Himmler et Heydrich vont ensuite étendre à toute l’Allemagne le système mis en place par eux en Bavière.

     

    1) Voici maintenant l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur le SD (je rappelle par la même occasion ce que j’ai déjà eu l’occasion d’exposer, notamment en 2020, séance 4).

    A) J’ai indiqué que le SD,  émanation du Parti nazi, a été conçu en 1931 par Heydrich comme un service de renseignement SS. Le SD a mission fondamentale de repérer et éliminer les informateurs autrement dit les ennemis introduits dans ce Parti, ceux qui seront plus globalement définis comme les « ennemis de l’État  ». Ensuite, le SD, qui aura été un des acteurs de la « Nuit des longs couteaux » (l’élimination physique des principaux chefs de la SA, le 30 juin 1934), deviendra l’« organisation politique de défense de la Gestapo ». C’est dire le lien très étroit du SD et de la Gestapo, les deux grands piliers de la terreur nazie… C’est ce qu’il faut retenir. Lors de la guerre, le SD aura surtout une activité de contre-espionnage, pour débusquer et réprimer les actes anti-nazis et les menées anti-allemandes dans tout le Reich et à l’étranger quand le problème se posera, dans les territoires occupés.

    Selon S. Friedländer (L’Allemagne nazie et les Juifs…, t 1, op. cit., p. 199), pour comprendre ce phénomène policier, il faut d’abord saisir le rôle fondamental du décret du 17 juin 1936 qui place Himmler à la tête de toutes les forces de police allemandes. Pourquoi ? Parce que, je viens de le rappeler en parlant d’une « émanation du Parti nazi », ce décret fait de cette police un organe qui ne relève plus de l’autorité de l’État Très peu de temps après d’ailleurs, le 26 juin, Himmler sépare deux commandements : il y aura d’un côté la police de l’ordre (Ordnungspolizei) avec toutes les polices en uniforme, dirigée par Kurt Daluege, et d’un autre côté la police de sécurité (la Sicherheitspolizei ou Sipo) qui comprend la police criminelle ou Kripo ainsi que la Gestapo, dirigée par Heydrich . Le SD devient donc le service de sécurité de la SS. En principe les forces de police relèvent du ministre de l’Intérieur, et à ce moment Himmler est encore sous l’autorité de ce ministre, Wilhelm Frick.

    Pour Heydrich la police s’étend à toutes les manifestations de la vie des gens et de la nation allemande (ce qui confirme le bien-fondé de mon hypothèse d’après laquelle les nazis inquiètent la totalité de la société allemande). La police, dans cette perspective a une sorte de dimension éducative, de prévention et de lutte contre les idées néfastes. D’où sa qualification de police... « secrète ».

    Tout ceci caractérise par conséquent très bien le SD comme un service permettant de repérer et de déjouer des ennemis, d’abord les agents infiltrés dans le Parti - lesquels furent d’ailleurs les premiers à être envoyés dans le camp de Dachau dès sa création en 1933 (camp que va diriger Theodor Eicke, futur Inspecteur général des camps de concentration). Constituée dans ce sens, la police politique ne pouvait plus s’assujettir aux lois ordinaires de la cité… Au début, le SD avait aussi pour mission de recueillir des informations sur les dirigeants nazis ; ensuite, comme relevant de la SS,  il devint le centre de renseignement de la Gestapo (« organisation politique de défense de la Gestapo » dit Himmler en juillet 1934).  Finalement, en 1939, la SS et les différentes polices furent regroupées dans le RSHA (dont je vais très bientôt parler). C’est à ce moment que les nazis et les SS, qui contrôlaient déjà toutes les forces de police, créèrent la police de sûreté, la Sicherheitspolizei dite Sipo, en regroupant la traditionnelle Kripo (politique criminelle) avec la nouvelle Gestapo (ensuite, en 1939, avec la création du RSHA Sipo et SD fusionneront à leur tour, pour engendrer le Sipo-SD ; et alors, puisque Heydrich conservera la direction du SD, il sera donc « chef de la SIPO et du SD » (cf. J. Delarue, Histoire de la Gestapo, op. cit., p. 247).

    Après l’accès au pouvoir en 1933, il devient évident que le SD n’a plus tellement besoin de s’intéresser aux autres partis (qui vont disparaître). En conséquence, le SD fonctionne comme une sorte de police d’appoint (dit H. Höhne, L’ordre noir, op. cit., p. 125). Cependant, les dirigeants du SD étant en réalité peu enclins à servir seulement de force d’appoint à la Gestapo. Or c’est ce qui va leur réussir : on verra alors les informations affluer à leur siège. L’ombre du SD sera présente un peu partout (dit H. Höhen, idem, p. 126). Bref, le 4 juillet 1934, Himmler définit le SD en tant qu’ « organisation politique de défense de la Gestapo » ; et six mois plus tard, Himmler donne pour objectif au SD de démasquer « les adversaires de l’idée nationale-socialiste », ce qui, poursuit Himmler, demande que le SD oriente l’action de la police (qui conserve le côté exécutif de la répression, par différence avec le renseignement).

    Vous voyez la toile se tisser ?

    Au début de son existence, le SD, comportait quelques dizaines d’hommes seulement ; mais en 1939 il aura un effectif beaucoup plus important, ayant à sa solde des milliers d’espions et des dizaines de milliers d’informateurs. Dès 1937 il comporte 3000 membres et 50 000 informateurs. Pour ce service travaillent alors de nombreux agents, tandis qu’on cherche à recruter des instituteurs, des vétérinaires et fonctionnaires à la retraite, des propriétaires terriens. On recourt aussi à des juges, des entrepreneurs, des artistes, des savants… Par exemple, en 1938, la section SD de Coblence comporte 24 bénévoles parmi lesquels 4 universitaires, 8 fonctionnaires dont 4 de police, 1 médecin, 1 instituteur, 1 vétérinaire.

    J’ai aussi parlé de la structure institutionnelle du SD (cf. Serge Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs en France, 1940-1944, Paris, éditions des FFDJF, 1993 ; ainsi que H. Höhne, L’ordre noir..., op. cit., le chapitre VII ; et aussi Fabrizio Calvi et Marc J. Masurovsky, Le festin du Reich, Le pillage de la France occupée, 1940-1945, Paris, Fayard, 2006). J’ai indiqué que l’Office central, le SD-Hauptamt, fut divisé en sections centrales, des Zentralabteilungen. La section I 3 surveillait la presse et de l’édition ; la section I 3 1 s’intéressait plus spécialement à la presse écrite ; la section I 3 2 constituait une bibliothèque relative à la franc-maçonnerie, à la sorcellerie et à la magie noire. Quant à la section II 1, elle était une officine de renseignements sur les ennemis politiques et idéologiques du Reich. Ces précisions doivent faire apparaître non pas seulement le déploiement d’une bureaucratie complexe, mais aussi, dans cette perspective, la volonté nazie de quadriller la totalité de l’espace culturel et idéologique du territoire surveillé, aussi bien Allemand qu’européen, sans rien laisser au hasard,...

    En 1937 Le « docteur » Franz Six, 29 ans, professeur, est chef de la section II 1 ; ensuite il dirigera le bureau central ou II 2. A ce moment, le bureau II-1 1 est dirigé par Helmut Knochen, âgé de 27 ans, lui-même ayant sous ses ordres Herbert Hagen, âgé de 24 ans, plus particulièrement chargé de diriger le bureau II-1 1 2, dédié aux « affaires juives ». Hagen, qu’on verra en France avec ses supérieurs (en partticulier le redoutable Kurt Lischka), étudie c’est-à-dire se renseigne sur les activités des organisations juives sionistes ou assimilatrices en Allemagne ou à l’étranger. En Allemagne, à Berlin, sous les ordres de Hagen, le SD anime encore deux sous sections : l’une,  dirigée par Dannecker, se charge des Juifs assimilés, et l’autre, confiée à Eichmann, est chargée d’étudier de près le sionisme (raison pour laquelle Eichmann et Hagen se rendront en Palestine en 1937 pour parfaire leur connaissance dans ces domaines). Quadrillage policier, encore une fois : surveillance et contrôle de la vie mentale des populations. A Paris, Dannecker, exécutant zélé de la pratique anti-juive, sera le maître intraitable du camp de Drancy, organisant les déportations du printemps 1942...

    En France, pendant l’Occupation, je l’ai dit (cf. cours 2020 séance 4), on a la plupart du temps parlé des activités de la Gestapo ; mais en réalité, la terreur qui s’abattait sur les Résistants et les Juifs provenait aussi bien du SD…

     

    B) A l’origine, en 1931, Hitler demanda à Himmler d’organiser dans la SS un service de renseignement, c’est-à-dire d’espionnage, donc un service chargé de la sécurité sur le modèle de ce qui existait déjà dans la SA (je redis en outre qu’en 1936, Himmler, Reichsführer, c’est-à-dire presque maréchal, est à la fois le chef des SS et le le chef de la police). C’est donc la mission confiée à Reinhard Heydrich. Ce dernier avait été officier dans la marine ; il avait déjà une compétence dans le domaine de l’espionnage et il venait d’être congédié de la marine de guerre pour une faute commise contre le code d’honneur (de quoi s’agissait-il ? Je n’ai pas trouvé la réponse à cette question...).

    Heydrich a rencontré Himmler en juin 1931, et il a été intégré à l’état major SS le 5 octobre, comme Sturmführer, pour créer ce service d’information, le SD, qui devait être et sera bel et bien opérationnel sur tout le territoire. Après voir été en fonction dans la marine, Heydrich entre donc en fonction auprès d’Himmler et dans la SS le 1er octobre 1931, d’abord à un grade modeste, puis à des grades de plus en plus élevés, jusqu’à être nommé Oberführer SS, général, en mars 1933). Je rappelle également que c’est son prénom, Reinhard, qui devint le nom de code de la destruction des Juifs polonais (Aktion Reinhard), car Heydrich avait été exécuté (quoique difficilement), par deux hommes de la Résistance Tchèque, et il était mort des suites de ses blessures le 4 juin 1942, à Prague.

    Pour comprendre le contexte institutionnel de ces transformations et leur évolution, il faut aussi tenir compte des conflits existant à l’intérieur de la sphère nazie, après la prise du pouvoir (je suis ici l’analyse d’H. Höhne, dans L’ordre noir…, op. cit.). A ce moment, l’élite dirigeante du Parti s’empare des postes désormais accessibles dans l’État, tandis que les petits chefs des provinces piaffent, si j’ose dire, et entrent en rivalité. C’est alors que le Parti demande au SD de déjouer les intrigues locales, moyennant quoi, en  juin 1934, Rudolf Hess proclame que le SD est désormais le seul service officiel d’information du Parti nazi. En fait, dans cette période, le SD devient le lieu où se côtoient des intellectuels gagnés à la cause du national-socialisme, mais qui veulent infléchir cette politique. Contre l’esprit de la République de Weimar, ils rêvent d’un « État -dieu » auquel tous les sacrifices seraient dus et à la tête duquel régnerait un homme exceptionnel. Et ces jeunes nazis entendent bien prendre l’ascendant sur les vieux du Parti ; c’est la raison pour laquelle ils considèrent le SD comme une intéressante opportunité (et s’ils sont antisémites c’est aussi parce qu’ils sont hostiles aux trusts et aux banques - qu’ils assimilent aux Juifs). Exemple : Otto Ohlendorf, né en 1907, qui a adhéré en 1925, puis, alors qu’il est professeur à l’institut d’économie mondiale de Kiel, s’est opposé aux doctrines d’inspiration collectiviste qui ont droit de cité dans le Parti (on le trouvera à la tête d’un Einsatzgruppe lors de l’invasion de l’URSS). Après lui, à sa suite, entrent au SD des hommes comme Gunther d’Alquen, Walther Schellenberg, docteur en droit et en sciences politiques, et Hermann Behrends, docteur en droit. Avec eux Heydrich a sous la main des gens qui s’affranchissent de la tradition administrative prussienne qui règne à la Gestapo. Or, à l’inverse, Werner Best défend cette tradition, si bien qu’il s’oppose à Heydrich, moyennant quoi ce dernier trouve la solution de scinder le SD en deux, avec : 1) un axe de formation du Parti dans lequel tous les fonctionnaires de la SIPO seront intégrés, et ce sera l’outil d’intégration de toute la SIPO à la SS ; et 2) le service de renseignement, conçu comme un organe capable de s’immiscer dans tous les recoins de la société, chez le partisan comme chez l’opposant (ceci explique l’hostilité de Best quand le SD se mêlera des affaires de la Gestapo).

    Pour voie une idée concrète des pratiques ordinaires des espions du SD, voici quelques exemples (toujours cités par H. Höhne). D’abord un rapport du SD n° 037 sur la région de Cologne, où est notée la situation délicate du national-socialisme à cause de l’Église catholique, qui est influente. Autre exemple, un rapport de l’Obersturmführer SS Grillenberger du 26 janvier 1938 . Ce SS a surveillé le « Retour d’Italie du paquebot Der Deutsche », et il a noté que « Le passager Frtitz Schwanebeck, né le 30 mars 1901, demeurant à Muckenberg, a manifesté par son attitude et sa tenue négligée la plus parfaite indifférence lorsque l’Hymne national a retentit ». Et encore ceci, très significatif : lors des élections de 1938, on a mis des chiffres invisibles avec des machines à écrire sans ruban sur les bulletins envoyés, et après le vote, on a donc pu faire apparaître les chiffres en passant du lait écrémé. Il était même possible d’identifier la personne à partir des numéros des listes électorales…

    Bien sûr, les hommes du SD s’occupent aussi de voir si certains nazis n’auraient pas des ascendances juives...

    Voir Szymon Datner, Janusz Gumkowski et Kazimierz Leszczynski, Le génocide nazi 1939-1945, éditions : WYDAWNICTWO ZACHODNIE, Warszawa – Poznan, 1962. Un livre (j’y reviendrai) qui montre l’implication du SD dans la constitution et les activités des équipes de tueurs - en Pologne dans ce cas.

    L’action de propagande fut confiée à Gunther d’Alquen, l’ancien rédacteur du journal Der Angriff, à Berlin, qui avait été évincé, mais que l’on retrouve à la tête du Bulletin SS, Das Schwarze Korps, (journal des  Schutzstaffeln du NSDAP, « organe de la Reichsführung SS » : 1ère parution, le 6 mars 1935, avec 40 000 exemplaires ; mais 500 000 1937, et 750 000 pendant la guerre. Cette feuille passe à l’époque pour être une sorte de journal d’opposition, si l’on peut dire, car les auteurs se consacrent à une critique de la bourgeoisie, des Juifs, de l’Église, contre lesquels ils prononcent des réquisitoires. De ce fait certaines personnalités sont accusées, par exemple, de corruption. Ce journal, qui semble avoir séduit de nombreux Allemands, avait accès a tous les dossiers du SD (mais un SS comme Ohlendorf va ensuite entrer en conflit avec cette publication et il va dénoncer des faits rapportés qu’il estime erronés, voire fallacieux…).

     

    2) le RSHA.

    Le RSHA est créé par la fusion de la Sipo et du SD (qui relève du parti nazi, je le répète). On a alors un Sipo-SD (et c’est lui qui sera actif notamment contre les Juifs dans les pays occupés). H. Höhne, toujours dans L’ordre noir, op. cit (p. 129), souligne le fait que les deux organismes, Gestapo et SD, avaient les mêmes missions et le même un désir d’expansion à tout le territoire. A cause de cette similitude, ils pouvaient donc se paralyser ; et c’est précisément la situation que le RSHA entreprenait de surmonter. Cela étant, plusieurs historiens ont remarqué que la concurrence était typique de l’organisation politique et institutionnelle nazie, parfois totalement confuse à cause de cela.

    Résumons. Créé le 27 septembre 1939, donc dès le déclenchement de la guerre, le RSHA, nommé parfois « ministère de la terreur », regroupait sous la houlette de Heydrich différents service de police et d’espionnage (cf. Henri Michel, Paris allemand, Paris, Albin Michel, 1981, p. 74). Toujours sous la direction de la SS.

    A nouveau, je rappelle quelques acquis sur ce sujet. (cf. la séance 11 de cette année). Associer les police et la SS pour en faire un seul organe de sécurité, c’était un but essentiel d’Himmler et Göring. Avant cela, je l’ai dit, il y a déjà eu des regroupements. Notamment, la SIPO a rassemblé la Gestapo et la Kripo ; et le service de l’Ordnungspolizei, l’Orpo, a rassemblé la Schutzpolizei ou Schupo, la gendarmerie et la police communale – le tout placé sous les ordres de Daluege, Obergruppenführer SS et général de la police.

    En 1939, lors de sa création, le RSHA, qui regroupe donc tous les services de police, comporte 7 sections ou bureaux, des ämter (pluriel de Amt). Ces 7 divisions sont les suivantes : Amt I : personnel ; Amt II : administration et économie, donc qui gère les fonds, avec pour directeur Joseph Spacil ; Amt III : SD Inland, Reich und Volk Deustchen (Allemands de souche), direction Otto Ohlendorf (le revoilà) ; Amt IV : Gestapo, dirigée par Henrich Müller ; Amt V : Kripo ; Amt VI : SD Ausland (espionnage politique à l’extérieur du Reich) dirigé en 1941 par Walter Schellenberg ; Amt VII : documentation et conception du monde. Ceci vaut pour l’appareil central à Berlin - alors que dans les régions le RSHA se divise en fonction des types de secteurs auxquels il est affecté : il y en a trois : celui du Reich, celui des territoires occupés, et celui des zones envahies où œuvrent les tueurs des Einsatzgruppen.

    Dans cette nouvelle structure se retrouvent les mêmes responsables SS que nous avons déjà rencontrés : dans le département VI, pour les renseignements à l’étranger, Hagen se consacre au VI-N (judaïsme et antisémitisme). Ce qui était le II-B-4, service des affaires juives de la Gestapo, devient le IV-B-4 et est le service que va diriger Eichmann et non plus Lischka et où Dannecker sera intégré de fin septembre à fin décembre. C’est dans ce cadre que Dannecker se rendra en Pologne, afin de donner corps au projet de réserve juive (c’est-à-dire de déportation des Juifs) de Nisko, près de Lublin.

    Le RSHA est dirigé par Heydrich, puis Kaltenbrunner, et les fonctionnaires de l’ancienne police sont intégrés dans les SS. Comme dit au total H. Michel (Paris allemand, op. cit., p. 75), le RSHA, fur «  la plus formidable concentration policière jamais instituée » En dehors, il ne reste que les unités de renseignement et de sécurité de l’armée. Certes, mais au sens d’un organe militaro-sectaire, comme je le suggère.

     

    Une rapide et provisoire conclusion :

    Qu’est-ce que je veux montrer en évoquant ces instances de guerre contre la population allemande ? Ceci que j’ai amorcé en introduction : si tout État est créateur de la citoyenneté, au contraire, l’État nazi (ce qu’il en reste, je le redis) commence par priver de citoyenneté une partie de sa population - les Juifs et bien d’autres (les socialistes, les communistes, les homosexuels, les marginaux et les « indésirables », etc. : donc des groupes désignés comme étant a priori hostiles, ennemis potentiels et actuels). Comment ceci s’opère-t-il ? Par le moyen de la répression d’une part, mais aussi par des moyens légaux, dès lors que les lois mettent en avant un critère racial indispensable pour bénéficier de la citoyenneté… (d’où les « lois de Nuremberg », de 1935). J’irai même plus loin en posant que là réside une véritable négation de toute politique démocratique, négation qui s’effectue au profit du crime. Logiquement, comme H. Arendt à pu l’établir, le nazisme ne pouvait que déboucher sur l’instauration d’un droit de tuer

    Il est vrai qu’une grande partie de la population allemande n’était pas visée… mais à la condition que les personnes concernées soient bien conformes à ce qui était attendu de l’Allemand moyen, le bon aryen, le Volkdeutsch (Allemand de souche), ou Treuedeutsch (Allemand fidèle), etc., comme il est répandu par la propagande et inculqué dans les écoles. Mais ceci n’était pas valable pour les populations des pays conquis. Comme le note I. Kershaw (La fin : Allemagne, 1944-1945, Paris, Seuil, 2012, p. 276) : avec la guerre, la répression touche les populations conquises, mais aussi, de plus en plus, à l’intérieur, les gens qui montrent les moindres signes de non conformisme. Est donc instauré un climat de terreur. Résultat (idem, p. 277) : « Le régime devenait de plus en plus dangereux pour ses propres citoyens ».

    Même avant la guerre, on en a un exemple avec les jeunes gens hostiles à l’embrigadement, notamment dans la Hitlerjugend. Je pense notamment aux Swingkids, ceux qui ont montré leur opposition en se réclamant du jazz (musique américaine honnie par les nazis car jugée « décadente »). Ces jeunes gens ont adopté des styles vestimentaires, des attitudes physiques, etc., opposés à la discipline des Hitlerjugend. C’est eux qui rythmaient sur un air de swing « treuedeutsch, treuedeutsch, treuedeutsch »)… Mais… ils ont, fini par être envoyés dans des camps spéciaux comme celui de Moringen, pour « haute trahison ».


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