• 2022-4 Cruauté nazie (suite)

    Séance 4

     LA CRUAUTE NAZIE

    (suite)

     

    Je vais poursuivre la description de la vie concentrationnaire en insistant sur le traitement cruel infligé aux détenus par les SS et leurs sbires. Ce point de vue, annoncé lors de la séance précédente, me conduira aussi à analyser le mode d’organisation qui s’est révélé propice à la mise en œuvre de ce traitement.

    Je ne reviens pas sur le cas des médecins nazis dans les camps, déjà abordé en 2020 séance 7 à propos de Mengele. Je rappelle juste que ces médecins, loin de soigner les Juifs, pratiquaient sur eux y compris sur les enfants (Mengele en a tué beaucoup, en particulier des jumeaux), d’horribles expérimentations, qui n’avaient aucun souci des personnes, de leurs souffrances, de leur vie, et se sont donc très souvent révélées mortelles.

     

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    Je considère donc la catégorie très majoritaire de ces détenus totalement et définitivement vaincus et utilisés comme esclaves – et dont les SS n’économisent pas les forces et la vie (ils les font périr en quelques semaines, au  lieu de les exterminer immédiatement à la descente du train, dès l’arrivée). On peut dire que ces détenus sont maltraités de manière systématique, avec acharnement, je dirai même avec une sorte de sérieux professionnel qui fait penser à la fois à une bonne dose de folie et à la tradition bureaucratique prussienne. Sur ces manières de faire, nous disposons de nombreux témoignages, toujours terribles, de rescapés. Je m’arrête un instant au récit français de Claudine Cardon-Hamet sur le convoi « politique » du 6 juillet 1942, comportant de nombreux hommes non-juifs. Le livre de C. Cardon-Hamet, fondé sur des témoignages de rescapés, est intitulé Triangles rouges à Auschwitz. Le convoi politique du 6 juillet 1942, Paris, éditions Autrement, 2005). C. Cardon-Hamet nous apprend que, peu après la sélection (qui se pratique alors depuis peu de temps à l’été 1942), l’entrée dans le Block se fait sous les coups de trique assénés par deux détenus plus anciens qui sont chargés de frapper tous les arrivants l’un après l’autre, ceci dans le but de leur faire découvrir le sort et la vie que le camp leur réserve désormais. Il ne s’agit donc pas seulement de mauvais traitements mais de tortures, lesquelles, en outre, sont pratiquées avec la plus grande brutalité possible. En parlant de torture, on est loin de ce qu’on imaginerait peut-être, à savoir le raffinement et le calme apparent des supplices chinois. Au contraire, à Auschwitz, comme dans les autres camps d’extermination, les ordres et les convocations sont souvent communiqués sur le mode de la colère explosive, avec un flot d’insultes et un déluge de coups. Primo Lévi, évoque lui aussi des coups administrés en permanence. Dans Si c’est un homme (op. cit., 27), il explique ainsi : « Il nous a fallu bien des jours et bon nombre de gifles et de coups de poing pour nous habituer à montrer rapidement notre numéro ». Des coups reçus sur le dos et sur la tête à tout bout de champ, c’est aussi ce que décrit Maurice Cling (Un enfant à Auschwitz, Paris, éditions de l’Atelier, 2008), à propos des départs pour le travail, et du commencement chaque jour de telle ou telle activité. Il ne s’agit donc pas simplement d’obtenir l’obéissance inconditionnelle des détenus. Le SS cherche en réalité à anéantir toute volonté, en sorte que le détenu ne sera plus rien d’autre qu’un corps souffrant, un organisme qui ne connaîtra plus rien d’autre que la souffrance (ni plaisir, ni repos), donc qui ne pourra avoir d’autre existence ni d’autre conscience que celle de la souffrance et de la peur… dans l’attente de la mort.

     

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    A Auschwitz, comme dans les autres camps, qu’ils soient d’extermination ou de concentration, la brutalité, on le sait, est par ailleurs déléguée par les SS aux détenus institués à diverses fonctions, en premier lieu les kapos (« capos »), qui jouissent de certains privilèges car ils sont mieux nourris, et pas concernés par les sélections donc l’envoi dans une chambre à gaz… si toutefois ils exécutent correctement les fonctions de surveillance et de maltraitance qu’on leur commande – d’où leur tendance à s’activer avec la plus grande dureté possible. Les kapos sont les rouages très bien huilés de la domination absolue voulue par les SS , et souvent ils sont recrutés dans des groupes de détenus criminels. Ce sont alors des prisonniers de droit commun (voleurs, trafiquants, proxénètes…). Ils peuvent être aussi des étrangers de toute provenance ayant commis telle ou telle infraction, ou bien des « asociaux » (les femmes prostituées), et dans tous les cas des non juifs. M. Cling parle de Polonais. Les asociaux sont en général réputés pour faire preuve d’une très grande violence sadique. Tous ces statuts se traduisent en outre par des insignes qui les rendent facilement reconnaissables (triangle de telle ou telle couleur : vert pour les criminels, rouge pour les détenus dits politiques, noir pour les asociaux, étoile rose pour les homosexuels, etc.), ou des particularités de vêture. Selon M. Cling (idem, p. 84), à Auschwitz, les kapos et les Unterkapos (sous-chefs) portent un brassard jaune et un bonnet noir pincé à l’avant.

    La bureaucratie prussienne excelle dans ses manières rigoureuses d’administrer le monde et de le recréer indéfiniment, en le soumettant à une passion classificatoire. On en trouve la confirmation dans une inscription rapportée par M. Cling (idem, p. 76) , inscrite au mur de la salle de douches (Waschraum ) du Block 2, dont la traduction est : «  Il n’y a qu’un chemin vers la liberté. Ses bornes s’appellent obéissance, zèle, honnêteté, ordre, propreté, tempérance, vérité, esprit de sacrifice et amour de la Patrie »).

    Le matin, très tôt, le départ pour le travail met le détenu (le Häftling) en rapport avec différents dispositifs de contrainte… tandis qu’un orchestre fait défiler les kommando en cadence, avec le kapo qui marque la cadence.. (Voir notamment, parmi bien d’autres témoignages, M. Cling, idem, p. 84 et C. Cardon-Hamet, Triangles rouges…, op. cit., p. 24). Un témoignage parle des valses de Vienne, de L’Auberge du cheval blanc, de La marche des gladiateurs. P. Lévi (Si c’est un homme, op. cit., p. 54) évoque une « danse de ces hommes morts » qui ne lésine pas sur la grosse caisse, les cymbales et toutes sortes d’instruments. Margareta Glas (citée in Michael Pollack, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990, p. 62), parle d’une détenue qui dirige l’orchestre du camp des femmes, Alma Rosé, une viennoise, excellente violoniste qui n’est autre qu’une nièce de Gustav Mahler, mais que sa sensibilité artistique rend incapable de s’adapter à la vie, et qui, malgré sa position assez privilégiée dans l’orchestre, ne pourra supporter longtemps « de voir tout cela ».

     

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    Les chefferies sont aussi nombreuses qu’importantes dans les camps. Elles relèvent de la vision SS selon laquelle l’ordre et la discipline sont d’autant mieux assurés que les détenus sont mis dans des positions hyper concurrentielles, donc entrent en conflit les uns avec les autres (d’autant que le concurrence est dans ce cas vitale). Comme je l’ai laissé entendre, les kapos sont eux-mêmes pris dans une hiérarchie qui comprend des Oberkapos et des Unterkapos, ce qui représente des sortes de grades en rapport avec l’importance numérique du groupe qui est sous leur pouvoir. Les groupes en question sont eux-mêmes identifiés par le bâtiment où ils résident, un block dans lequel, logiquement, fonctionnent là aussi des hiérarchies de surveillance et de commandement. Dans chaque block est nommé un dirigeant, c’est le Blockälteste (ou Blockältester - un doyen en quelque sorte), avec, au dessus d’eux un Lagerälteste, qu’on peut donc considérer comme le doyen du camp. Il y a aussi un responsable de l’administration de la chambrée, le Stubendienst, placé sous l’autorité du Blockältester. Au dessus de tous, trône et règne l’autorité des SS (lesquels, on le voit, se débarrassent le plus possible de toutes les tâches ignobles!) avec un Lagerführer, un Blockführer, un Kommandoführer (pour les équipes de travail).

    Quant aux équipes de travail auxquelles je viens de faire allusion, elles doivent atteindre tel ou tel objectif matériel, selon les nécessités fixées par les SS, ce qui fait aussi varier les participants. D’après P. Lévi (Si c’est un homme, op. cit., p. 36), à Auschwitz, entre 1942 et 1944, travaillaient en permanence 200 kommando environ. Toutefois, là encore, des distinctions existaient qui ménageaient pour les détenus la possibilité de trouver un refuge, c’est-à-dire une équipe affectée à un travail moins pénible, par exemple à l’intérieur des bâtiments (pour éviter le froid en hiver). Parmi les travaux les moins éreintants donc désirés pour la sécurité et même un certain réconfort qu’ils procuraient, il y avait les activités consacrées à un secteur du camp nommé par les prisonniers le « Canada » (décrit par exemple par M. Cling, Un enfant…, op. cit., p. 99 et suiv.). Là, on s’occupait de trier les bagages et toutes les affaires dont les arrivants avaient été contraints de laisser derrière eux à l’entrée dans le camp, dès la descente du train. C’était, dit M. Cling, « la caverne d’Ali Baba » (idem, p. 100) où les détenus pouvait améliorer leur maigre pitance en volant du sucre, des pruneaux, des noix, des confitures, etc. On pouvait, explique encore M. Cling, « nous empiffrer de tout ». C’est dire que l’accès à ce stock inépuisable donnait aussi la possibilité d’organiser toutes sortes d’échanges, des trocs donc aussi des trafics. L’une des femmes, citée plus haut, Margareta Glas, dont les souvenirs ont été recueillis par M. Pollak (L’expérience concentrationnaire, op. cit., p. 57), signale qu’à son arrivée dans le kommando chargé de traiter cette masse énorme d’objets de toutes sortes, elle a découvert  « avec stupéfaction cette richesse », dans laquelle elle put même trouver du rouge à lèvres, qui représentait pour elle, précise-t-elle, « le signe de la liberté » .

    Remarque : sur Margarita Glas

    Margareta Glas, juive autrichienne qui vivait à Prague avec son mari, Schorschi, fut déportée, après jugement, à Theresienstadt d’abord puis à Auschwitz où elle arriva le 7 mai 43, pour avoir entretenu une liaison avec l’un de ses amis aryen (ce qu’elle nia). Elle était accusée d’avoir contrevenu aux lois de Nuremberg sur la « pureté de la race ». Son pseudo délit était qualifié de « honte raciale », et cela aboutit à la ranger dans la catégorie des personnes internées pour la sécurité de l’Etat. Or, dans les divers camps où elle fut emprisonnée, elle montra des capacités d’adaptation exceptionnelles. Déjà, dès son incarcération initiale, après son arrestation, à la prison de la Gestapo, elle s’efforça de surmonter les barrières des langues en apprenant assez de Tchèque et de Polonais pour comprendre et se faire comprendre des autres détenues. A Theresienstadt, elle sut mettre en avant ses connaissances en cosmétique, jusqu’à proposer à la femme du Commandant un traitement approprié à l’état de son visage… Il s’agissait de massage et d’application d’un masque. Rapidement, cette audace, payante pour elle, fut admirée de ses semblables. A Auschwitz, elle contracta la typhoïde, mais put échapper au « bloc des morts » (ceux que leur état désastreux conduisait à la chambre à gaz, ce qu’on lui annonçait déjà ! ), et, internée à l’infirmerie, le Revier, elle fit là encore valoir ses compétences de chimiste, ce qui lui vaut d’être engagée comme infirmière. A nouveau, c’est la cosmétique qui lui valut un statut privilégié parce qu’elle put prodiguer des soins aux personnes placées au dessus d’elle. Dans ce contexte, elle noua en outre une relation amicale intense, une relation d’amour dit-elle à plusieurs reprises, avec l’« ainée du Revier », c’est-à-dire la détenue chef ou doyenne de l’infirmerie, Orli Wald-Reichert, une allemande détenue politique (communiste en l’occurrence, et qui avait d’abord été emprisonnée à Ravensbrück), soit la catégorie supérieure des détenues. Le double statut de Margareta, juive et politique, lui permit de jouer sur plusieurs registres, et de solliciter la solidarité que certaines détenues communistes pouvaient éprouver envers d’autres détenues (ce ne fut pas toujours le cas, mais son récit y insiste). Dans ce cas elle sut entretenir une « amitié durable ». Il faut dire que Margareta était aidée par sa beauté et une réelle capacité de séduction, au point qu’on la surnomma « Dolly », en référence à une figure hollywoodienne. Margareta, parvient d’ailleurs à établir des contacts positifs y compris avec des médecins SS, comme un nommé Werner Rohde, dont on nous dit qu’il s’est épris d’une juive slovaque employée comme médecin chef au Revier, Ena Weiss. Comme Margareta et Ena étaient amies, le SS traita Margareta avec quelques précautions, et alla même jusqu’à répondre à une de ses demandes concernant son mari dans le camp des hommes. En l’occurrence, le SS accepta d’octroyer à Schorschi une place dans le kommando chargé d’entretenir à l’extérieur les jardins de légumes et de fleurs en vue de recherches botaniques. « Une planque ». Notons l’extraordinaire bizarrerie de ce SS amoureux… ! Il avait entre les mains la vie des détenus ; il pouvait sans hésiter envoyer à la mort toute personne qu’il lui plaisait d’éliminer. A-t-il montré en même temps « des côtés très humains » comme le laissa entendre Margareta ? (in M. Pollak, idem, p. 56). Laissons cette affirmation au conditionnel, puisque il ne pourrait s’agir que d’une émotion du type de celle que pouvait éprouver Hitler en caressant ses chiens. En d’autres termes, non pas vraiment un sentiment humain, mais un intérêt très précaire pour des humains qui ne sont en réalité pour lui que des objets animés !

     

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    Dans le camp (dans tous les camps, je le répète), les kapos, qui se servent de matraques (les armes à feu étant bien sûr réservées aux maîtres, les SS), sont d’autant plus impitoyables avec leurs compagnons que leur vie dépend de cet exercice même. D’après le récit d’un SS, Richard Böck, au procès d’Auschwitz, à Francfort (tenu du 20 décembre 1963 au 20 août 1965), récit cité par Hermann Langbein, un détenu autrichien politique auteur d’un livre classique, écrit dans les années 1960 (Hommes et femmes à Auschwitz, Arthème Fayard, 1975, coll 10-18, p. 11-12), le détenu qui faiblissait au travail était frappé par les kapos..., et si les kapos ne frappaient pas assez fort, le SS qui les surprenait en flagrant délit de mollesse ou de ce qu’il pouvait prendre pour un début de compassion, les frappait à leur tour. Dans ce cas, le kapo « recevait des coups de poing dans la figure ou des coups de botte s’il ne tapait pas assez. » Même constat dans le récit de la prénommée Ruth (in M. Pollak, L’expérience concentrationnaire…, op. cit., p. 103) : cette personne raconte qu’un jour, alors qu’elle est au travail, elle reçoit une volée de coups, parce que la femme kapo qui surveille le groupe, voyant le SS approcher, veut montrer son zèle (moyennant quoi, la même kapo voudra ensuite se faire pardonner sous prétexte qu’elle souhaitait en réalité frapper quelqu’un d’autre, si bien que, le soir venu, elle offrira à la victime une gamelle de pommes de terre et d’oignons frits). En plus de cela, les kapos punis après avoir été pris, comme je le disais, en flagrant délit de faiblesse, pouvaient perdre leur statut et leurs privilèges et être remis parmi les autres dans le groupe d’où on les avait sortis pour qu’ils s’en fassent les bourreaux, et où il était clair qu’une vengeance mortelle ne tarderait pas à se déchaîner contre eux.

    Robert Antelme, dans L’espèce humaine (Gallimard, 1974 [1957], p. 134 ), va plus loin encore en relatant les événements auxquels il a assisté dans le camp de Ganderscheim - annexé à Buchenwald. Selon lui, il s’avère que les kapos provoquaient du désordre dans la mesure où une discipline un peu fautive leur donnait des occasions et des motifs de frapper et, par conséquent, de démontrer leur zèle, leur application à la tâche : « Il fallait avant tout qu’ils frappent pour vivre et avoir la situation qu’ils voulaient occuper ». C. Cardon-Hamet, à un moment de sa reconstitution (Triangles rouges…, op. cit., p. 32) raconte que, toujours à l’arrivée au camp, lorsque le Blockältester du block 19 se présente, il entreprend de démontrer illico son infernal pouvoir de vie et de mort et, pour ce faire, il choisit et appelle l’un des détenus, le plus jeune en l’occurrence, nommé Matheron, en annonçant à tous les autres : « Je vais vous montrer comment on tue un homme ». Après quoi, avec l’énergie d’un dément en crise, il s’acharne sur le jeune homme pendant dix minutes, à en suffoquer, suant, éructant, pour enfin achever sa victime à coups de bâtons, sous le regard des autres, terrifiés, impuissants. Dans un autre récit, du camp des femmes d’Auschwitz-Birkenau, on parle d’une kapo, détenue de droit commun parce que meurtrière de son mari, qui se fait fort de tuer chaque jour une détenue (Voir M. Pollak, L’univers concentrationnaire…, op. cit., p. 102).

     

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    L’essentiel pour nous est de comprendre l’administration concentrationnaire de la cruauté. En fait, tout, dans le camp, était ordonné au principe hiérarchique foncièrement répressif et malfaisant, à cette chefferie qui exigeait l’obéissance de tous, mais… étant entendu que la position du supérieur donnait non pas seulement la faculté mais surtout le quasi devoir de traiter les détenus de la manière la plus violente et brutale possible. L’autorité conférée s’exerçait comme pure puissance accomplie dans une violence nécessaire.

    De manière générale, je l’ai dit, les détenus, quel que fût leur travail, étaient traités (maltraités!) de telle sorte qu’ils seraient au bout de quelques semaines ou de quelques mois, entre trois et six, exténués, délabrés ou trop malades, donc, inutilisables.

    Les malades étaient adressés à l’infirmerie, le Revier, pour y être examinés. Certains pouvaient se rétablir si cela ne demandait pas beaucoup de soins. Mais que se passait-il après examen pour ceux qui ne séjourneraient pas ? Soit ils étaient renvoyés au travail, soit ils étaient trop faibles et de ce fait condamnés à mort, par le gazage ou bien par une piqûre de phénol dans le cœur Les injonctions intracardiaques mortelles, pratiquées notamment par les médecins SS, étaient en effet nombreuses en 1942 (voir H. Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, op. cit., p. 30).

    Les malades ou les détenus absolument exténués, en bout de course, sont nommés « musulmans » (peut-être à cause du fait que, à genoux, ou même assis, ils ne pouvaient s’empêcher de tomber en avant, comme dans une posture de prière islamique). D’après P. Lévi (Si c’est un homme, op. cit., p. 94) ce sont « les faibles, les inadaptés, ceux qui étaient voués à la sélection ». Disons que le « musulman » n’a plus aucune capacité de réagir à ce qu’on lui inflige, et devant l’imminence de la mort qu’on lui annonce du fait même qu’il vient de subir la sélection au Revier, et qu’on le conduit à telle ou telle antichambre, un block spécial, etc., donc tout ce qui lui fait connaître sa fin proche, il ne livre plus la moindre expression, il ne dit rien, reste comme indifférent, insensible à son propre sort. Dans le recueil de Michaël Pollack (L’expérience concentrationnaire…, op. cit., , p. 65), Margareta Glas, détenue dans le camp des femmes d’Auschwitz, livre une description affreuse de ces femmes qui, aux limites de la vie, « restaient debout dans un coin… au fond assez indifférentes… (…) alors qu’elles étaient encore capables de marcher »… Voilà le triomphe du SS (et pour nous un point d’horreur à peine représentable)  : la destruction parfaite de la volonté. Les musulmans, ce sont les gens qui vivent encore alors que rien de la vie ne subsiste en eux, car même la vie animale est sur le point de s’éteindre en eux, si bien qu’il devient facile de les tuer : on peut le faire d’un geste routinier, presque en pensant à autre choses, à ses plaisirs du jour, à sa famille au chaud et bien nourrie.... Par opposition, tout le monde connaît et ne peut oublier les images des survivants à la libération des camps… Le corps desséché, les membres grêles, le dos voûté, la poitrine creuse, la peau jaunâtre ou grisâtre, le visage livide et les yeux, enfoncés dans les orbites, inexpressifs étrangement.

    P. Lévi ajoute (Si c’est un homme, op. cit., p. 96) que, pour ne pas devenir musulman, il faut être l’inverse, un Organisator, Kombinator, Prominent (fonctionnaire du camp)… Voilà la réalité insensée. « Organiser », évoqué par tous les récits sur les camps, est un terme emblématique, qui signifie se procurer quelque chose pour survivre, même un quignon de pain, un cachet d’aspirine, un bien rare et précieux dont on est théoriquement privé et qui peut être vital. Margareta Glas, lorsqu’elle est employée comme infirmière au Revier, s’y trouve en sécurité – relative, comme toujours. Or elle est un beau jour sollicitée par une kapo chargée de garder les réserves de vêtements. Cette dernière, que M. Glas déteste et qui se nomme Marie Schmid, dispose de masses énormes de choses diverses récupérées dans les valises des déportés, à l’arrivée des convois ou après le déshabillage avant l’entrée dans la chambre à gaz … Or cette kapo demande à M. Glas des massages et des soins pour son visage, en échange de quoi, propose-t-elle, elle la rémunérerait abondamment en vêtements, que M. Glas pourrait ensuite échanger contre de la nourriture ou d’autres biens. Finalement, M. Glas accepte le deal, et c’est ainsi qu’elle parvient à « organiser » les produits dont elle se sert pour confectionner les crèmes et les cosmétiques qui sont son outil de travail, et qu’elle destine à une clientèle (il faut bien l’appeler ainsi), qui s’étend des déportés aux SS eux-mêmes.

    Dans le camp par conséquent, pour avoir une chance de survivre, il faut très vite s’adapter à la folie du milieu concentrationnaire, et avoir tout de suite la ressource de ruser avec l’environnement, c’est-à-dire non seulement avec la cohorte des supérieurs de tous poils dans cette hiérarchie complexe dont j’ai parlé, mais aussi avec les codétenus, puisque la rivalité entre eux est très vive, ne serait-ce que pour occuper une place bénéfique dans une file d’attente, ou bien quand on cherche à s’emparer de la moindre miette de pain moisie ou à s’approprier pour le travail de toute une journée l’outil le moins abîmé. En d’autre termes, puisque le monde concentrationnaire fonctionne comme un programme mortel à plus ou moins brève échéance, il faut comprendre qu’on ne pourra vivre en conformité pure et simple avec lui, étant donné la discipline, l’entrelacs de règles, de rituels et d’interdits enchevêtrés.

     

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    Les blocks 19 et 20 d’Auschwitz, sont décrits par C. Cardon-Hamet (Triangles rouges..., op. cit., p. 31 ). Ils mesurent 45 m de long sur 20 de large et comportent, sur toute la surface, des niches avec des constructions ou plutôt des assemblages qui ressemblent à des lits et qui sont constitués de planches élevées sur trois étages. Ils occupent ainsi plusieurs rangées, ces rangées étant séparées par des travées. Les box en question font 1,80 m de façade, 2 m de profondeur et 80 cm de hauteur. Ce sont les niches dans lesquelles les détenus doivent se glisser pour dormir, parfois à deux comme dans le récit de M. Cling (Un enfant..., op. cit., p. 75), où il est avec son frère Willy. M. Cling raconte également la pénible douche glacée forcée dans la Waschraum du block 2 (mais tous les block n’ont pas forcément accès à une telle salle de douches). Quant aux latrines, elles sont aussi alignées dans une vaste salle. Ce sont des des « feuillées » de 20 m de long sur environ 2 m de large, et, pour s’asseoir sur la barre de bois qui se trouve à environ 50 cm au dessus du sol, il faut d’abord patauger dans les excréments. Là aussi les kapos ne sont pas en reste car dans la posture requise, on peut encore prendre des coups et tomber dans la fosse, en arrière de la barre sur laquelle on a tenté de prendre place...

    Revenons aux équipes de travail, les kommando. Sur ce plan, il y a différents statuts et divers travaux. Certains de ces travaux réservent davantage de sécurité, occasionnent moins de souffrance. On en a l’exemple dans le récit de P. Lévi, quand celui-ci est employé à des travaux en rapport avec ses compétences de chimiste. Mais je ne puis passer sous silence celle de ces équipes qui fut peut-être la plus éprouvante, le Sonderkommando (équipe spéciale), chargé de nettoyer les chambres à gaz immédiatement après l’ouverture des portes qui faisait suite au gazage des gens entassés là. Le Sonderkommando devait s’activer sur les cadavres notamment pour récupérer les dents en or. Il faut savoir que ces équipes étaient périodiquement renouvelées après que tous les membres d’une équipe précédente aient été tués, ceci afin qu’il n’y ait pas de mémoire des actes commandés aux détenus. Très peu des détenus concernés ont donc survécu (une exception, Shlomo Venezia, qui raconte son horrible expérience dans un ouvrage qui a pour titre : Sonderkommando. Dans l’enfer des chambres à gaz, Paris, Albin Michel, 2007) .

    Dans le camp il y a des règles pour chaque situation, des règles explicites ou implicites qu’il faut donc tout le temps respecter. Pour les déplacements, des règles définissent les endroits où il faut se tenir et ceux où on ne doit surtout pas se tenir ; pour le dortoir, il y a des règles qui prescrivent quand et comment dormir, quand et comment accéder aux lavabos ou aux latrines, quand porter ou ôter son bonnet – qu’il faut prendre et taper contre sa cuisse en chœur quand un SS surgit dans la pièce (ce peut en outre être un exercice pendant la marche vers le lieu du travail). Certaines règles disent comment au dehors porter sa veste (bien boutonnée, sans relever le col) ; ou bien qu’il ne faut surtout pas regarder un SS dans les yeux (M. Cling, Un enfant…, op . cit., p. 79), et qu’au contraire il faut fixer le sol à un mètre à droite. P. Lévi (Si c’est un homme, op. cit., p. 34-35), parle dans le même sens des manières de faire son lit, de nettoyer ses sabots, ses vêtements, de les raccommoder, de se livrer le soir à l’inspection des poux, etc., etc. A chaque acte est donc associé un risque de faute, débouchant sur une menace de punition d’autant plus angoissante que les peines sont imprévisibles et que même une vétille peut coûter la vie. M. Cling (Un enfant…, op. cit., p. 109) raconte qu’un détenu, Adolphe, fort mal en point, demanda un jour à un SS la permission de boire. La permission fut acceptée ; mais quand l’homme revint avec un seau rempli d’eau glacée, le SS lui ordonna d’en boire la totalité, et il accompagna de coups violents les supplications que le détenu exprima après quelques gorgées…

    C. Cardon-Hamet raconte (Triangles rouges…, op. cit., p. 28) la première distribution de soupe aux détenus du convoi n° 6 en juillet 1942 (les « politiques » partis de Drancy). Elle explique qu’un SS oblige les déportés à boire ou laper cette infâme soupe dans une cuvette, sans ciller, et qu’il se réjouit de voir le breuvage bouillant brûler le gosier des détenus. Dans le même ordre d’idée, on a de nombreux récits de meurtres que les SS commettent simplement…. pour se distraire. C’est ainsi que, lors de la construction de bâtiments, les échelles sur lesquelles travaillent les détenus sont bousculées, moyennant quoi les détenus chutent et se brisent les os sur le sol… après quoi les SS, constatant l’incapacité des personnes diminuées par l’accident, leur tirent une balle dans la tête… Un autre cas de facétie morbide, qui porte donc la cruauté à son comble, est rapporté par M. Cling (Un enfant…, op. cit., p. 127), qui a vu des détenus menés à la potence après une tentative d’évasion, et qu’on contraignait à s’avancer vers le lieu de leur exécution, en passant devant leurs semblables (alignés pour la circonstance et ayant obligation de regarder), avec au cou une pancarte où était inscrit : « Coucou, nous revoilà ». L’un des récits consignés par M. Pollak (L’expérience concentrationnaire…, op. cit., p. 103), relate un tour joué par les SS aux détenues : ils mettaient de l’huile de ricin dans leur soupe, après quoi, « celles qui avaient fait dans leur culotte étaient bonnes pour le gaz ».

    La cruauté et le sadisme se donnent également libre cours le matin (de très bonne heure), lorsque le SS qui a en charge tel ou tel Kommando apprécie de démarrer la journée, avant le travail proprement dit, par des exercices les plus fatigants et éprouvants possibles. Il fait aligner le groupe qu’il dirige sur trois rangs et commande divers mouvements qu’il faut effectuer à toute vitesse, par exemple s’accroupir et se relever sans arrêt. Bien évidemment, certains détenus n’ont pas récupéré la fatigue de la veille et des jours précédents, si bien que, dans l’état d’épuisement où ils se trouvent, ils ne parviennent plus à se relever après seulement deux ou trois de ces flexions. De ce fait, le SS et le kapo les frappent durement. Comprenons bien : ce n’est pas une punition qui aurait pour justification une prétendue mauvaise volonté. C’est bien plutôt une torture qui vise à ajouter de la souffrance à la souffrance. Comme si la fatigue était une occasion d’augmenter la fatigue, et la souffrance un bon motif d’accroître la souffrance. Dans cette perspective, quand les détenus travaillent, la surveillance des SS s’exerce sans autoriser le moindre relâchement. M. Cling (Un enfant…, op. cit., p. 87), décrit une tâche à laquelle il était assigné et qui consistait à charger des wagonnets de terre puis à les pousser dans une descente jusqu’à l’endroit où ils devaient être déversés. Or, s’il arrivait que l’un des détenus occupé à pousser le très lourd wagonnet saute sur le tas accumulé pour se reposer en se laissant porter quelques instants, il recevait immédiatement une volée de coups, après quoi le SS exigeait qu’une seule personne au lieu de deux s’occupe de la charge, ce qui obligeait le prisonnier restant à fournir davantage d’efforts sans avoir jamais la possibilité de s’interrompre un seul instant.

     

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    Pour avoir une chance de survivre sous le coup de cette domination absolue d’autant plus jouissive pour le SS que la souffrance infligée par lui pouvait être illimitée, le détenu devait donc toujours, en exprimant la plus grande humilité voire en montrant son indignité fondamentale, donner des gages de servitude absolue, en adoptant notamment les postures prescrites dans chaque situation, tout au long de la journée.

    Il reste cependant que tout accepter et tenter d’endurer les souffrances sans mot dire, sans rechigner, sans protester, c’était du même coup, comme dit Primo Lévi, risquer de chuter inexorablement dans la totale déréliction, jusqu’à devenir un « musulman », celui qui a de lui-même renoncé au statut de simple vivant. Dans ce régime d’arbitraire total, tout peut s’effondrer à la moindre faute, volontaire ou involontaire, grave ou légère…

    Quand Orli déprimée, tente de mettre fin à ses jours, son amie proche Margareta est accusée d’avoir fourni les substances toxiques, et le Haupsturmführer du camp la condamne à subir une intervention chirurgicale à titre d’observation scientifique. On l’ampute d’un sein pour étudier une malformation. C’est ce que lui annonce la détenue allemande qui dirige la pharmacie du Revier où Margareta travaille  : « Je regrette de te dire qu’ils viendront dans une heure pour t’emmener à Auschwitz [par différence avec le camp des femmes] et pour t’opérer ». Opérée et recousue sans anesthésie le 6 août 1943 (M. Pollak, L’expérience concentrationnaire..., op. cit., p. 61), Maragareta se rétablit néanmoins… démontrant à nouveau une étonnante capacité de résistance au mal… C’est alors qu’un autre femme amie, Ena Weiss, vient la voir et lui explique «  - Voilà, Dolly, la fin approche. Tu as encore un vœu ?  - Oui, dites bonjour à Orli, rien d’autre »…. Est-ce que cela ne dit pas cette chose absolument fondamentale, la conquête de la dureté et de l’insensibilité à laquelle il fallait parvenir, y compris à l’égard de personnes aimées, y compris, aussi, à l’égard de soi-même, pour continuer à vivre ? Mettre en sommeil et peut-être parfois détruire tout possibilité de commisération, donc entraver toutes les ressources morales, du moins lorsque ces ressources mènent à dépenser son énergie vitale pour une autre fin que sa propre conservation. D’un côté, on pouvait faire preuve de solidarité (comme quand Margareta intercède auprès d’un SS pour qu’on épargne le gazage à une autre femme...). Mais d’un autre côté, il fallait à tout prix se déshumaniser… volontairement et positivement, sans attendre de l’être négativement et contre son gré par les SS… Margareta Glas parle elle-même de cette indifférence comme d’une habitude qu’il fallait prendre au plus vite dès les débuts de la vie dans le camp, même si, ajoute-t-elle, cette « protection contre le désespoir » ne réduisait « en rien les besoins affectifs et sexuels » (M. Pollak, idem, p. 66). Margareta parle d’ailleurs de contacts avec des hommes ; et elle-même aura une liaison qui la conduira à un avortement - qu’elle dit ne pas s’expliquer. Curieux mélange de désirs, peut-être même d’amour véritable - on ne sait- et de sécheresse de l’âme… Ceci nous permet de comprendre l’anecdote suivante qui concerne cette fois sa relation amoureuse, si intense et érotisée avec Orli : elle lui demande une nuit de se coucher auprès d’elle, ce que l’autre accepte. Et voilà ce qu’elle en retire :

    « … cette nuit-là, le ciel était tout rouge et je ne sais pas si c’était le feu que faisaient les SS qui brûlaient des enfants juifs ou si le commando spécial brûlait tous les cadavres. Malgré tout cela, je n’étais pas malheureuse, bien au contraire. Pendant cette nuit-là, j’ai été très heureuse parce que je pouvais être avec Orli. Et le je lui ai souvent dit : ‘Tu es l’être que j’aime le plus au monde, homme ou femme’ » (cité par M. Pollak, idem, p. 70).

     

    8

    S’il y a dans le camp des statuts… sinon privilégiés du moins peu exposés aux flétrissures habituelles, il n’est pas possible d’en tirer un argument qui contredirait la logique essentielle qui consiste avant tout à martyriser les Juifs… Moyennant quoi le Häftling, s’il a (encore) la volonté de vivre et de survivre, cherche à acquérir les habiletés censées le prémunir contre certains risques pour quelques jours ou même seulement quelques heures au-delà desquelles il lui faudra encore trouver de quoi se prolonger. Ainsi M. Cling (Un enfant…, op. cit., p. 113) évoque-t-il la place qu’il doit calculer dans la file d’attente pour recevoir dans sa gamelle un peu de bouillon au moment où la louche sera plongée au fond de la marmite et ramènera quelques morceaux de légume ; ou bien, sur le même mode (idem, p. 115) lorsqu’il est affecté à un kommando où l’on creuse la terre dans une carrière, le choix d’une position de départ apte à lui procurer avant les autres un outil (pelle ou pioche) non ébréché, avec un manche lisse qui ne lui blessera pas les mains, donc un outil qui ne lui compliquera pas la tâche en lui demandant un surcroît d’efforts. Voilà donc la condition du détenu, qui ne sera jamais indifférent à l’ambiance permanente de mort, qui ne sera donc jamais vraiment adapté au camp (ce que suggère M. Pollak dans L’expérience concentrationnaire…, op. cit., p. 265), donc qui doit tout observer, rester en permanence sur le qui-vive, demeurer toujours vigilant, se donner à chaque instant, comme si sa vie en dépendait (et en fait, elle en dépend) la capacité suprême de conquérir une parcelle, si infime et brève soit-elle, de subsistance donc de sécurité. P. Lévi, à la fin de son autre récit, sur la libération et le trajet de retour, si long et compliqué (il mit 35 jours pour regagner Turin) se rappelle qu’il a « mis des mois à perdre l’habitude de marcher le regard au sol comme pour chercher quelque chose à manger ou à vite empocher pour l’échanger contre du pain ». D’où la formule étonnante d’Imre Kertész, (Etre sans destin, Paris, coll. 10-18, 2002 [1975], p. 342): retour de Buchenwald, il a une conversation dans un autobus avec un quidam qui lui donne le billet que le contrôleur lui reproche de ne pas avoir, et ensuite, une fois descendu, sur un banc, quand son interlocuteur qui le questionne, cherche à imaginer un camp de concentration, il répond : « un endroit où on ne peut pas s’ennuyer ».

     

    Dans un livre remarquable, Max Picard donnait le hurlement comme un signe primordial du nazisme (sans qu’on puisse distinguer les hurlements des bourreaux et les supplications des victimes - L’homme du néant, 1947, p. 19). M. Picard emploie d’ailleurs plus loin dans son texte l’expression caractéristique : « Hitler le hurleur » (idem, p. 147)… Primo Lévi relate la même chose (Si c’est un homme, op. cit., p. 18) après avoir entendu les ordres vociférés par les SS à l’ouverture des porte du wagon de déportation, devant la rampe du quai du camp. M. Cling à son tour (Un enfant…, op. cit., p. 69) parle d’ « aboiements barbares naturels aux Allemands quand ils commandent, et qui semblent libérer une hargne séculaire ». Et Viktor Klemperer, après avoir entendu Hitler crier devant des foules en extase en 1933 parlait lui aussi de « véritables hurlements, ceux d’un prêtre » (Mes soldats de papier. Journal, 1933-1941, Paris, Seuil, 2000 [1995], p. 22 – texte du 10 mars 1933).

    Max Picard compare aussi la cruauté des Huns à celle des nazis, cette dernière étant selon lui bien plus grande parce qu’effet d’un calcul, ce qui en fait une cruauté à l’échelle non plus de l’homme mais de ce qui est hors de l’homme… au point que le nazi commet des atrocités comme « en passant » (je disais : de façon routinière, presque professionnelle), au sens où il peut perpétrer ses crimes en pensant à autre chose… : tel est ce phénomène majeur constaté par Max Picard et qu’il nomme la discontinuité… (des pensées criminelles qui peuvent très bien succéder à des émotions humaines, esthétiques par exemple, sans que le sujet aperçoive la moindre incohérence, la moindre contradiction)...

    (à suivre)

     

     


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