• 2023-3 Hypothèses

    Séance 3

     QU’EST CE QUE LE NAZISME ?

    (retour sur quelques hypothèses de description)

     

    Pour continuer à expliciter mes hypothèses de travail sur le nazisme, en commettant probablement des redites, je recommence cette fois par la question très banale que je me suis posée à ce sujet. Banale parce que c’est la question que tout le monde se pose, y compris les historiens, à savoir : d’où vient, donc qu’est-ce qui explique, la fureur antisémite meurtrière des nazis et de Hitler à leur tête. ? Je fais mienne la question posée par Kershaw (dans Qu’est-ce que le nazisme, op. cit., p. 177) : « Comment, précisément le génocide a-t il pu se produire ? »

    En fait je montrerai plus loin que cette question recouvre deux problèmes distincts qu’on aurait tout intérêt à bien séparer. D’une part le problème de comprendre le sens des thèmes antisémites  ; d’autre part le problème de saisir ce qui, dans ou au-delà de ces thèmes, explique le passage à l’acte meurtrier, et, qui plus est, la décision de tuer tous les Juifs sans exception, quels que soient leur âge, leur position dans la société, etc. - décision suivie des effets catastrophiques que l’on connaît (et là il faut tenir compte des différentes modalités de ce meurtre, qui n’est pas commis de la même manière dans les différents pays soumis à la férule nazie). Sans oublier que la compréhension raciste et discriminatoire de la population (la raciologie ) commence par la décision de tuer y compris des Allemands, les handicapés - euthanasiés de force si l’on peut dire (c’est ce qui a été codé en « Aktion T4 » et qui a abouti jusqu’à la fin 1942 à au moins deux centaines de milliers de meurtres – on évoque parfois le double)...

    I)

    Avant d’en arriver là, prenons la première question : quels sont et d’où viennent les thèmes antisémites et le racisme des nazis… ? Deux grands types de recherche ont permis de répondre à cette question,.

    1) Une première approche, issue de l’histoire intellectuelle, s’est efforcée d’examiner les doctrines élaborées par quelques auteurs importants ou qui ont laissé une trace dans l’histoire : des essayistes, des juristes, des philosophes, etc., qui ont donné forme à la raciologie dont les nazis et Hitler ont fait leur credo essentiel.  Parmi les principaux auteurs qui ont exercé une grande influence sur Hitler, qui ont été ses inspirateurs, il y a d’abord Houston Chamberlain (1855-1927 ; ne pas confondre avec le premier ministre britannique qui a signé les accords de Munich en 1938). Houston Chamberlain, gendre de Wagner (en secondes noces, après ses 50 ans), a rédigé La genèse du XIXe siècle, 1899, dans l’optique pangermaniste. Il y a ensuite Alfred Rosenberg (qui aura des fonctions importantes dans l’appareil d’occupation à l’Est sera ensuite jugé et pendu à Nuremberg en 1946), a laissé un des plus importants traités sur lequel les nazis purent s’appuyer en étant certains d’y trouver des arguments « scientifiques », Le mythe du XXe siècle, 1930  (voir les analyses de Marcel Gauchet dans  A l’épreuve des totalitarismes, Gallimard, 2010, p. 421)D’autres auteurs sont moins connus parce qu’ils sont morts dans les années 1920 donc avant l’accès de Hitler à la chancellerie… Dietrich Eckart notamment est mort en 1923. Il était poète et dramaturge et il a très fortement influencé Hitler à ses débuts, quand il était adhérent du petit Parti, le DAP dont Hitler prendra ensuite la tête et qu’il transformera en NSDAP. Ce serait grâce à cet Eckart que Hitler aurait pris conscience de ses dons d’orateur…. Eckart aurait affermi la conviction antisémite d’Hitler, jusque là assez éloigné de ce genre de préoccupation (dit un article de la revue Géo, n° 49). Eckart est par ailleurs l’auteur d’un brûlot antisémite intitulé Le bolchevisme de Moïse à Lénine. Citons enfin Max Scheubner Richter, mort dans le putsch de 1923 – un diplomate, Russe d’origine,  qui a combattu les bolcheviques dans une armée contre-révolutionnaire, puis a émigré en Allemagne.

     

    2) Une autre manière de répondre à la question des origines et des fondements de la furia antisémite nazie est issue de l’histoire culturelle. Cette fois on porte le regard non plus sur des doctrines savantes mais sur des séries de représentations (je préfère parler de croyances…), produites dans la société allemande et émanée des pratiques, des institutions, des corporations. Exemple, les médecins, les juristes et les hommes de lois, ou bien les groupes de combat (qui sont les milices), comme les SS ou, plus ancienne, la SA. On retient en général deux séries principales de représentations.

    a) D’abord celles qui composent l’idéologie nationaliste et son débouché radical, qui remonte au XIXe siècle et le traverse : le pangermanisme (pour une idée correcte et rapide de ce courant, je recommande, une fois n’est pas coutume, la lecture d’une notice Wikipedia). Le nationalisme repose sur l’idée que la singularité d’une nation ou d’un peuple doit être préservée et qu’elle se déploie d’autant mieux que ce peuple affirme sa supériorité sur les autres, qui ne sont donc que des rivaux, des ennemis (On se souvient d’une phrase de François Mitterrand qui disait, après la chute de l’Empire soviétique : « Le nationalisme, c’est la guerre »). D’après les nazis, un peuple doit affirmer son unité comme peuple, et, ce faisant, il aspire nécessairement à s’inscrire dans un État fort.

    C’est en référence à ce genre de définition que Durkheim a écrit pendant la guerre de 14, en 1915, une note sur Heinrich von Treitschke, historien Allemand et, avant la Guerre, député d’un parti libéral nationaliste. L’ouvrage de Durkheim s’intitule L’Allemagne au-dessus de tout. Le mentalité allemande et la guerre (1915 ). La reprise du slogan allemand « l’Allemagne au dessus de tout » - über alles ) donne finalement la meilleure intuition du nationalisme. (Deutschland über alles est encore aujourd’hui un hymne officiel ; c’est le Deutschlandlied, écrit par von Fallersleben en 1841, qui a ensuite été l’apanage des partis ultranationalistes puis des nazis).

    On parle la plupart du temps du nazisme comme d’un « ultranationalisme », quoiqu’il ne faille pas oublier que Hitler parle davantage de peuple ou de race que de nation…, ce qui souligne davantage encore la composante antisémite de cette manière de voir la société allemande et son destin parmi les autres sociétés.

    Le pangermanisme, apparu après la victoire napoléonienne, proclame que les Allemands sont un peuple dispersé mais dont l’unité, au-delà des frontières existantes, mériterait un État unifié (la Prusse étant l’État dominant). Mais c’est seulement à la fin du siècle que naquit un parti pangermaniste, la « Ligue pangermanique ». Le courant pangermaniste grandit après la Grande Guerre et c’est alors qu’il fut capté par Hitler qui en tira des visées expansionnistes. Ian Kershaw, dans Qu’est-ce que le nazisme, op. cit (p. 53-54), note que Hitler jeune homme, à Linz, ville du domicile familial, montrait déjà un grand intérêt pour cette manière de voir et approuvait la propagande de Georg von Schönerer. Ce dernier, alors à la tête d’un mouvement pangermaniste et antisémite envisageait le rattachement des territoires et des populations germanophones d’Autriche à l’Allemagne. A peu de choses près, l’idée figure dès 1920 dans le programme du NSDAP, le parti recréé par Hitler, où se fait jour la revendication d’un « Grand Reich » destiné à unir tous les Allemands dans et hors de l’Allemagne. Le pangermanisme est donc le fondement idéologique de la conquête des territoires que les nazis estimaient légitime du fait qu’y vivaient des populations allemandes, en tout cas germanophones. Quelques années plus tard, les premiers territoires en question furent militairement réunis à l’Allemagne, en commençant par l’Autriche (voir R. J. Evans, Le Troisième Reich, op cit., t. 1, p. 218-220, ainsi que le très bon et très détaillé livre de Michel Korinman (un Français), Deurschland über alles : Le pangermanisme, 1890-1945, Paris, Fayard, 1999).

    b) A côté du thème pangermaniste et intriqué à lui, il faut surtout retenir le rôle décisif de l’idéologie völkisch. Völkisch est un adjectif formé sur le nom Volk, difficile à traduire parce que pouvant désigner à la fois le peuple et la race. George Mosse dans Les racines intellectuelles du troisième Reich, La crise de l’idéologie allemande (Paris, Calmann-Lévy, 2006 [1964], p. 8), note bien que la pensée völkisch est « partie intégrante du nationalisme allemand ». Le thème völkisch, qui met en évidence le racialisme nazi, s’est développé de manière très forte après la défaite de 1918. Très répandu, et devenu une sorte de sens commun raciste, ce thème facilita la diffusion du nazisme dans la population. D’intéressantes précisions sont apportées à ce sujet par Yoann Chapoutot dans son bel ouvrage, La loi du sang. Penser et agir en nazi. (Gallimard, 2014). Voir les pages 39, 53, 72. Chapoutot (p. 281), cite notamment un manuel de la SS qui affirme : «  Le membre de la SS et de la police est fier de sa race (…). Il est l’ami de tout ce qui est sain et l’ennemi de toute dégénérescence ».

    Le völkisch promeut une vision idéale de l’Allemagne comme terre et État de la race germanique, disons même de la race aryenne. Et cette race, supérieure à toutes les autres selon Hitler et les nazis, a pour mission historique (quasi divine), d’étendre son espace vital notamment à l’est, pour ainsi croître grâce à la multiplication de ses ressources, et être en capacité de dominer tous les autres peuples de la terre. L’homme aryen, l’homme du Nord, par différence avec le métèque du Sud ou les races inférieures de l’Est (les slaves) est, dit Hitler dans Mein Kampf, le Prométhée de l’humanité.

    Après 1919, durant la République de Weimar, la pensée völkisch est principalement une spécialité des milieux conservateurs et d’un Parti politique, le Deutschnationale Volkspartei. Ce sont les deux dernières années de la guerre qui ont fait progresser cette idéologie. Et sa grande prégnance dans la vie allemande se constate au fait qu’elle a même eu des représentants chez les socialistes, quoique ces gens furent finalement de peu d’importance dans les courants de gauche (voir Gustav Landauer).

    On cite en général comme initiateur de cette pensée Paul de Lagarde, de son vrai nom Paul Böttischer son disciple ou continuateur  étant Julius Langbehn. (cf. George Mosse, Les origines intellectuelles du Troisième Reich. La crise de l’idéologie allemande - Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2006 [1984], p. 50 et suiv.). G. Mosse parle aussi (p. 9), du « nationalisme völkisch » ; et il a une excellente formule : il parle de « La foi germanique » (titre de son chap. II). Avant 14, il s’agissait de l’ultranationalisme, de l’« antisémitisme racial » et de la croyance en la possibilité d’un ordre social allemand ressourcé dans la tradition lointaine des teutons. A cette source ont également puisé les écrivains qui défendaient l’idée d’un sang pur. Tout ceci indique des liens forts de cette idéologie völkisch avec l’antisémitisme. De ce milieu provient en outre le thème du « coup de poignard dans le dos » pour signifier que le défaite militaire de 1918 n’était due qu’à la trahison des élites social-démocrates et juives.

    A l’époque de Hitler (qui, dans Mein Kampf, reconnaît sa dette à l’égard de la pensée völkisch), existent en Allemagne de très nombreux groupes völkisch - dont le DAP, le petit Parti d’extrême droite fondé par Anton Drexler, et auquel Hitler adhéra sur commande, avant d’en devenir un membre dévoué. Rien qu’à Munich, en 1920, on en dénombre une bonne quinzaine. La plupart sont insignifiants, mais pas l’Alliance nationale allemande défensive et offensive (Deutschvölkischer Schutz und Trutzbund), créée début 1919 par la Ligue pangermaniste pour rassembler des petites organisations, et à laquelle fut donné à Munich un large écho (bien qu’elle ait été implantée à Hambourg). C’est à cette organisation qu’est due la svastika (la croix gammée ensuite arrangée par Hitler). L’Alliance compte 100 000 adhérents fin 1920, et deux ans après, 200 000, beaucoup étant d’anciens soldats déçus de leur sort après le guerre, à côté d’artisans, d’étudiants etc., très nombreux ensuite à rejoindre le Parti nazi, le NSDAP.

     

    Ces approches d’histoire intellectuelle ou d’histoire culturelle ont un avantage : elles permettent d’approcher les discours sociaux, donc des discours émanés des réalités pratiques… Mais au fond, il s’agit toujours de saisir des idées antisémites et de comprendre à partir de leur force et de leur diffusion pourquoi les nazis ont eu l’idée et assez de haine (thème récurrent et pas si anodin chez les historiens voir I. Kershaw) et on pu imposer à la société des pratiques d’assassinat sanglantes et cruelles.

     

    II)

    J’ai annoncé que les idées, même les plus furieuses, aussi largement diffusées soient elles, expliquent peut-être les sentiments de haine, mais…n’expliquent pas la décision de tuer (et, en plus, comme je l’ai déjà dit, de tuer ou d’asservir tous les Juifs, comme lorsque à la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, les participants reçurent une feuille de calcul fixant à 11 M le nombre de personnes à exterminer ou en tout cas à soumettre, en Europe). Mon projet est de distinguer les deux plans de description, et ne pas croire, comme la plupart des « experts », que les idées antisémites conduisent forcément au meurtre des Juifs. Je veux juste dire, sans excuser personne, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

    I. Kershaw dans Qu’est-ce que le nazisme, op. cit., p. 177 a posé la question que je rappelais en commençant : « Comment, précisément le génocide a-t il pu se produire ? » J’approuve cette question très simple mais assez redoutable. Mais Kershaw a aussi une formulation moins intéressante selon moi, à savoir : « Comment une haine maladive, une obsession paranoïaque ( …) ont pu devenir réalité et se transformer en une horrifiante de gouvernement ? ». Pourquoi cette formule est-elle moins intéressante ? A cause de la référence à la haine… qui n’est pas fausse… mais qui contient par avance une réponse à la question posée et une réponse fausse à mon avis. Les nazis, remplis de haine à  cause de leurs idées malsaines, en seraient venus logiquement à admettre la nécessité de tuer les Juifs et à décider de le faire. Voilà ce que l’on pense assez facilement en fin de compte. Toutefois les choses ne sont pas si claires, car contrairement aux apparences, la haine n’est pas une explication suffisante du passage à l’acte - pas plus que les idées furieuses. Pour nous en convaincre, faisons notre examen de conscience et nous découvrirons que nous pouvons haïr fortement quelqu’un (ou quelqu’une)….sans pour autant envisager de le ou la tuer ! Et réciproquement, on trouvera des meurtres sans haine. C’est précisément ce que j’ai exposé en conclusion de mon Essai sur Le nazisme dans l’histoire…, conclusion à laquelle je vous propose de vous rapporter, sur un meurtre commis par des jeunes filles à l’encontre d’une de leur camarade de classe que pourtant elles appréciaient ! Je signale par ailleurs que si I. Kershaw admet la problématique de la haine, il complexifie cependant la la réponse en parlant du charisme d’Hitler et de l’acceptation large, presque consensuelle, de son projet génocidaire (acceptation assez large dans la société allemande, après celle des groupes nazis).

    Voici, par opposition, mon hypothèse , en deux temps. 

    1)

    J’ai suggéré que l’essentiel, dans la vie des « groupements agonistiques » créés par les nazis (comme la SS, SA, etc.), sont une déclinaison d’une groupe de base, l’Allemagne über alles (« au dessus de tout »), soit l’ensemble des citoyens aryens prétendument brimés par les Juifs et les idéologies égalitaires. Moyennant quoi l’essentiel pour les groupes nazis constitués sur cette base, c’est de désigner les Juifs comme des ennemis et ensuite d’assortir cette désignation de croyances spéciales qui incitent au passage à l’acte meurtrier contre ces ennemis. Fondamentalement, j’y insiste à nouveau, c’est sur ce mode que sont visés les Juifs… Il y a là un phénomène de croyance, et je dirai même de croyance agonistique (qui pousse au crime!)…

    Mais si on se demande comment et pour quelle raison un groupe se donne des ennemis et qui plus est des ennemis à combattre et à tuer, il y a quelque chose d’autre à comprendre… En ce point, mon hypothèse principale, très claire dans le cas des nazis, consiste à remarquer un fait élémentaire, qui crève les yeux, à savoir que les ennemis désignés par les nazis, d’abord les Juifs, ensuite les slaves, les bolcheviques, etc., sont des personnes ou des groupes dont les nazis sont persuadés qu’eux d’abord les ont pris pour leurs ennemis et les ont attaqués. C’est là bien évidemment, une manière typiquement et parfaitement paranoïaque de raisonner. Une pure folie, au sens psychiatrique. Pour les nazis si les juifs sont des ennemis qu’il faut exterminer à tout prix, c’est parce qu’eux, les Juifs, voudraient détruire l’Allemagne et reléguer les idéaux germaniques (et ce depuis très longtemps, à vrai dire depuis la création du judaïsme et de son dérivé le christianisme). Dans les années qui succèdent à l’accession de Hitler à la Chancellerie, sur les murs de nombreuses villes allemandes est ainsi affiché le slogan « Allemand, ton ennemi est le Juif »… Quand les nazis ressentent une menace de destruction venant des Juifs, il énoncent une très longue série de pseudo-faits d’après lesquels les Juifs les empêcheraient de vivre en conformité avec ce que leurs facultés naturelles permettraient (dominer les peuples étrangers), donc les priveraient de leurs ressources naturelles, brimeraient quelque chose de quasi sacré ou divin : la germanité, l’essor de la race aryenne, l’Allemagne éternelle (je rappelle que selon Hitler, l’aryen est le « Prométhée de l’humanité »).

    Reste une question non résolue: si l’ennemi est celui qui m’a pris pour ennemi, quelle menace fait-il concrètement peser sur moi (nous sommes bien dans une ligne paranoïaque) ? Réponse (évidente dans ce qui précède) : une menace de mort. Et c’est pourquoi, pense le nazi, pour me défendre, je dois tuer cet ennemi.. En outre, je dois aussi me venger de lui… autrement dit, je ne vais pas seulement le tuer, je vais le faire souffrir, lui infliger davantage de souffrance que celle dont je pense qu’il m’a infligé par ses menaces!

    Précision capitale : cette menace est d’autant plus grave et urgente à combattre que ce n’est pas celle de la mort de l’individu, c’est d’abord celle de la mort du groupe auquel l’individu est attaché de manière viscérale (méfions nous en ce sens de eux qui nous alertent sur un danger de mort pour notre communauté originaire!). C’est là ce qui justifie (autre complexité) le définition des deux sortes de groupes dont j’ai parlé plus haut. D’une part le groupe de base, l’unité collective préalable l’Allemagne, l’ensemble germain, aryen, divinisé, sacralisé etc. - d’où la très grande force de l’idéologie nationaliste qui relaye l’importance quasi sacrée de ce groupe. Et ensuite le ou les groupe(s) que je qualifie de « second(s) » constitué(s) pour protéger le groupe préalable et attaquer l’ennemi. Ce sont là des « groupements agonistiques », d’après la dénomination que j’ai proposée et utilisée plus haut (exemples la SS, la SA Hitlerjugend, etc., etc., et on ne peut ignorer à ce propos la prédilection des nazis pour les rassemblements immenses… comme chaque année à Nuremberg, pour le congrès qui est une sorte de fête du Parti nazi : ces rassemblements sont à l’image des groupes formés en vue de combattre).

    En posant cela, je pose que ce que défendent les individus en attaquant leurs ennemis, c’est un désir que le groupe et lui seul leur a inspiré, donc un désir qui concerne non la vie des individus en premier mais la vie du groupe, un supra-individu qui a un besoin irréfragable de maintenir son existence comme groupe (avec des individus loyaux, des liens de solidarité etc.). Bref, c’est ce désir du groupe, comme si le groupe avait une vie psychique propre, qui s’impose aux consciences individuelles. C’est là un désir grégaire. Désir du groupe de rester un groupe, et pas une multiplicité désordonnée (ce que Sartre dans la Critique de la raison dialectique,  appelle une « série »…). En résumé, dans ce cadre, je propose de considérer la vie psychique non d’individus mais de groupes, de collectifs humains (formels et informels ; de ce point de vue si folie il y a, celle d’un seul homme, Hitler, n’explique rien… ).

    Et qu’est-ce qui a les les meilleurs effets grégaires et donc contribue le mieux à resserrer les liens, donc d’empêcher la dissolution d’une ensemble coalisé, coagulé? C’est l’exercice collectif de la violence et surtout du meurtre…

     

    Remarque annexe .

    Au contraire de ce que je propose, si on part de l’individu, et si on adopte adopter le point de vue d’une psychologie individualiste, cela aboutit toujours à trouver un sentiment spécial, la haine précisément à l’origine du désir de tuer dans le cas des nazis. Voilà très exactement ce que je refuse ; c’est pourquoi j’évoque des situations de meurtre où la haine est possiblement mise de côté. Certes, on tue souvent par suite d’une haine exacerbée ; mais pas toujours. C’est même une particularité du nazisme que de tuer sans haine (après du reste une préparation ad hoc des assassins, y compris depuis l’enfance, ce qui est prévu dans les écoles « Adolf Hitler »). D’où le conclusion de mon Essai sur la petite fille juive tuée par ses camarades de classe, alors  que « tout le monde » l’aimait… En d’autres termes, pour moi, le discours raciste et antisémite n’est pas une cause mais bien plutôt un effet d’un désir de tuer qui est en l’occurrence élaboré comme un projet paranoïaque de vengeance...

     

    D’après mon hypothèse, on est donc mis sur la voie d’un puissant motif de tuer.

    L’ennemi est celui qui m’a pris pour ennemi disais-je. Tel est le motif fondamental de la décision génocidaire (je suggère qu’on peut appliquer le schéma à d’autres meurtres de masse). Les Juifs, pensent les nazis, ont décidé notre mort en tant qu’allemands. Et tout le discours raciologique est fait pour démontrer ce fait indémontrable parce que absurde et produit d’une pathologie (collective). D’où les recherches pseudo savantes pour fixer ne vision de l’histoire allemande comme étant entravée depuis 3000 ans (par les Juifs et les Chrétiens).

    On dira que ce motif… : c’est encore une idée… A cela je réponds : pas seulement. Car c’est surtout l’expression d’une pulsion… de mort (comme aurait pu dire Freud). J’insiste alors sur une donnée relativement à ce motif. Si on a (les nazis ont) la volonté de tuer des ennemis, les Juifs selon eux, c’est parce que ces deniers seraient un ennemi mortel, c’est-à-dire celui qui a primitivement l’intention de tuer les Allemands.

    Si j’ai été clair (et convaincant) voilà donc ce que je cherche à faire apparaître : que ce qui fonde la volonté de tuer e se tient pas sur le seul registre des idées, ni celui de la haine. Certes les idées antisémites visent des personnes ou des groupes qui vont faire l’objet de la décision mortelle. Mais c’est là, comme je viens de l’affirmer, une représentation typiquement paranoïaque ; ce qui signe la folie de ce régime (au sens psychiatrique mais aussi au sens de ce qui endommage gravement la civilisation). La folie nazie, telle que j’en ai déjà parlé, tient au fait que les nazis, je le répète, défendent la liberté pour tout Allemand de combattre et de tuer des ennemis (lesquels ennemis sont dans la pensée commune depuis longtemps – les Juifs).

    Mon hypothèse (qui privilégie la notion d’ennemi, de préférence à la notion, chère aux philosophes, d’altérité) permet par conséquent de saisir ce que tout le monde remarque à propos des nazis, à savoir  l’élément irrationnel de leur doctrine, l’élément de folie, la paranoïa… Mais prenez-y garde, il ne s’agit en aucune manière de la folie d’un homme qui aurait ensuite eu la capacité de convaincre des masses immenses. Ici, la folie doit être comprise comme une dimension assez ordinaire en fin de compte de la vie collective dans certains groupements voués à combattre des ennemis.

     

    Représentez vous bien par ailleurs (ce qui peut apparaître grâce à un petit examen de conscience ai-je dit) que tout un chacun peut éprouver un grand désir de mort envers ses contemporains mais sans pour autant en déduire une volonté (donc décision et action) de tuer…

    Je convoque ici une distinction facile pour les philosophes, mêmes les apprentis des lycées, entre désir et volonté , ici désir de mort et volonté de tuer.

     

    (à suivre)

     

     


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