• 2022-1 Lois de la violence nazie

     

    séance 1

    INSTITUTIONS ET MILICES DE LA GUERRE NAZIE

    (Suite 6) Lois de la violence nazie

     

    Avant de reprendre mon exposé, je signale un document de l’INA relatif au procès d’Auschwitz (Francfort, 1963-65) qui montre d’anciens interviews tout à fait intéressants, en particulier celui de Germaine Tillon, déportée à Ravensbrück. Intéressants justement parce qu’ils sont assez anciens maintenant. Bouleversants et très pudiques à la fois.

    Au passage, soyez sensibles à la qualité du langage des personnes interviewés et de l’homme (je ne sais pas qui), qui les interroge.

    https://www.youtube.com/watch?v=GYS9AMzLhyI

     

    Aujourd’hui je voudrais développer et compléter un peu mes analyses des phénomènes de violence enclenchés, en Allemagne d’abord, par les nazis.

    Je rappelle que mon projet consiste à analyser la fureur nazie, en particulier la fureur antisémite. Pour ce faire, j’ai adopté une hypothèse de description (cf. 2021 séance 12, conclusion). Cette hypothèse suggère qu’il y a de la part des nazis, en direction de la société allemande et plus largement des sociétés européennes, non pas tant une politique qu’une guerre - et en l’occurrence une guerre raciale. Cette guerre (civile) consiste dans un ensemble d’action de contrôle et de sélection d’une part, et ensuite, d’autre part, des actions d’extermination des fractions de la population que la sélection a considéré impossibles à intégrer à la « communauté raciale populaire », la Volksgemeinschaft.

     

    1)

    J’ai évoqué à la fin de l’an passé les principales instances de combat nazies, les structures agonistiques que furent la SS, la Gestapo, la Sipo, le SD, le RuSHA… Je vais bientôt en venir aux Einsatzgruppen, les « équipes spéciales » (« équipes mobiles de tuerie » disait Raoul Hilberg), qui furent les groupes de tueurs envoyés dans les territoires conquis ou en voie de l’être avec mission de liquider toute personnes susceptible (donc seulement soupçonnée) de vouloir s’opposer à l’armée allemande, à commencer, bien évidemment, par les Juifs, ainsi que les responsables politiques du parti communiste d’Union soviétique. Bilan, environ 1,5 millions de meurtres ! Depuis longtemps, on appelle ce système d’assassinats « la Shoah par balles ». L’abbé Patrick Desjeux, qui a récemment enquêté sur ces meurtres, a repris cette expression et en a fixé le sens dans la mémoire collective.

    Dans un premier temps, j’ai donc voulu présenter les moyens utilisés par les nazis pour effectuer ces opérations de tri - dont je redis que ce sont des actions de guerre, puisque cherchant à éliminer les groupes concernés. Je souligne que cette guerre est menée par des instances policières et militaires, notamment la SS (qui s’associent parfois des supplétifs civils, comme purent le faire les chefs des Einsatzgruppen après qu’ait commencé l’invasion de l’Union soviétique). J’insiste en ce sens sur un fait capital, à savoir qu’en 1936  Himmler est nommé « chef de toutes les polices allemandes », si bien que lui et la SS prennent le contrôle de ces polices. Ensuite, Police criminelle et Police politique vont être réunies dans la SIPO, qui devient le moyen essentiel de la guerre menée contre la société. Autre événement significatif : le 1er septembre 1939, en même temps que commence la guerre contre la Pologne, le Sicherheitsdienst, SD (service de sécurité, primitivement consacré au renseignement à l’intérieur du Parti nazi) et la police de sûreté sont finalement regroupés dans le RSHA, le « ministère de la terreur ». Et à dater de là, sous le motif de la sûreté (ou sécurité) de l’Etat, c’est en fait la sûreté d’une grande partie des citoyens allemands qui vole en éclats. Même ceux qui, parmi ces personnes, sont et se ressentent en sécurité à un moment donné, peuvent devenir le moment d’après suspects donc menacés s’ils dévient de la ligne officielle (cf. par exemple, les personnes accusées de défaitisme : elles furent exécutées, fusillées, pendant et surtout vers la fin de la guerre)...

    Après la guerre de 14, en Allemagne, l’activité politique des partis comporte une dimension d’attaque et de défense contre les autres partis. Les nationalistes contre les communistes, les sociaux-démocrates, etc., et tout cela se traduit par des combats de rue sauvages, sanglants. On peut aussi penser aux Corps francs, mobilisés lors de la révolution de 1918 et 1919 pour s’opposer aux tentatives communistes (spartakistes) de prise du pouvoir ; on peut aussi penser au putsch manqué d’Hitler à Munich en 1923, etc. A Nuremberg, en 1946, Göring évoque d’ailleurs les « troupes de combat » dont disposaient les grands partis… Le niveau de violence dans la société allemande entre 1920 et 1939 est une donnée très importante pour expliquer les passages à l’acte antisémites, et ce niveau est très haut…

    Mais si le niveau de violence est très élevé dans la société allemande dès la fin de la guerre de 1914-18 , on peut toujours trouver qu’il en allait de même dans les anciennes sociétés. Voir l’exemple des collèges d’Ancien Régime dont j’ai traité jadis, où certains élèves venaient en classe armés de leur épée et prêts à dégainer, y compris contre leur maîtres… Cette éventuelle similarité est cependant assez fausse. Donc, à la question : qu’a de spécial l’époque pré-nazie et nazie ? on doit répondre : c’est une autre pratique de la violence , car il s’agit d’une violence organisée contre les pratiques démocratiques de la délibération et de l’échange d’arguments. L’organisation de cette violence est le courant pratique fondamental du nazisme qui réunit des groupes militarisés lesquels, d’après leur loi, agissent en groupe. Je parle ainsi, en accord avec M. Aycard et P. Vallaud (Allemagne, Troisième Reich, op. cit., p. 83) d’un « esprit soldatesque » qui a, parmi ses origines évidentes, la camaraderie dans les tranchées de 14-18, le Fronterlebnis, l’expérience du front. C’est sur cet esprit qu’est basé non seulement le succès des formations paramilitaires (S.A., etc.), mais aussi je l’ai assez évoqué, celui des mouvements de jeunesse.

     

    Remarque

    Un mot sur l’idée weberienne bien connue d’un monopole étatique de la violence légitime. C’est l’idée, d’une part, de la réduction maximale de la violence dans la société, et d’autre part, surtout, d’après le mot « légitime », l’idée d’un usage limitatif, par l’Etat, de la violence, pourvu que cet usage s’oppose aux actes de violence meurtrière pouvant avoir lieu dans la société. Partant de ces définitions, il est facile de constater que les nazis ont agi en sens contraire en dotant l’État d’une fonction violente et meurtrière ayant pour but, en plus, de rouvrir un circuit de violence en lieu et place de la politique.

     

    Au cœur du nazisme, dans ce qu’il y a de plus concret, sensible, donc observable indépendamment de toute catégorie politique, il y a donc des pratiques de combat. Au risque de me répéter, je dirai que les nazis ont essentiellement le désir d’user de moyens violents avec le meurtre pour finalité. Les SA sont formés à ces pratiques (ceci figure dans l’acte d’accusation des nazis au procès de Nuremberg), c’est leur vocation. Dès l’origine du mouvement, dans les années 1920, les milices nazies ont pour tâche de tenir le haut du pavé dans les rues et les meetings, de façon brutale, sans lésiner sur les moyens violents (cf. C. Bernadac, La montée du nazisme…, op. cit., p. 104. Ceci est également mentionné par Ph. Burrin (Ressentiment…, op. cit., p. 68), qui parle d’une « radicalisation » à partir de 1939. Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille situer ces pratiques de violences dans le seul contexte de la guerre déclenchée en 1939). Je précise à ce propos que la guerre et l’expérience de la mort de masse, la « brutalisation » comme dit G. Mosse, augmentent la familiarité avec le meurtre (le fait de tuer est dépourvu de toute culpabilité et au contraire on entoure le meurtre d’un fort sentiment de légitimité), mais ne l’expliquent pas à elles seules. Je n’en dirai pas plus sur ce point ; car c’est ce que je tente de montrer dans un essai - encore inédit- intitulé Violences et meurtres de masse. Le nazisme dans l’histoire des violences collectives). Retenez juste que la différence entre France et Allemagne doit être prise en compte de telle sorte qu’on ne néglige pas le fait que la haine des vainqueurs est retombée avec la victoire, alors que c’est l’inverse pour les vaincus, qui ne peuvent que régurgiter indéfiniment leur haine de ceux qui les ont défaits...

     

    2)

    Associé à l’action violente de ces groupes militarisés, il y a en plus le fait que cette action s’effectue sans aucun contrôle légal, ou s’effectue indépendamment d’un contrôle juridique comme celui qu’aurait pu effectuer une instance judiciaire. En réalité, les pratiques nazies de violence créent un conflit avec la justice et le droit, et l’emportent sur ces derniers. Il y a d’ailleurs pendant toute cette période des exemples nombreux et marquants de victoire du « militaire » (au sens large) sur le juridiciaire. Exemple : le jeune communiste massacré par 9 SA à coups de pied, lesquels SA, seront finalement graciés... après avoir été condamnés à mort… Ce genre de combat létal survient à l’occasion des campagnes électorales de 1932, entre la présidentielle de mars et avril, où Hitler arrive deuxième derrière Hindenburg, et la campagne du 31 juillet, les élections au Reichstag. Dans cette période, les combats de rue font des dizaines de morts (une centaine rien qu’en Prusse). Les SA et les SS, d’abord interdits, sont de nouveaux autorisés ; et en l’occurrence, si les SA inculpés sont soumis à un procès puis condamnés à mort (une loi avait été votée en ce sens), ne passant au total que quelques mois en prison, c’est Hitler qui parviendra à les faire gracier. Ainsi est progressivement instauré un véritable droit de tuer, ce qui serait, comme disait H. Arendt, le « nœud moral » du nazisme (cf. La nature du totalitarisme…, op cit., p. 73).

    Bref, la justice allemande s’est peu à peu pliée aux nouvelles exigences nazies. Ceci répondait du reste à un véritable plan, comme on le constate à lire le Journal de Göbbels, qui, à la date du 18 mars 42, restitue ainsi un raisonnement du Führer : « La justice ne doit pas régir la vie de l’Etat ; elle doit servir la politique de l’Etat ». A quoi Göbbels ajoute ce commentaire assez révélateur de l’asservissement progressif de la justice au profit de la seule décision du Chef (omniscient et infaillible) :

     

    « Pour pouvoir intervenir dans tous les secteurs de la vie civile et militaire, le Führer aimerait se faire donner des pleins pouvoirs spéciaux par le Reichstag, afin que les fauteurs de troubles sachent qu’il est couvert à tous égards par la volonté populaire. Il a donc l’intention de convoquer sous peu le Reichstag afin d’en obtenir des pouvoirs illimités lui permettant d’agir contre les saboteurs et surtout contre tous ceux qui, occupant des fonctions publiques, négligent les devoirs de leur charge. » (Le journal du docteur Goebbels, Paris, 1949, p. 118).

     

    La violence dont je parle (à commencer par celle qu’exige le Führer de la part de ses troupes) a donc ceci de très particulier, qui pourrait par ailleurs justifier la notion de « totalitarisme », qu’elle entraîne une mise à l’écart du droit et la création d’un droit nouveau.

     

    3)

    Une autre caractéristique essentielle des pratiques nazies de violence c’est que d’un côté elles se produisent au nom du Volk, peuple et race, qui sont un support symbolique et réel de l’action violente systématique et permanente, cependant que d’un autre côté elles se dressent aussi bien devant les citoyens, quels qu’ils soient. C’est pourquoi Ernst Nolte, tenant compte de cette division essentielle, a parlé d’une guerre civile. A ce titre, on peut également parler d’un système (étatique) de terreur.

    Sur le plan pratique, un tel système fonctionne quand la violence, exercée par des forces policières et militaires, ou miliciennes, devient :

    1. paroxystique, donc ne connaît plus comme moyen d’agir et de parvenir à ses fins que la mise à mort des ennemis, moyennant quoi le citoyen lambda est confronté à la menace permanente d’être tué, un risque maximal pour tout un chacun.

    2. de surcroît, comme suggéré à l’instant, les personnes visées en tant « ennemis », peuvent être n’importe qui : tout le monde peut entrer dans la catégorie des gens à éliminer… Alors, la violence peut atteindre toute personne sans préférence pour certaines. Nul n’est à l’abri pour toujours. Le soupçon et la suspicion s’exercent de façon très large, et une simple dénonciation, voire une simple rumeur, par exemple une lettre anonyme, peuvent déclencher les foudres prévues. Dans un système simplement autoritaire, il reste quand même l’idée que certaines catégories ne sont pas a priori soupçonnables si l’on peut dire, donc qu’il y a des frontières, même étroites, même fragiles, qui protègent des bons sujets, qui sont ici des allemands de souche, des personnes bien disposées à l’égard des nazis, des Völkisch, etc.. En revanche, dans le régime de terreur, par différence avec ce que je viens d’appeler un système simplement autoritaire, toutes ces frontières sont abaissées, et plus personne ne peut se réfugier derrière une qualité protectrice. Les proches du pouvoir y compris. Car même une toute petite déviation peut avoir des conséquences mortelles rapides (cf. I. Kershaw, La fin…, op. cit., le chapitre 6, « Le retour de la terreur »). C’est ce qui se passe à la fin de la guerre lorsque Hitler prend fameux décret qui prescrit une politique de « terre brûlée », donc qui envisage de détruire les ressources allemandes, usines, etc., fin de ne pas les abandonner aux ennemis et aussi parce que le peuple allemand n’a pas été à la hauteur du Reich de mille ans… ( ce décret ne sera pas appliqué).

    En fait, parmi les sources de la terreur ainsi comprise et pratiquée, il y a le principe que la guerre est un idéal de vie, et que cet idéal se réalise concrètement dans la nouvelle guerre (cf. Kershaw, Hitler..., op. cit., p. 219) Pour Hitler, explique Kershaw, la guerre a quelque chose d’absolu, et tel est l’accomplissement de sa « mission ». C’est ce que les nazis appellent la « loi de fer » du combat entre les peuples (cf M. Broszat, L’Etat hitlérien, op. cit., p. 444 ; et p. 445 qui affirme que le nazisme revient à son « véritable élément » dans le combat, dans la guerre). On a bien là la logique de base qui soutient et oriente toute l’entreprise nazie, depuis le début, dès les années 20.

    4)

    Sous quel concept de la domination peut-on ranger de manière synthétique ces faits de violence ? Pour répondre à cette question, je me réfère à un discours d’Auguste Champetier de Ribes, prononcé lors du procès des principaux dirigeants nazis, à Nuremberg (procès qui s’étala sur un peu plus d’un an, de septembre1945 jusqu’en octobre 1946). Champetier de Ribes, résistant, homme politique qui fit partie des 80 députés n’ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, arriva à Nuremberg en remplacement de F. de Menthon, qui avait démissionné après que le Général De Gaulle ait quitté le pouvoir. Et voilà ce que dit Champetier de Ribes au moment de prendre la parole :

     

    « Le crime de ces hommes est essentiellement d’avoir conçu le plus gigantesque plan d’une domination universelle et d’avoir voulu le réaliser par tous les moyens, c’est-à-dire sans doute par la violation de la parole donnée et par le déclenchement des pires des guerres d’agression, mais surtout par l’extermination méthodique, scientifique de millions d’êtres humains et notamment de certains groupes nationaux ou religieux, dont l’existence gênait l’hégémonie de la race germanique »…

     

    Je cite ce passage parce que je voudrais régler mon analyse sur l’intuition de cet homme (certainement admirable). Ce propos m’intéresse parce qu’il fait apparaître dans le nazisme un projet de domination absolue (il dit : « une domination universelle ») d’un groupe humain sur les autres, voire sur la terre entière. Comment comprendre cela ? Disons que le nazisme aura promu un projet de domination de certains individus, membres d’un groupe (un groupe idéalisé, l’Allemagne, la race aryenne…) : 1° sur les autres individus membres de ce même groupe ; si bien que la domination met en œuvre une logique de soumission à des chefs, ce que réalise la Führerprinzip - qui entraîne dévouement illimité, loyauté envers les maîtres, et ce jusqu’au sacrifice)  ; et 2° sur tous les individus membres des groupes réduits en esclavage. Mais évidemment pas au même titre, puisque seuls les seconds peuvent être visés par cet esclavagisme et les mesures de mise à mort (au profit des premiers).

    Peut-on parler de subordination ? Oui, mais la domination nazie, quand elle a pour but le massacre de masses de populations, ne peut pas être confondu avec une simple situation de subordination. Dans ce cas en effet, on peut penser (voir Simmel, dans Sociologie, op. cit., chap. 3, p. 161) que le désir de domination cherche à briser la résistance intérieure de l’individu assujetti, alors que la subordination vise avant tout, et vise seulement, à empêcher la résistance extérieure. Il s’agit donc bien dans le système nazi d’annihiler la volonté des sujets, ce qui en passe par une condamnation à mort et une exécution toujours possibles, instantanée, facile, ce qui engendre chez les victimes actuelles ou potentielles un sentiment permanent de terreur. Pour atteindre cet objectif, la domination, comme domination absolue, s’appuie évidemment sur le sadisme et la cruauté  des bourreaux. Car le plaisir narcissique est d’autant plus grand que la férocité et le meurtre sont courantes, faciles disais-je, et activés sous n’importe quel prétexte. D’où, aussi, une maîtrise de la vie qui engage une illimitation du pouvoir sur les individus : ce sont les stérilisations obligatoires, l’assassinat des handicapés, le quasi fabrication de bébés dans les Lebensborn… et, dans les camps, des expériences pseudo médicales sur des cobayes humains (amputations, inoculation de maladies, tests mortels, etc.) … Dans les camps d’extermination comme Auschwitz, ceci mène à la condition du « musulman » (d’après le vocabulaire des détenus), qui désigne la phase ultime de l’épuisement et de la souffrance, quand la victime n’ a plus ni volonté ni force de vivre mais n’est pas encore morte. Les médecins nazis des camps seront jugés par un procès spécial à Nuremberg (mais un procès intenté par les seuls américains cette fois).

     

    Remarque

    J’ai évité de présenter des faits subjectivement difficiles à regarder, insupportables. Il faudra quand même en aborder un peu en parlant la prochaine fois des Einsatzgruppen. De même, je ne puis renoncer tout à fait à dire un mot de la cruauté avec laquelle s sont comportés les SS dans les camps. Voici seulement deux ou trois exemples, que j’emprunte au livre de M. Aycard et P. Vallaud (p. 335 et 336), lorsque ceux-ci évoquent la découverte des camps par les armées soviétiques et les armées alliées, en 1945, quelques semaines avant l’écrasement du Reich. Arrivés à Auschwitz, les Russes découvrent des

     

    «‘squelettes ambulants’ qui s’avancent en trébuchant, les fosses, les puits, les tranchées remplis de cadavres, les fours crématoires plein d’ossements calcinés, les douches au zyklon B ».

     

    De même à Buchenwald lorsque, le 11 avril 1945, les américains constatent que le commandant du camp a chez lui deux têtes humaines empaillées. De même encore, lorsque le général Patton entre dans le camp d’ Ohrdruf, près de Buchenwald, et n’en ressort que pour vomir (lui qui est quand même un… dur de dur!), après quoi il forcera les habitants du village (qui prétendent n’avoir rien vu ni su) à venir regarder l’horreur en face. Est-ce cela qui a ensuite poussé le maire et son épouse à se suicider le soir même ?…

    Le 15 avril, à Bergen-Belsen, les britanniques font à leur tour une macabre découverte : des abat-jour et des gants confectionnés avec de la peau humaine...

     

    5)

    Voici maintenant quelques ajouts à mes envois de la fin 2021.

    a) Sur le RuSHA

    Pour le recrutement des SS, Himmler se montra personnellement très attaché au respect du critère racial… C’est la raison pour laquelle il exigea que l’arbre généalogique à présenter au RuSHA par les candidats au recrutement remonte non plus jusqu’en 1850 mais jusqu’en 1750. Il souhaita même que le seuil soit fixé à 1650, quoique dans la pratique, c’est la date de 1800 qui resta seule praticable. Or cette procédure était valable également lorsque les SS désiraient se marier, car dans cette perspective, ils étaient tenus de fournir un dossier sur leur future épouse. Exemple, le 27 avril 1937, Friedrich Menneke, Hauptscharführer (adjudant), médecin qu sera intégré au programme T4 (les assassinats des personnes handicapées), fournit 41 certificats relatifs aux ancêtres de sa fiancée. La découverte et la dénonciation d’ascendances juives devenait une obsession. La femme du général Ludendorff, Mathilde von Kemnitz, fut elle-même, comme certains dirigeants nazis d’ailleurs, soupçonnée d’avoir des ancêtres Juifs.

     

    b) Sur développement des activités anti-juives dans le cadre du SD.

    Je signale comme un autre fait significatif les conférences données par un groupe de soi-disant experts de la « question juive » dans le cadre du SD. Ainsi le 1er novembre 1937, 66 membres du SD, officiers et sous-off pour la plupart furent ainsi réunis à cette fin. La sous-section du SD voulut en outre établir un grand fichier juif sur tous les juifs du Reich et aussi sur ceux estimés influents à l’étranger comme le juge de la Cour suprême américaine, Felix Frankfurter. Ce fichier fut évoqué lors de la conférence du 1er novembre 1937 par le Hauptsturmführer Erich Ehrlinger qui donnait pour but à son activité : « que la lutte intérieure contre les juifs puisse être menée avec succès… ». En 1939, un recensement permit de créer un tel répertoire qui se révélera utile pour les déportations, et qui comportait y compris les noms de demi-juifs et de quarts de juifs. Une autre collecte d’informations s’appliqua à toutes les organisations juives d’Allemagne et du monde entier ! A ce moment, les hommes du SD découvrent des complots juifs un peu partout ! Le 1er novembre, Eichmann fait une conférence sur « Le judaïsme mondial », et il énumère toute une série de complots en ce sens, jusqu’à un hospice pour juifs indigents à Paris, qui aurait fomenté un attentat (avorté) contre le chef des nazis des Sudètes. Un autre chef nazi, Konrad Henlein, chargé de débusquer et de déjouer des attentats contre le Führer, se fixe sur Nathan Landsmann, le Président de l’Alliance israélite universelle, à Paris… En 1935, Heydrich n’est pas sur cette longueur d’ondes et il se tourne plutôt vers la Palestine où on envisage des émigrations forcées, même si, pour le SD, la Palestine pouvait apparaître comme un centre pour les machinations juives à travers le monde. (En 1938 à Vienne, dans l’Autriche annexée, fut en effet créé sous l’égide du SD un Office central d’émigration juive. On y retrouve Dannecker (qui dirigera en France le camp de représailles de Drancy), avec Eichmann, et Hagen, qui sera aussi un des SS très actifs en France).

     

    Anecdote

    Vers la fin de 1936, Heydrich apprend la préparation d’un complot de Toukhatchevski contre Staline, et il envisage de faire prévenir Staline pour l’inciter à décapiter l’état major de l’armée rouge. Alors les SS préparent des faux pour faciliter cette intervention, sans tenir compte d’objections sur la véracité des informations initiales sur Tchoukatchevski et ce prétendu complot, qui pourrait n’être qu’une ruse des services secrets soviétiques. Du coup, la SS entre en action, en passant par Prague. Un émissaire soviétique reçoit les documents (faux) qu’il paye en... fausses roubles, 3 millions. Or le 11 juin 1937, l’agence Tass annonce la condamnation à mort de Toukhatchevski et de 7 autres généraux, ce qui donne lieu à une opération sanglante puisqu’en un an 35 000 officiers dont 90% des généraux de l’armée rouge sont écartés. Evidemment cette « purge » stalinienne conforte Heydrich qui prétend que le SD a décapité l’armée rouge. Mais évidemment, tout ceci est très exagéré, car en réalité Staline a décidé d’éliminer Toukhatchevski avant l’action conduite par Heydrich…

     

    c) sur le RSHA

    En septembre 1939, le RSHA est créé sur un compromis : son autorité ne sera pas reconnue officiellement. C’est une réorganisation interne de l’Empire de Heydrich qui conçoit une fusion des sections parallèles des service centraux. Le RSHA était donc un organisme très complexe qui comportait les sections suivantes, qui, au total, laissent entrevoir une action en direction de l’espionnage d’une part, de la répression et du meurtre d’autre part.

    -RSHA I = administration et droit, en remplacement de la Gestapa et du SD. Cette section était à ce moment initial dirigée par le juriste Werner Best.

    - La section IV était consacrée à la lutte contre les adversaires du parti, et la section V sous la tutelle de l’État, était consacrée à la lutte contre la criminalité.

    - La section II s’occupait de l’idéologie, la III des affaires intérieures, la VI se chargeait, cette fois sous l’autorité du parti, de l’espionnage à l’étranger.

    En mai 1940 Werner Best démissionne et s’engage dans la Wehrmacht. On le retrouvera à Paris, durant l’Occupation, parmi les chefs de l’administration des troupes d’occupation. Heydrich, l’adjoint d’Himmler et numéro 2 de la SS, a alors les mains libres.

    Cela étant, cette situation de regroupement en quoi consiste techniquement le RSHA, n’évite pas des ambiguïtés, notamment des recoupements entre SD et Gestapo. Nous avons déjà constaté la création de tels désordres dans la permanente reconfiguration nazie des institutions et des pouvoirs répressifs… (je reprends ici les indications d’H. Höhne, dans L’ordre noir, op. cit., p. 128). Par exemple la section II du Gestapa voué à la surveillance des « marxistes », recoupe la section II-121 de la direction du SD qui doit s’occuper des « mouvements de gauche ». Et comme les hommes du SD rechignent à se cantonner à des tâches purement idéologiques, on va également les lancer dans l’espionnage (qui ne leur est pas tout à fait étranger), même s’il y a les services d’information de la Défense nationale (l’armée) dirigés par l’amiral Wilhelm Canaris, qui vont donc s’en trouver un peu gênés. Que se passe-t-il alors pour régler le problème ? Eh bien, le 21 décembre 1936 l’Amiral Canaris et Werner Best signent un traité définissant les compétences de la Gestapo d’après lequel les hommes de Canaris conservent les compétences en matière d’espionnage et de contre-espionnage. Or le SD va contredire cela. D’où le conflit et la rupture entre Heydrich et Canaris. Tout ça, je l’ai déjà dit, est un peu compliqué, mais… très significatif.

    Dans ces conditions, un conflit entre le pôle SD-SS et la Wehrmacht est quasiment inévitable. D’autant plus que les dirigeants nazis se méfient du SD, qui ne devrait plus s’occuper des affaires internes du Parti et pourrait se tourner seulement contre les éléments hostiles extérieurs, alors que certains, au sein du SD, se veulent toujours des sortes de redresseurs de tort dans le Parti. C’est par exemple, nous dit Höhne, le cas de Reinhard Höhn, le chef de la section II-2 à la direction du SD, et de son adjoint Otto Ohlendorf, qui scrutent, à l’intérieur même du Parti, des courants « collectivistes » (« bolchevistes » disent-ils) et, sur le plan économique, des courants absolutistes (« fascistes » disent-ils). Tous, selon eux, sont insuffisants ou erronés donc gênants. Ohlendorf, qu’on retrouvera comme chef d’un des Einsatzgruppen en URSS après l’invasion de l’été 1941 devient avant cela chef d’état major de la section II-2, moyennant quoi son activité dépasse largement la sphère économique pour s’étendre à toute la vie publique allemande, la culture, les sciences, l’instruction, les coutumes, le droit… A l’actif de cet organisme, on peut aussi évoquer le chantage exercé sur des hautes personnalités homosexuelles, parmi lesquelles le ministre de l’économie, Fink, et le Général von Fritsch, commandant des forces armées de la Wehrmacht. Des affaires complexes et embrouillées dans lesquelles je n’entre pas.

     

     

     

     

     

     


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